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Caricature en France : ses débuts au Moyen Âge

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Coutumes, Traditions
Origine, histoire des coutumes, traditions populaires et régionales, fêtes locales, jeux d’antan, moeurs, art de vivre de nos ancêtres
Caricature en France :
ses débuts au Moyen Âge
(D’après « Musée de la caricature, ou Recueil des caricatures
les plus remarquables, publiées en France depuis le quatorzième siècle
jusqu’à nos jours » (par Paulin Paris et Ernest Jaime) Tome 1 paru en 1838
et « La caricature à travers les siècles » (par Georges Veyrat) paru en 1895)
Publié / Mis à jour le lundi 5 août 2019, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 7 mn
 
 
 
On a ri de tout temps, et si la caricature est un « mot » relativement nouveau, d’origine italienne et admis depuis le XVIe siècle dans la langue des arts, la « chose » est vieille comme le monde, mais elle ne se réveille chez nous qu’au XIe siècle, d’abord sous la forme de sculptures émaillant les façades des églises, puis d’enluminures dans les romans des XIIIe et XIVe siècles, devenant une arme de mise en lumière des travers moraux et politiques de la société

La caricature est, dans son acception la plus étendue, l’art de donner à l’imitation de la nature et à l’expression des sentiments et des habitudes le caractère de la satire. Dès qu’on a compris l’idéal dans ses rapports avec la beauté, on a dû sentir le besoin de l’idéal dans ses rapports avec la laideur physique et morale. Nous ignorons si Adam et Ève, Abel ou Caïn ont cultivé cet art ; mais nous savons que les Assyriens, les Égyptiens, les Grecs et les Romains l’ont pratiqué non sans succès.

Mais de la fin des temps antiques au Moyen Age, la caricature semble endormie. Au XIe siècle, elle se réveille : « Le goût du grotesque, dit le critique d’art Victor Champier (1851-1929), est l’une des tendances caractéristiques du Moyen Age et se retrouve même dans les plus hautes manifestations de son art. Mais les moyens d’exécution manquent encore à la caricature. Si grande que soit l’habileté du ciseau des sculpteurs, la pierre n’a pas la souplesse des caprices de la pensée.

Gargouilles de la cathédrale Notre-Dame de Paris

Gargouilles de la cathédrale Notre-Dame de Paris

« D’ailleurs, poursuit Champier, l’Église est une surveillante jalouse. C’est seulement à son ombre, dans les oeuvres qu’elle crée ou qu’elle autorise, que la caricature se glissera timidement, faisant grimacer ses personnages sous le porche ou sur les vitraux des cathédrales, ou dans les miniatures des livres d’heures comme celui du duc de Berry. »

Nous pouvons tous voir, sur le portail de la plupart des vieilles églises, ces effroyables gargouilles, ces sphinx, ces chimères, ces démons à la bouche immense et aux jambes de vipère, de tigre et de singe ; toutes ces sculptures sont autant de caricatures du démon, car les livres saints ne donnent nulle part au génie du mal des formes monstrueuses et repoussantes. Mais de même que, pour la Vierge et la sainte Trinité , l’on a cherché l’expression de tout ce qu’on estimait le plus gracieux et le plus noble, on s’est proposé d’affubler l’esprit malin des attributs de la laideur répandus dans tout le système des objets sensibles.

Les sujets qu’affectionne la caricature, écrit Victor Chapier, « processions d’ânes et de porcs, singes revêtus du froc et de la mitre, renards déguisés en moines et prêchant des poules ; ce sont les sujets habituels des fabliaux. C’est ce personnage si populaire du renard, type de l’hypocrisie, c’est le moine libertin et gourmand qu’on représente à la cathédrale de Magdebourg ». C’est le diable aussi que l’on voit figurer sur les arcades sculptées des cathédrales, portant, sur son dos, des évêques, ou menaçant, de ses gros yeux, les fidèles, « faisant ainsi la parade » au profit de l’escarcelle de l’Église.

Sous la plupart de nos basiliques, nous pouvons le voir dans diverses scènes du Jugement dernier. Blotti dans un coin, il assiste à la « pesée des âmes », et tandis que saint Michel met, dans la balance, une âme — figurée par un enfant nu —, le « malin », avec ses doigts fourchus, s’accroche à l’un des plateaux pour le faire basculer. Ou bien debout au sommet d’un monceau de damnés s’entredéchirant de leurs mains crispées, il triomphe avec un rire féroce en contemplant son ouvrage. Ou bien encore, armé d’un trident aux pointes effilées, il transperce des malheureux humains qu’il plonge dans une chaudière bouillante. Dans les bas-reliefs qui couronnent la porte central de Notre-Dame, nous pouvons le contempler se livrant tour à tour aux « occupations » les plus barbares.

Néanmoins le diable n’est pas toujours aussi cruel ; quelquefois il est farceur. C’est ainsi que, sous le portail de Saint-Germain-l’Auxerrois, armé d’un soufflet, il cherche à éteindre le cierge qui brûle entre les mains de sainte Geneviève. D’ailleurs, comme Protée, il change et se transforme à l’infini ; il se montre sous les aspects les plus divers, sous les traits d’un bourgeois, d’un chevalier, d’un moine ou même d’une « jolie femme ».

Renart en train d'enjôler Chantecler le coq. Enluminure extraite du Roman de Renart, manuscrit 1580 (édition 1310-1315)

Renart en train d’enjôler Chantecler le coq. Enluminure
extraite du Roman de Renart (manuscrit n°1580 de la BnF, édition 1310-1315)

Nous retrouvons dans les anciens manuscrits, indépendamment des mêmes motifs de caricatures, les métamorphoses satiriques , et leur premier type semble avoir été créé sous l’inspiration du Roman de Renart. De profonds antiquaires ont cru retrouver certains portraits individuels dans les héros de ce poème ; leur opinion habilement discutée est cependant bien éloignée d’avoir acquis l’autorité de la chose jugée. Il en est du Roman de Renart comme du Gargantua de Rabelais et du Figaro de Beaumarchais ; on y peut aisément reconnaître des individus,’parce que le but des auteurs est d’y peindre l’homme en général, ses vices, ses habitudes et ses extravagances.

Maître Renard est en particulier l’expression de la méchanceté et de la fraude. Il n’affecte pas un costume, un caractère ; il les saisir tous et il en change suivant les circonstances. Tantôt il prend la peau du lion, tantôt la voix bruyante de Bernard Aliboron, l’archiprêtre, ou bien les plumes du paon, la fourrure de la brebis, la robe de darne Hersent la louve. C’est l’image ingénieuse et admirablement dessinée de tous les désordres et de tous les vices qui ont fait de la société leur immense théâtre.

Il n’est pas d’ailleurs inutile de remarquer que Jacquemart Giélée, l’auteur vers 1288 d’une suite au Romand de Renart intitulée Renart Le Nouvel, était contemporain du grand poète de l’Italie, Dante Alighieri (1265-1321). Tandis que l’auteur sublime de la Divina comedia nous transportait dans le monde des intelligences et nous offrait la représentation de toutes les scènes que la Providence arrange dans les enfers, dans le purgatoire et dans le paradis, Giélée, sur un ton moins élevé et d’une voix plus humble, nous racontait les misères de l’humanité, les pièges de la cour, les désordres de la vie religieuse, les ennuis de la vie mondaine ; et pour mieux nous les faire sentir, il les présentait sous le masque des animaux.

Toutefois il est peu de manuscrits anciens du Roman de Renart où l’on voit l’expression pittoresque des caricatures poétiques de Gelée. Les vignettes y sont en petit nombre et toutes se rattachent à des circonstances de la narration étrangères à l’objet de nos recherches. À cet égard, la consultation du Roman de Fauvel, composé vers 1310-1315 par plusieurs auteurs — la majeure partie du texte étant attribuée au clerc Gervais du Bus — est très instructive. Fauvel est une imitation du Renard : sous la peau d’un cheval fauve les auteurs se sont proposé de flageller l’hypocrisie morale, politique et religieuse. Tous les états de la société viennent faire leur cour à Fauvel ; d’abord le pape, puis les cardinaux, les rois, les ministres, les magistrats, les femmes, les chevaliers, les bourgeois et le peuple.

Mariage de Fauvel. Illustration extraite du Roman de Fauvel (1310-1314)

Mariage de Fauvel. Illustration extraite du Roman de Fauvel (1310-1314)

Tous viennent torcher, c’est-à-dire étriller Fauvel. Grâce à tant de courtisans, Fauvel parvient tour à tour à tous les honneurs : il prêche, il plaide, il harangue ; il essaie les couronnes de duc, de roi, d’empereur, enfin la tiare pontificale. Il se marie, il gouverne les hommes. Cependant les démons se réjouissent à leur manière. La terre leur obéit, ils y tiennent leurs grands jours, leur sabbat, leur Pandemonium. La Providence se retire du monde et le tableau de tous ]es désordres sert de fond au rêve poétique de l’auteur.

Nous publions ici l’une des miniatures les plus curieuses de ce manuscrit. Elle se rapporte au mariage de Fauvel et représente, le croirait-on ? un charivari. Il ne sera donc plus permis de douter de la haute antiquité de cette joyeuse et burlesque cérémonie. Dès le XIVe siècle le charivari était la terreur des maris ridicules et la punition des magistrats dont on attribuait l’élévation à la fraude et à l’intrigue. Nous ne pouvons mieux expliquer la miniature de Fauvel qu’en traduisant en français de nos jours le texte qui l’accompagne.

« Fauvel a fait son entrée dans la chambre nuptiale, que l’on avait ornée de somptueux tapis. Le lit était couvert des plus riches draps du monde ; mais le prêtre n’avait pas répandu sur l’oreiller une seule goutte d’eau bénite. Étendue sous la couverture, la dame soupirait après son mari trompeur, sans émotion et sans crainte ; elle l’aimait, elle se croyait assurée de la récompense ordinaire des cœurs enflammés.

« Mais voilà qu’un bruit épouvantable retentit autour d’elle ; jamais semblable charivari ne fut exécuté de mémoire d’homme. Les musiciens ont adopté les costumes les plus ridicules. L’un a la robe devant derrière ; l’autre montre pour tout vêlement un grand sac ou une chappe de moine ; celui-ci ressemble à un ours, celui-là à un démon, cet autre à la mère folle ; l’un tient une grande pelle, l’autre une crécelle, un marteau, un mortier, un pot ou une lèchefrite ; ici des sonnettes, là des violons discordants ou des grilles sur lesquelles court un crochet de métal. Avec ces harmonieux instruments la troupe se met à entonner les chansons qui pouvaient le mieux concourir à l’agrément de l’ensemble. »

En voici quelques vers qu’il nous est possible de citer :

En nom-Dieu, agache, agache,
Vous ne ferez plus vos nids ;
Il n’est nul qui ne vous hache
Trop mieux qu’un balai rôti.
Dame si vos fours est chaud,
N’y mettez pas de galette ;
Mettez-y, etc.

Telle était déjà la caricature en France, au commencement du XIVe siècle. Durant près de deux cents ans, elle conserva son caractère allégorique, et des figures de démons ne cessèrent d’y remplacer avec avantage la charge des figures humaines. Dans l’illustration du Pèlerinage de la vie humaine, et dans l’ingénieux Roman de la Rose, les peintres firent encore de la satire avec des allégories ; mais nous ne nous y arrêterons pas, la planche que nous venons d’offrir à nos lecteurs suffisant pour leur faire apprécier le caractère de la caricature à cette époque du Moyen Âge.

Danse des morts. Enluminure extraite d'un manuscrit du XVe siècle

Danse des morts. Enluminure extraite d’un manuscrit du XVe siècle

Cependant, quelque poignante que fût déjà la satire personnelle, nos pères désespéraient de ses heureux résultats, et pour mieux rappeler l’homme à la dignité de son essence, telle qu’ils la comprenaient, ils inventèrent ces danses de la mort ou danses macabres, admirables et grandioses allégories dans lesquelles la mort apparaît menaçante au milieu de toutes les illusions et de toutes les jouissances du monde. Nous reproduisons l’une des miniatures qui pouvaient donner des anciennes danses des morts une idée juste. Elle est extraite d’un manuscrit du XVe siècle.

Le sens en est fort intelligible : la Mort, chevauchant un coursier indompté, tient sous le bras gauche un cercueil. De la main droite elle brandit rapidement une flèche acérée. Cependant, le cheval confond à ses pieds les cadavres encore palpitants du pape, du cardinal et de l’habitant des campagnes. Sur le même plan, le roi se trouve englouti dans la gueule immense du Leviathan, emblème de l’enfer, et la terreur du roi forme avec le faste de ses vêtements un contraste qui rappelle admirablement la vanité de toutes choses. On remarquera d’ailleurs combien cette manière de représenter la Mort est supérieure à la faux et au sablier des anciens. Les Anglais, qui désignent encore le redoutable squelette sous le nom de grand archer, semblent avoir mieux profité que nous des souvenirs de la danse des morts.

Voici les vers placés au bas de la miniature que nous offrons :

Mort fait finablement
Tous aller au jugement.

Pensez doncques, vivans, aux instrumens,
Et advisez comment vous le ferez.
Après danser, viendrez au jugement
Auquel estroit examinés serez,
Et là, tout prest, le juge trouverez
Qui de vos faits vous rendra le salaire.
Qui bien aura dansé, pour lui complaire,
Aura un prix riche et inestimable ;
Le mal dansant aura, pour satisfaire,
Feu éternel, puant, abhominable.

La troisième planche proposée dans cet article est sans contredit l’une des premières gravures auxquelles puisse exactement convenir le nom de caricature. Elle semble avoir été faite en 1499 dans les premiers jours du bon roi Louis XII. À peine débarrassé de la triste Jeanne de France et récompensé de vingt années de constance par son mariage avec la duchesse de Bretagne, Louis tourna ses regards du côté de l’Italie ; il voulut, comme avant lui Charles VIII, et comme après lui le gros garçon François Ier, ajouter le titre de roi de Naples celui de roi de France, certes le plus beau titre du monde ; mais il sentit la nécessité avant d’entrer en campagne, de sonder les intentions de ses voisins. Les Suisses, auxquels il fallait demander passage, paraissaient fort mal disposés à l’accorder ; soutenus secrètement par l’or et les belles promesses des Pays-Bas et de l’Angleterre, ils annonçaient hardiment la résolution de s’opposer à l’entreprise des Français sur le royaume de Naples.

C’est alors que parut notre caricature. Elle a pour nom : Le Revers du jeu des Suysses. Autour d’une table couverte de pièces d’or sont assis le roi de France, le Suisse et le duc de Venise. Le roi annonce qu’il a flux, le Suisse tient l’envy du roi, et le doge passe. Cependant, derrière les joueurs sont d’autres personnages.

Le Revers du jeu des Suysses. Caricature publiée en 1499

Le Revers du jeu des Suysses. Caricature publiée en 1499

Le pape (Alexandre VI) ne pouvant malgré tous ses efforts lire dans le jeu du roi, attend pour se déclarer que la partie soit mieux engagée. L’empereur se plaît à considérer les effets de l’art qu’il a mis à brouiller les cartes. Les rois d’Espagne et d’Angleterre, le duc de Wurtemberg — le Wurtemberg était une ancienne seigneurie de la Germanie élevée en 1495 au rang de duché par le roi de Germanie Maximilien Ier (qui deviendra quelques années plus tard l’Empereur du Saint-Empire romain) —, le comte Palatin — le palatinat du Rhin était l’un des électorats du Saint-Empire romain germanique — et Jacques de Trivulce — chef d’une armée de mercenaires soutenant la papauté — manifestent chacun de leur côté leurs inquiétudes et leurs espérances.

Le duc de Milan, Ludovic Sforza dit le More, ramasse les fausses cartes, c’est-à-dire ce que nous nommons aujourd’hui le talon, pour arranger un flux à sa convenance. Le duc de Lorraine sert le vin aux joueurs. Le marquis de Monferrat partage avec lui les désagréments de la dépense générale. Enfin l’infante Marguerite — « La gente demoiselle / Qu’eut deux maris et si morut pucelle » — se place derrière les joueurs et leur indique par ses oeillades ce qu’ils devront jouer tour à tour.

Tel est le Revers du jeu des Suysses. Ce serait faire beaucoup d’honneur à cette caricature de lui accorder le mérite de l’accommodement des Suisses avec Louis XII ; mais il est certain que les premiers témoignages de leur mauvaise humeur n’eurent pas de suite et que les Sept-Cantons n’opposèrent aucun obstacle sérieux à la première expédition de Louis XII en Italie.

On connaît les résultats de ce voyage. Le duché de Milan fut conquis, Ludovic Sforza qui retenait l’héritage de son neveu fut non seulement obligé de l’abandonner aux mains d’un deuxième compétiteur, il lui fallut encore accepter une prison en échange du Milanais ; conduit en France et enfermé au château de Loches, d’où il ne sortit que dix ans plus tard pour entrer dans la tombe.

 
 
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