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Reine Anne de Bretagne, Valois. Naissance, mort, mariage, règne

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Reines, Impératrices
Biographie des reines et impératrices françaises. Vie des souveraines, faits essentiels, dates-clés. Histoire des règnes
Anne de Bretagne
(née le 25 janvier 1477,
morte le 9 janvier 1514)
deux fois reine de France
(Épouse Charles VIII le 6 décembre 1491, Louis XII le 7 janvier 1499)
Publié / Mis à jour le mercredi 9 janvier 2013, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 17 mn
 
 
 
Orpheline à 11 ans, Anne est à peine duchesse de Bretagne que déjà, elle doit s’imposer, en butte aux conseillers qui intriguent avec le roi de Castille et le roi des Romains, traitent avec le roi d’Angleterre, et se défient de Charles VIII. Jeune et remarquablement belle, talentueuse et instruite, elle laissera aux chroniqueurs de son temps l’image d’une femme au caractère affirmé et maintiendra, autour d’elle et sur le trône de France, la gravité et la modestie nécessaires à un pouvoir ferme mais juste.

Sur les bords de la Loire, dans ce joli château d’Amboise, d’où la vue s’étend sur les îles du fleuve et sur les coteaux chargés de vigne, Jeanne de France, fille de Louis XI et de Charlotte de Savoie, vit s’écouler tristement les jours de son enfance, car elle était un objet de déplaisance pour son père.

On dit même que lorsqu’elle accompagnait sa sœur aînée, on la tenait cachée derrière sa gouvernante, pour que le roi n’eût pas le désagrément de voir les épaules voûtées de sa fille et la pose désagréable que donnait à l’enfant une jambe plus courte que l’autre. La princesse cependant développait en grandissant des qualités aimables ; elle annonçait de l’esprit, le goût de l’étude, une bonté que ses malheurs rendirent plus touchante ; il paraît même que ses traits n’étaient pas tout à fait dépourvus d’agrément. Quand elle eut atteint l’âge de douze ans, son père la maria au duc d’Orléans, âgé de quatorze ans, Louis, fils de Marie de Clèves et de ce Charles prisonnier trente ans en Angleterre, fils de l’infortuné duc d’Orléans tué par Jean sans Peur.

Anne de Bretagne recevant des mains d'Antoine Dufour un manuscrit retraçant la vie de femmes célèbres

Anne de Bretagne recevant des mains d’Antoine Dufour
un manuscrit retraçant la vie de femmes célèbres

L’année de cette union, 1476, voyait naître Anne de Bretagne. Michel Baudier (Histoire du cardinal d’Amboise, 1634) et Jean Bouchet (Annales d’Aquitaine) ont prétendu qu’avant de contracter le mariage, le duc d’Orléans fit une protestation secrète contre l’alliance qui lui était imposée. Saint-Gelais, historien panégyrique de Louis XII, affirme que le mariage se conclut contre le gré de la duchesse douairière d’Orléans, qui n’osa résister à Louis XI, « vu l’homme que c’était. »

Louis d’Orléans ne témoigna jamais d’amour à sa femme ; mais il lui rendait justice. Un jour cependant qu’il parlait ironiquement de la beauté de Jeanne en présence de Louis XI : « Mon gendre, lui dit le roi, vous oubliez que votre femme est sage et vertueuse, et de plus qu’elle est fille d’une mère dont la sagesse n’a jamais été soupçonnée. » C’était un reproche indirect adressé à Marie de Clèves, mère du duc, laquelle s’était mariée secrètement avec Ribaudages, son maître d’hôtel.

Après la mort de Louis XI, sa fille aînée Anne de Beaujeu (Anne de France) ménagea d’abord extrêmement le duc d’Orléans, qui voyait avec peine le pouvoir entre les mains de la régente. Elle le fit nommer président du conseil ; mais elle ne tarda pas à voir que ce n’était pas assez pour lui. Louis d’Orléans voulait la régence et non une place au conseil ; il manifesta son mécontentement en mille manières, et affecta de manquer à ce qu’il devait à la sœur du roi. Un jour qu’il jouait à la paume, Anne de Beaujeu, appelée à juger un coup douteux, prononça contre lui : « Quiconque me condamne, dit le duc à demi-voix, si c’est un homme, en a menti ; si c’est une femme, est une... »

Le conseil décréta qu’après une telle injure il fallait arrêter le duc : il avait déjà pris la fuite. Il se joignit au duc d’Alençon, au comte Dunois, entraîna dans son parti le comte d’Angoulême son cousin (père de François Ier), les seigneurs de Foix et d’Albret, et même le duc de Bourbon, frère du duc de Beaujeu et connétable de France. Mais Anne de Beaujeu envoie à Orléans des troupes qui intimident les bourgeois, et, quand le duc se montre à leurs portes, ils refusent de le recevoir, en alléguant l’obéissance qu’ils doivent au roi. Il ne restait de ressource au duc que la place de Beaugency. Madame de Beaujeu y conduisit le roi. En même temps elle envoyait le sire de Graville en Bourbonnais, et le maréchal de Gié contre les comtes d’Albret et de Foix au midi.

Il fallut céder. Louis d’Orléans demanda à traiter : « Après ce qu’il a fait, dit Anne de Beaujeu, le seul parti qui lui reste à prendre est de recourir à la clémence du roi. » Le conseil confirma la sentence, et Louis dut se contenter de la parole royale, d’être traité à la cour comme par le passé. Mais quoi de durable entre des esprits mutuellement prévenus ? Le duc d’Orléans se lassa de nouveau d’obéir ; sous le prétexte d’une chasse, il passe à Blois, puis à Fontevrault, dont sa sœur était abbesse, et, de Fontevrault, il se rend en Bretagne, où le duc François l’accueille, et où Dunois vient le retrouver. C’est là que, pour la première fois, Louis vit Anne de Bretagne, fille du duc souverain de Bretagne François&nsp;II et de Marguerite de Foix, princesse de Navarre.

Jolie châtelaine au château de son père, Anne de Bretagne, enfant de neuf ans, y recevait déjà les hommages d’un grand nombre de princes ; car elle était héritière d’un beau duché. Le premier de ces prétendants, Édouard, prince de Galles, auquel elle avait été fiancée dès l’âge de cinq ans, venait de mourir à onze ans, victime du comte de Gloucester, roi, par ce meurtre, sous le nom de Richard III.

Quand le duc d’Orléans parut à la cour du duc François, il put remarquer la jolie enfant ; élevée avec une distinction conforme à son rang, sous les yeux de la dame de Laval et de Chateaubriand, Françoise de Dinan, Anne excellait à tous les travaux de son sexe, tandis que son intelligence s’élevait à de hautes études, et qu’elle apprenait, dit-on, le grec et le latin. Sa physionomie annonçait les qualités qui ont distingué sa jeunesse et son âge mûr, et qui brillaient déjà en elle avec la naïveté de l’enfance. Elle y mêlait déjà une certaine fierté qui ne se démentit jamais.

On prétend que dès lors s’alluma dans le cœur de Louis la première étincelle de l’amour qui l’unit plus tard à l’héritière de la Bretagne. Il n’en pouvait être question alors ; la guerre continuait, et le duc fut fait prisonnier à Saint-Aubin par la Trémouille. Madame de Beaujeu le fit conduire à Bourges. Vainement Jeanne de France pressa-t-elle son frère et sa sœur de faire cesser cette prison ; vainement envoya-t-elle deux gentilshommes à la cour, l’amiral de Graville et Saint-Gelais de Montlieu : Anne de Beaujeu, devenue duchesse de Bourbon par la mort de son beau-frère, ne fit rien pour le duc. « La nouvelle duchesse et son mari nous dirent de très belles et bonnes paroles, écrit Saint-Gelais, mais ce fut tout ; car n’y eut nul effet. »

Louis d’Orléans resta dans la grosse tour de Bourges, jusqu’en 1491. Jeanne de France allait sans cesse de la prison où elle consolait son mari, à la cour, où elle intercédait pour lui. « Ma sœur, écrivait-elle à la duchesse de Bourbon, je vous prie qu’ayez le fait de monsieur mon mari pour recommandé, et qu’en veuillez écrire à mon frère, nonobstant qu’il s’en acquitte bien ; dont recours sommes bien obligés à lui et à vous. » Elle sollicitait de vive voix d’une manière encore plus pressante. Le roi Charles VIII (fils de Louis XI) avait vingt-un ans, et se montrait d’une affabilité si aimable, « que jamais, dit Comines, il ne sut dire un mot qui fît peine à quelqu’un. » Il était ému de compassion en voyant la tendresse de Jeanne pour un mari qui ne la payait pas de retour : « Ma sœur, lui dit-il un jour, je vous rendrai ce cher mari ; oui, je le rendrai à votre sollicitation et à vos pleurs, mais j’ai peur que vous n’ayez à vous repentir de votre bonté. »

Tandis que Jeanne de France demandait avec tant d’instance la liberté de son mari, et que, toujours désolée, soit qu’elle souffrît par lui ou à cause de lui, elle passait sa vie dans la douleur, Anne de Bretagne, de dix ans plus jeune, voyait les souverains à ses pieds. Ce n’était pas sans souci cependant qu’elle attendait la couronne ducale ; son père paraissait accueillir les prétentions d’Alain d’Albret. A l’âge de quarante ans accomplis, et père de nombreux enfants, Alain d’Albret osait aspirer à la main de l’aimable suzeraine, qui n’avait pas quinze ans. Le visage bourgeonné et la rudesse des manières du prétendant ajoutaient au dégoût que la jeune princesse devait éprouver pour lui ; mais la dame de Laval appuyait de tout son crédit le sire d’Albret, dont elle était la sœur : Anne tremblait de se voir contrainte à cette alliance lorsqu’un traité conclu entre Charles VIII et le duc François II, obligea ce dernier à ne marier sa fille que du consentement du roi.

Trois semaines (7 ou 8 septembre 1488) après le traité qui soumettait son futur mariage au bon plaisir du roi de France, la mort de François II laissa Anne de Bretagne orpheline et duchesse. Voici comme en parle un poète du temps :

Madame Anne était la successeresse,
Et commença à penser nuit et jour
A ses affaires comme vraie princesse.
Tout le monde parlait de sa hautesse ;
Nul ne pouvoit à droit l’apercevoir ;
Et sa grande et très haute noblesse
Est un abîme à concevoir.

Ce qui était un abîme, si la Providence n’eût conduit les choses à bien pour la France et pour la Bretagne, c’était l’état de division et de guerre qui semblait devoir partager cette belle province, et menacer le bonheur de la suzeraine. A peine était-elle sur le trône, ses conseillers intriguent avec le roi de Castille et le roi des Romains (Maximilien), traitent avec le roi d’Angleterre, et se défient surtout de Charles VIII. En même temps, le vicomte de Rohan se met sur les rangs, prétendant non seulement à la main de la duchesse, mais à la province même, à titre d’héritage ; comme il n’était pas le plus fort, il céda, moyennant la cession de quelques domaines – le comté de Montfort, érigé en baronnie de Fougères, et plusieurs autres domaines de moindre importance. Ses descendants se consolèrent des prétentions de leur maison, par cette devise : « Duc ne daigne, Roi, ne puis, Rohan suis. »

Charles VIII

Charles VIII

Alain d’Albret renouvelait ses poursuites ; la gouvernante sollicitait la procuration de sa maîtresse pour obtenir la dispense de Rome (car il y avait parenté), mais comme Anne se refusait à la donner, on en fabriqua une. La duchesse protesta contre, rétracta les promesses sur lesquelles se fondait Alain. « Ces promesses m’ont été arrachées, dit-elle, à l’âge de douze ans, par l’obéissance et crainte que je devais à monseigneur mon père ; je les rétracte et les révoque autant que de besoin est. » Sur cette protestation, le maréchal de Rieux, tuteur d’Anne de Bretagne, se retire en jetant feu et flamme. Il protégeait le comte d’Albret, et les Français profitent de cette division pour tenter d’enlever la princesse, qui trouva un protecteur dans le comte de Dunois : cet ami du duc d’Orléans s’était retiré en Bretagne après la bataille de Saint-Aubin, et n’en était pas sorti depuis ; il se déclara le champion de la duchesse.

Les Français menacent Redon, Alain occupe Nantes dont il ne veut donner l’entrée à la duchesse que si elle consent à l’épouser. Anne déclarait en pleurant qu’elle se ferait religieuse plutôt que de devenir la femme d’Alain d’Albret. La Providence vint à son secours. Les habitants de la ville de Rennes lui envoyèrent des députés pour la presser de venir parmi eux. Mais à Rennes nouvelles alarmes. Six mille Anglais envoyés par Henri VII, et deux mille Castillans, par le roi de Castille, viennent à son secours, disent-ils. Funeste secours ! La Bretagne est déchirée ; les Français occupent Redon, Fougères, Saint-Malo. Le comte d’Albret et le comte de Rieux retiennent Nantes ; les Anglais guerroient contre les Français, les Espagnols contre le sire d’Albret ; les paysans bretons se révoltent dans le pays de Quimper ; il faut porter la guerre dans leurs cantons, une guerre d’extermination comme la Jacquerie. Pour comble de maux, la jeune duchesse apprend que Henri VII favorise secrètement le sire d’Albret et qu’elle court le risque de se voir enlevée par les Anglais.

On dit qu’au milieu de tant de troubles Anne recueillait par écrit les événements de cette période difficile de sa vie ; monument précieux s’il a existé, et dont il faut déplorer la perte, car la princesse était ferme et courageuse ; dans une jeunesse aussi tendre, elle démêlait avec assez d’habileté ce qu’il convenait de faire ; elle ne voulait dépendre ni du roi d’Angleterre, ni du roi de France, encore moins du sire d’Albret et de la dame de Laval. Par le conseil de ses amis, Dunois et Montauban, elle accepta la médiation d’un prince étranger en apparence aux questions qui divisaient la Bretagne ; c’était le roi des Romains, Maximilien, fils de l’empereur Frédéric III. Ce prince venait d’attaquer la Flandre ; il traita avec Charles VIII, et, quand il eut réglé ce qui le regardait pour son propre compte, on signa à Francfort, sous sa médiation, un traité par lequel il fut stipulé que le roi de France retirerait ses troupes de la Bretagne, que la duchesse renverrait les étrangers, Anglais et Castillans, et qu’on tiendrait à Tournai un congrès qui fixerait les droits de Charles VIII et ceux d’Anne de Bretagne. Alain, trop faible, se retira pour un temps. Le maréchal de Rieux se soumit, et les actes de la Bretagne disent « que la duchesse récompensa la soumission de son tuteur comme elle eût fait des services. » (Daru, Histoire de Bretagne)

Mais elle n’était pas délivrée des sollicitations que ce seigneur continuait de faire en faveur d’Alain d’Albret. Or, les amis de la princesse lui firent comprendre qu’il fallait avant tout qu’elle cherchât un appui contre tant de persécutions : le roi des Romains leur parut réunir toutes les qualités qui pouvaient rassurer la Bretagne sur la conservation de ses privilèges ; la politique de l’Angleterre approuvait cette alliance, et, pour que la France n’y mît pas d’obstacle, on résolut de rendre l’union indissoluble avant qu’elle fût connue ; le mariage se fit par procuration. On lit dans l’Art de vérifier les dates qu’il se fit avec tant de mystère que les domestiques même de la princesse n’en eurent aucune connaissance, et que, jusqu’à ce jour, on n’a pu en découvrir la date précise. Les actes de Bretagne rendent compte cependant des détails de la cérémonie après laquelle l’ambassadeur du roi des Romains qui avait répondu à la place de l’époux, en grande solennité et en présence de témoins, mit, selon l’usage, sa jambe nue jusqu’au genou dans la couche nuptiale.

Mais madame de Beaujeu entreprend de rompre une alliance aussi préjudiciable à la France. Charles VIII envoie une nouvelle armée en Bretagne : tandis que ses théologiens affirment que le mariage ne peut être regardé comme valable et n’implique qu’une promesse, ses ambassadeurs vont proposer sa main à la duchesse : la royauté de France était, disent-ils, incomparablement plus glorieuse que le vain titre de reine des Romains. Anne cependant paraissait résolue à rester l’épouse de Maximilien. Si ce fiancé préféré était venu à son secours, nul doute qu’il ne l’eût épousée ; mais Maximilien n’eut jamais d’argent et ne sut rien faire à temps. Deux mille écus lui avaient manqué pour un voyage en Bretagne, et quand Charles y entra maniant à la fois les armes et les négociations, le roi des Romains était en Hongrie occupé à résister à Mathias Corvin ; il recevait les plaisanteries qu’on lui faisait sur son mariage, se laissait enlever sa femme, renvoyer sa fille – Marguerite, âgée de deux ans, fiancée à Charles VIII et élevée par Anne de Beaujeu – et arracher la perspective du duché.

Tout est singulier ici ; Charles VIII trouva auprès de la belle héritière un négociateur sur lequel il n’aurait guère cru pouvoir compter. Tandis que madame de Beaujeu cherchait les moyens d’assurer la main d’Anne de Bretagne au roi, elle avait défendu au commandant de la tour de Bourges d’ouvrir les portes de la prison du duc d’Orléans (et cette prison avait été sans ménagement). Or, Anne de Beaujeu étant pour quelque temps dans son duché de Bourbon, le roi au Plessis-les-Tours, la pieuse Jeanne pressant incessamment son frère, deux jeunes favoris de Charles lui rappellent qu’il est roi, qu’il est majeur, qu’il est temps pour lui de sortir de tutelle et qu’il lui est honteux de laisser si longuement en prison son beau-frère et son cousin, parce qu’il plaît à madame Anne de Beaujeu que cela soit ainsi.

Un soir, au mois de mai, Charles VIII part comme pour une chasse, couche à Montrichard ; de là, montant en voiture avec sa sœur, il s’avance jusqu’à Bourges, envoie au commandant de la tour l’ordre de délivrer le prisonnier et l’attend aux portes de la ville : il le reçoit dans ses bras, lui fait partager sa chambre et son équipage. Louis, à son tour, proteste de sa reconnaissance et de sa fidélité, et, pour en donner au roi un témoignage immédiat, il s’engage à négocier le mariage avec Anne de Bretagne, et réussit si bien que la duchesse renvoie les soldats allemands, bretons, espagnols, anglais, et consent à une entrevue. Un pèlerinage à Notre-Dame près Rennes, servit de prétexte, « et le roi, sa dévotion faite, accompagné de cent hommes d’armes et de cinquante archers de sa garde, entra dedans Rennes, salua la duchesse, et parlementa longuement avec elle ; trois jours après se trouvèrent en une chapelle, où, en présence du duc d’Orléans, de la dame de Beaujeu, du prince d’Orange (oncle maternel d’Anne), du chancelier de Bretagne et d’autres, le roi fiança ladite duchesse. »

Les délégués de Maximilien n’eurent aucune connaissance de cette cérémonie ; mais, quinze jours après, la duchesse, bien accompagnée, vint trouver le roi à Langeais en Touraine, et le mariage de Charles VIII et d’Anne de Bretagne y fut célébré solennellement le 6 décembre 1491. Elle n’avait voulu épouser qu’un roi. « Je suis mariée au roi des Romains, et s’il allait de vie à trépas, et que je fusse résolue de me remarier, si n’aurais-je d’autre mari que roi ou fils de roi », disait-elle. Le contrat portait que les époux se cédaient réciproquement leurs droits, et que la Bretagne resterait au survivant dans le cas où il n’y aurait pas d’enfants ; mais on y mit cette clause « que ladite dame ne convolera à d’autres noces, fors avec le roi futur, si faire se peut, ou un autre plus présomptif futur héritier de la couronne. »

A l’entrée solennelle à Paris, la joie et l’affluence du peuple étaient telles, que de longtemps on n’en avait vu de si grandes. Sans les précautions les plus sévères, le cortège n’aurait pu percer la foule. La reine-duchesse, comme on l’appelait, était charmante. « Il la faisait bon voir, dit Saint-Gelais, car elle était belle, jeune, et pleine de si bonne grâce que l’on prenait plaisir à la regarder. » Au sacre, elle était assise sur une estrade, au milieu du chœur, coiffée en cheveux, et vêtue d’une robe de satin blanc.

Femme de Charles VIII, en rivalité de pouvoir avec la duchesse de Bourbon, Anne ne prit pas un grand ascendant sur son époux. Cependant aucun nuage ne troubla leur union : Anne tenait sa cour avec beaucoup de dignité ; c’est elle qui introduisit les dames d’honneur auprès des reines ; jeune et remarquablement belle, elle sut maintenir autour d’elle la gravité et la modestie. Lire, travailler en commun, en commun vaquer à la prière, telles étaient les occupations des filles de la reine, sous les yeux de leur maîtresse. Pendant la guerre d’Italie, elle ne fut pas régente ; madame de Beaujeu prit encore les rênes de l’État ; mais, pour ne pas offenser la reine, on donna l’administration au duc de Bourbon et non à la duchesse : « Si voulait-elle toujours mettre « le nez où elle pouvoit, dit Brantôme en parlant d’Anne « de Beaujeu ; certes, c’étoit une maîtresse femme, un petit « pourtant brouillonne. »

Louis XII

Louis XII

Anne de Bretagne eut quatre enfants de son union avec Charles VIII ; l’aîné mourut à trois ans ; la reine en fut inconsolable. La cour était alors à Lyon ; le roi donna des tournois pour distraire sa femme ; mais de pareils divertissements calment peu la douleur d’une mère. Le duc d’Orléans ayant dansé un ballet devant elle, Anne s’en montra fort mécontente : « Comment pouvez-vous danser, monsieur, « dit-elle, quand vous me voyez si affligée ? » Puis elle accueillit l’idée, suggérée peut-être par les ennemis du duc, que la mort d’un dauphin le réjouissait, parce qu’elle le rapprochait du trône, et elle lui montra tant de froideur qu’il quitta la cour pour aller à Blois.

Charles VIII mourut subitement la même année, ou d’une apoplexie, ou d’un coup qu’il s’était donné en passant sous une porte basse, en allant assister au jeu de paume, dans une galerie de son palais d’Amboise. La France entière le pleura. Ses serviteurs se montrèrent inconsolables ; deux d’entre eux moururent de douleur. La reine, pendant plusieurs jours, ne prit ni nourriture ni repos : « J’ai perdu ma vie et mon bonheur ! » s’écriait-elle avec amertume. C’est la première de nos reines qui ait porté le deuil en noir – jusque là les reines avaient porté le deuil en blanc. Elle se retira en Bretagne. Par la mort de Charles VIII, Louis d’Orléans était roi (Louis XII).

Cet article s’est ouvert par le nom de Jeanne de France, et à peine ce nom a-t-il été prononcé. La même année avait vu son mariage et la naissance d’Anne de Bretagne ; rarement Jeanne avait goûté quelque consolation dans son union : ses soins n’avaient pas réussi à le rendre plus agréable ; sa douleur, pendant la longue captivité du duc, ses démarches multipliées pour le délivrer, avaient pu exciter en lui quelque reconnaissance, mais non bannir le dégoût. Quand il monta sur le trône, et que Jeanne se vit reine, son cœur ne put s’ouvrir à l’espérance, car cette couronne ne lui rendait pas le cœur d’un époux, et Jeanne aurait donné tous les trônes de la terre pour un mot ami, pour un mouvement de tendresse de celui que, depuis vingt-quatre ans, elle avait aimé d’un amour sans partage. Toutefois, en recevant sans joie le titre de reine, elle était loin de prévoir à quelle humiliation nouvelle il allait la soumettre.

Quelle douleur quand on vint lui dire que le roi demandait son consentement pour se séparer d’elle, et qu’il alléguait les motifs de parenté et la nullité d’un mariage auquel il avait été, disait-il, forcé ! Jeanne se sentit brisée ; elle chercha dans sa piété la force de supporter un coup si rude ; mais la délicatesse même de sa conscience s’opposait au mensonge qu’on exigeait d’elle : elle ne pouvait reconnaître la nullité d’un mariage sous les lois duquel elle avait vécu fidèlement pendant vingt-quatre ans, à la face de l’Église et du monde. « Je laisse le roi disposer de mon sort, dit-elle, mais je ne puis me reconnaître que sa fidèle et soumise compagne. »

Louis XII se vit alors obligé d’ordonner l’instruction du procès le plus douloureux pour un cœur délicat comme celui de Jeanne. Les juges étaient au nombre de trois, préposés comme commissaires par le pape Alexandre VI : Philippe de Luxembourg, évêque du Mans ; Louis d’Amboise, évêque d’Albi, et Pierre, évêque de Ceuta, de la domination du roi de Portugal. Ce triste procès s’instruisait à Tours.

La dignité de Jeanne augmenta l’estime qu’on avait pour elle. Elle récusa tous les motifs de Louis : la parenté : on avait eu la dispense ; la violence pour faire le mariage : elle n’en avait jamais eu connaissance, et ne pouvait supposer qu’il se fût passé tant d’années sans que son mari l’eût alléguée : « Je ne suis pas, dit-elle, sortie de si bas lieu qu’il fût besoin de violence pour me trouver un époux. » Pour le troisième point, elle dit avec beaucoup de simplicité : « Je sais que je ne suis si belle ni si bien faite que beaucoup d’autres ; mais je ne m’en crois pas moins propre à devenir mère. » Et sur la nullité qu’alléguait le roi, elle répondit constamment : « De ce je m’en rapporte à sa conscience, et à ce qu’il dira ; il le sait et il est mon seigneur. »

L’humiliation la plus grande dut être pour Louis XII, qui se vit forcé au serment par la noble résistance de la reine. La nullité fut prononcée par les juges et reconnue par Alexandre VI. Jeanne se soumit. Seulement elle demanda à revoir encore une fois celui qu’elle avait uniquement aimé ; à sa vue elle laissa couler ses larmes, Louis XII ne put retenir les siennes. « Monseigneur, dit-elle, je n’ai pas fait ce que vous souhaitiez de moi, et je vous ai fait de la peine ; mais j’ai bien souffert aussi. » Retirée à Bourges, et maîtresse du duché dont elle porta désormais le titre, Jeanne de France n’eut plus d’autre ambition que celle de sauver son âme, et de croître devant son Dieu en perfections et en bonnes œuvres. Elle appela auprès d’elle cent filles nobles, qui prirent le voile et formèrent un ordre nouveau, sous le nom des religieuses de l’Annonciade. Elle y mourut à quarante ans, en odeur de sainteté, et a été cacnonisée en 1950. Brantôme en parle ainsi : « Jeanne de France, fille du roi Louis XI, fut bien spirituelle, mais si bonne qu’après sa mort on la tenait comme sainte, et sainte quasi faisant miracles. »

Anne de Bretagne n’eut-elle aucun scrupule en prenant la place d’une reine vertueuse et répudiée ? Ses historiens ne nous font pas connaître ses sentiments à cet égard. Sans doute elle se crut suffisamment autorisée par la décision du procès dont l’issue avait paru si peu douteuse qu’on n’en avait pas attendu la fin pour presser les négociations. Anne disait familièrement à ses dames qu’elle « ne doutait pas tant de sa bonne fortune qu’elle n’espérât encore être reine de France régnante, comme elle l’avait été. » « Ses anciennes amours lui faisaient dire ce mot », rapporte Brantôme ; sa politique et son ambition le lui faisaient dire aussi. Elle épousa Louis XII, le 7 janvier 1499, neuf mois, jour pour jour, après la mort de Charles VIII. Nul reproche à la régularité de la conduite de la reine, à sa tendresse pour son mari, à ses soins pour ses enfants ; elle fit gloire d’une vertu sévère et d’une grande dévotion ; mais elle s’est montrée fière et vindicative, et voici une circonstance où elle poussa loin la vengeance.

Jeanne de France (de Valois)

Jeanne de France (de Valois), fille de Louis XI

En 1505, le roi ayant fait à Blois une grande maladie, la reine passait auprès de lui les jours et les nuits ; sa douleur cependant ne l’empêcha pas de songer à ses intérêts ; elle n’avait point de fils, et elle savait que si François d’Angoulême montait sur le trône, elle avait tout à redouter, non de lui, mais de Louise de Savoie ; elle pensa donc à assurer sa retraite en Bretagne, dans le cas où elle viendrait à perdre son mari, et elle chargea quatre bateaux de meubles précieux qu’elle envoya à Nantes. Le maréchal de Gié, gouverneur d’Angers, osa les faire arrêter. Si le roi fût mort, Gié conservait par là de grandes richesses à l’État ; mais Anne ne le lui pardonna jamais : elle le fit exiler de la cour, dès que Louis XII fut guéri. Le maréchal se croyait quitte par cette disgrâce ; il se consolait dans une charmante habitation, nommée le Verger, où il prit cette devise : « A la bonne heure m’a pris la pluie. »

Mais Anne n’avait pas assez fait pour sa vengeance ; elle fit intenter au maréchal un procès qui dura deux ans. Le parlement de Toulouse, qui ne trouva d’autre charge contre l’accusé que d’avoir employé à son service particulier quinze hommes à la solde du roi, ne put motiver une condamnation à mort, et ne prononça que la confiscation des biens du maréchal. La reine, en apprenant que Gié n’était pas condamné à mort, s’écria : « Je suis bien aise qu’il vive, pour sentir plus longuement sa peine. » Ce mot circula dans toutes les bouches ; le maréchal était regardé comme une victime sacrifiée à la vengeance de la reine, et on joua sur le théâtre une farce dans laquelle il était dit « qu’un maréchal ayant voulu ferrer un âne (Anne), en avait reçu un coup de pied qui l’avait jeté de la cour dans le verger » (par allusion à la maison de campagne du maréchal).

Rien ne triomphait en la reine de ce penchant à la vengeance. Parce qu’elle haïssait Louise de Savoie, mère de François d’Angoulême, héritier présomptif de la couronne, elle ne voulait pas consentir au mariage de Claude, sa fille aînée, avec ce jeune prince. Elle préférait l’alliance de Charles d’Autriche, qui fut depuis Charles-Quint. Cette union, d’abord imprudemment consentie, venait d’être rompue ; Anne la voulait maintenir. « Vous voulez donc, Madame, faire une alliance des chats avec les souris ! » lui dit le roi. Dans la guerre de Louis XII contre Jules II, les craintes de la reine sur la légitimité d’une entreprise contre le saint-siège, ne furent pas tellement apaisées par la décision des théologiens, qu’elle ne pressât le roi de cesser la guerre ; les courtisans s’étonnaient de la patience de Louis XII à supporter les représentations de la reine : « Quand une femme aime son honneur et son mari, leur répondait-il, il faut bien lui passer quelque chose. »

Toutefois il lui disait : « Vous croyez-vous, Madame, plus savante que les universités, et vos confesseurs ne vous ont-ils pas appris que les femmes n’ont point de voix dans l’église ? » Mais la conscience d’Anne était troublée sur ce point. A l’assemblée des évêques qui se tint à Tours, elle fit protester par les députés du clergé de Bretagne ; elle-même, séparant sa cause de celle du roi, sollicita à Rome une absolution pour elle, et continua de se montrer opposée à la guerre : « Voulez-vous dominer et gouverner ? lui répétait le roi ; souvenez-vous de cet apologue : Autrefois les biches étaient armées de cornes comme les cerfs ; elles furent tentées de s’en prévaloir pour dominer. Le ciel les en punit en les privant de leurs armes. »

Mais Louis n’était jamais sérieusement mécontent, et plaisantait sur l’humeur de sa femme, en l’appelant ma petite brette, ou ma bretonne. La vie qu’aimait à mener le bon roi était une vie de famille ; on montre au château de Blois le balcon sur lequel il venait le soir causer familièrement avec son ministre Georges d’Amboise ; il aimait la modestie et le bon ordre que la reine entretenait autour d’elle, le zèle qu’elle montrait pour le bien de l’État ; plus d’une fois elle s’associa aux entreprises de son mari ; souvent elle lui fournit de l’argent. Dans la guerre avec l’Angleterre, en 1512, elle arma, dans le port de Brest, une flotte dont le vaisseau principal portait, dit-on, cent canons et douze cents hommes. Ce vaisseau s’appelait la Cordelière. La reine avait ajouté une cordelière aux armes de Bretagne, par attachement pour l’ordre de Saint-François ; elle avait fait bâtir un couvent de Cordeliers à Lyon, et elle créa un ordre de chevalerie dont le collier était le cordon de Saint-Français. La vie d’Anne de Bretagne se recommande par le respect de cette reine pour les bonnes mœurs, et par le soin qu’elle eut de régler celles de sa cour.

Ses talents, son instruction, l’étendue de son esprit lui font honneur ; elle y mettait peut-être un peu de vanité : on raconte que voulant passer pour savoir plusieurs langues, elle se faisait apprendre quelques mots de chacune, afin de pouvoir s’en servir avec les ambassadeurs. Un jour, un étranger osa faire une plaisanterie assez hors de sa place, au lieu du compliment d’usage. La reine ne s’en aperçut pas ; mais quand elle sut ce qui était arrivé, on eut bien de la peine à apaiser son mécontentement. On prétend qu’elle travaillait à réprimer cette humeur vindicative dont nous avons vu le maréchal de Gié victime. « Tancez-moi, et m’imposez des pénitences, disait-elle à ses confesseurs, tant qu’à la fin je sois corrigée. »

Saint-Gelais nous rapporte naïvement ces paroles, que souvent, dit-il, Anne avait à la bouche et prononçait de cœur, s’affligeant grandement et se fâchant contre elle-même. On a blâmé la fermeté de son zèle pour les privilèges de la Bretagne ; ceci semblerait une matière à l’éloge plutôt qu’au blâme. Il aurait fallu qu’Anne de Bretagne devançât de plus d’un siècle les idées de son temps pour considérer le bien de sa province dans une réunion à la couronne ; l’esprit de féodalité était encore trop vivant dans le cœur de la noblesse. Elle était toujours la reine-duchesse, suzeraine de son duché ; elle aimait sa chère Bretagne, elle le témoignait en toute occasion ; des fenêtres du château de Blois, elle aimait à voir renouveler sa garde bretonne, sur le lieu dit depuis le perche aux Bretons. « Voilà, disait-elle avec une sorte de complaisance, voilà mes chers Bretons ! » et eux la voyant se découvraient, et saluaient avec amour une princesse qui gardait si bien le souvenir de son pays.

Elle mourut à Blois, âgée de 39 ans, le 9 janvier 1514, après une maladie de sept jours seulement. Depuis la naissance de Renée de France, elle avait toujours été languissante. Des funérailles magnifiques attestèrent les regrets de Louis XII ; on porta le corps de la reine à Saint-Denis, et son cœur au couvent des Chartreux de Nantes. Elle avait eu quatre enfants de son mariage avec Charles VIII : Charles-Orland, l’aîné, nommé au baptême par saint François-de-Paule, auquel la reine donna une maison pour le couvent dit des Bons-Hommes – nom venant de ce que Louis XI qui, comme on sait, fit venir de la Calabre François de Paule pour l’exhorter à ses derniers moments, appelait ce saint religieux, bonhomme. Ce premier dauphin mourut à trois ans. Charles et François ne vécurent pas un mois ; Anne mourut enfant.

De son mariage avec Louis XII, Anne eut aussi quatre enfants : deux princes morts jeunes ; Claude, épouse de Francois Ier, et Renée, mariée à Hercule d’Est, duc de Ferrare. Louis XII avait répudié Jeanne de France comme ne lui donnant pas d’héritier, et il n’en laissa pas d’Anne de Bretagne.

 
 
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