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9 septembre 1901 : mort du peintre et dessinateur Henri de Toulouse-Lautrec

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9 septembre 1901 : mort du peintre
Henri de Toulouse-Lautrec
(D’après « La Nouvelle Revue », paru en 1913)
Publié / Mis à jour le dimanche 8 septembre 2024, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 

Henri, comte de Toulouse-Lautrec-Monfa, naquit le 24 novembre 1864, dans un vieil hôtel, sis rue de l’École-Mage, à Albi. Il descendait en ligne directe des historiques comtes de Toulouse qui régnèrent sur l’Albigeois et dont certains épousèrent des princesses de sang royal. La femme de Raymond V était la fille du roi de France Louis VI le Gros ; celle de Raymond VI était la sœur du roi d’Angleterre, Richard Cœur de Lion. Baudouin de Toulouse, ou Balduin, comme on disait alors, frère de Raymond VI et oncle de Raymond VII, épousa Alix, « comtoresse » de Lautrec, et le nom de Lautrec s’ajoute dès lors, sans interruption, au nom patronymique des Toulouse.

Henri de Toulouse-Lautrec se souciait peu de ces nobles détails. A l’âge de sept ans, on le mena à Paris commencer ses études au lycée Condorcet : d’esprit très éveillé, il ne voulut plus bientôt travailler qu’avec sa mère. À treize ans, il eut les deux jambes brisées et sa croissance s’arrêta brusquement ; cet accident lui donna définitivement cette apparence baroque qui explique une part de son caractère et peut-être de son talent.

Henri de Toulouse-Lautrec

Henri de Toulouse-Lautrec

Il avait la passion du dessin ; il passa la première partie du baccalauréat, mais ce fut tout ; il fut impossible de lui faire préparer la seconde partie. Il ne voulait plus que dessiner et peindre. Il était encouragé dans cette voie par le peintre de chevaux, Princeteau, qui lui donna quelques conseils, puis l’envoya dans les pacifiques ateliers Bonnat et Cormon, où il se dégoûta à tout jamais de l’académisme. Ses admirations allaient à Degas, Ingres, les Japonais, Vélasquez, Goya.

Mais surtout Lautrec découvre alors Montmartre où il passera sa vie, sauf quelques mois d’été, et dont il devient et restera le peintre pour l’éternité. Un Montmartre beaucoup plus pittoresque, moins cosmopolite que le Montmartre d’aujourd’hui ; moins de restaurants de nuit, moins de cabarets soi-disant artistiques, mais le Chat-Noir, le Moulin-Rouge, Bruant, le Divan-Japonais, Yvette Guilbert à ses débuts, le Moulin de la Galette, sans faste ni décorations ; la Goulue, Valentin le Désossé, Jane Avril, la première génération des chansonniers, et presque autant de filles plâtrées, effarantes de vice et de naturel, vrais tableaux vivants qui n’attendent qu’un Goya ou un Lautrec pour léguer au temps à venir leur physionomie paradoxale et barbare.

« Ce nouveau Chanaan, écrit le critique d’art Gustave Coquiot (1865-1926), offre à Lautrec tout ce qu’il chérit déjà : des gens pittoresques et une excessive liberté de mœurs. Cette terre promise, ce cloaque plutôt où fourmillent toutes les vermines, l’a envoûté. Mais la plupart des peintres de Montmartre ne le voyaient pas ; et ce fut Lautrec qui nous le magnifia. Il travaillait avec un entrain régulier. Même au café de la Place-Blanche et au Rat-Mort, perdu dans un tumulte, il paraphait sans cesse des types, avec quelques indications du crayon et du pouce, de ce mouvement répété en touches, si amusant pour ceux qui l’ont vu faire.

« Et c’était toujours une suite de croquis caractéristiques et, comme on dit familièrement, très ressemblants. Du reste, sa mémoire des formes, des tares particulières à chaque individu observé, fût-ce un instant, était non moins surprenante. Souvent, par exemple, il lui arrivait de vous demander : Quel est le nom du type qui nous a parlé l’autre jour, au Moulin ? Et si l’on cherchait, si l’on questionnait : Comment est-il ? Vite, d’un coup de crayons, avec quelques traits, écrasés ici, affermis là, il campait irrésistiblement le bonhomme, nous faisant crier : Mais c’est un tel ! Bientôt, tout Montmartre connut Lautrec. »

Partout, au Moulin-Rouge, au Clou, au Hanneton, à la Souris, chez Bruant, Lautrec dessinait. Il avait le goût, l’amour de tout ce qui est particulier, original : c’est par là que ces bocaux à monstres le retenaient. Lautrec savourait tout et totalement, jusqu’au fond du verre, et pour mieux aimer et comprendre Montmartre, il s’en fourra jusque là, filles, alcool et génie compris, écrit l’essayiste Louis Thomas (1885-1962) : le résultat fut l’œuvre entière de Lautrec, lithographies, dessins et peintures, et puis ensuite un bon petit internement dans une maison de santé, en 1899, et une mort prématurée, le 9 septembre de l’année 1901, au château de Malormé.

La Goulue arrivant au Moulin Rouge (1892), par Henri de Toulouse-Lautrec

La Goulue arrivant au Moulin Rouge (1892), par Henri de Toulouse-Lautrec

« Il restait à son atelier tout le jour, écrit le poète et journaliste André Rivoire (1872-1930) dans La Revue de l’art ancien et moderne peu après la mort de Toulouse-Lautrec, debout avec l’aube, après un très court, trop court sommeil. Car il se couchait toujours fort tard. Sa journée finie, on le voyait, le soir, un peu partout, dans les théâtres et dans les music-halls, dans tous les endroits où l’on veille, parlant haut et clair, comme s’il était seul, avec une complète insouciance, un extraordinaire mépris du monde extérieur.

« Tout en lui se faisait remarquer. Et d’abord son petit corps trapu, difforme, au buste long, aux jambes courtes et roides. Il marchait lentement, péniblement, se traînant plutôt, d’une main toujours rasant les murs, appuyé de l’autre sur sa moitié de canne, qu’il ne quittait jamais. La figure aussi, était inoubliable, très intelligente et très fine, malgré les lèvres grosses, énormes et comme débordantes. Les yeux noirs, derrière le lorgnon, brillaient curieux et amusés de tout. On le voyait une fois, on ne l’oubliait plus. »

C’est par son physique, en effet, qu’il attirait tout d’abord l’attention ; mais son caractère, sa personne morale étaient tout aussi surprenants. « Il avait une âme ardente, avec le goût héréditaire des chevaux et des grandes chasses, nous dit son camarade André Rivoire. Parfois, une sorte de rage s’emparait de lui, le matin, tandis que partaient ses cousins et ses oncles avec les piqueurs et les chiens. Plus tard même il avouait souvent : Dire que si j’avais eu les jambes un peu plus longues, je n’aurais jamais fait de peinture. Il exagérait certainement, il était né peintre. Mais son infirmité fortifia encore une vocation que d’ailleurs personne n’entravait. On l’encourageait, loin de la combattre. Car on y voyait pour le pauvre être une compagnie et une distraction, sinon une carrière, que l’on ne prévoyait pas si brillante. »

Lautrec apporta dans l’exercice de son art une sorte d’avidité aristocratique qui n’est pas de la goinfrerie, mais qui est une façon de vider le verre jusqu’à la lie, puis de le briser en le reposant dédaigneusement sur la table, qui ne ressemble pas du tout à la sensibilité épaisse et ouvrière d’un Courbet, par exemple, explique Louis Thomas. Ce qu’il lui fallait, c’était ce qui ne se rencontre qu’une fois et, pour l’épuiser tout d’un coup, il le peignait ou le définissait d’un mot, d’un trait ineffaçable.

« Perfection des muscles, des nerfs, de l’entraînement de l’adresse, d’un métier, d’une technique, écrit excellemment en 1901 le critique d’art Thadée Natanson (1868-1951) dans La Revue blanche, voilà pourquoi l’attiraient les luttes à mains plates, les courses de chevaux, les vélodromes, la toilette féminine, la nouveauté d’un talent, l’opération conduite par un grand chirurgien. Certains s’étonnaient qu’il se plût au spectacle de tant d’exercices divers et qu’il ne distinguât pas entre les efforts pourvu qu’il les vît tendus.

« Mais c’est justement qu’il ne poursuivait en tout qu’un seul objet. Sans doute il tirait beaucoup de joie des apparences, mais c’est avant tout leur essence qui l’attirait, et plus précisément encore que la qualité d’un aspect le degré de sa rareté. Combien de fois s’était-il promis de ne pas manquer à deux enterrements, celui du pape, mais surtout de la reine d’Angleterre ! Il a fait le portrait d’un homme en qui il n’admirait que cette supériorité, qu’il eut toujours aux pieds, en dépit d’une fortune modique, les souliers les mieux cirés qu’on pût voir.

« II avait encore en partage cette sorte de sagesse qui fait préférer toujours l’aspect d’une chose aux signes qui en exprimeraient une ressemblance. Si fort qu’il aimât les tableaux ou les bronzes, il n’est pas de collection qu’il n’eût délaissée pour un animal curieux. Il pouvait passer des journées à en contempler. Un voyageur ayant parlé d’un produit présumé d’une chatte et d’un écureuil, il était prêt à quitter sur l’heure tous les travaux qu’il avait en train et restait longtemps triste de n’avoir pas connu le monstre. C’est dans le même sens ou à peu près que devant certaines merveilles, décors ou physionomies qui l’avaient fait crier de joie, il renonçait à rien tenter d’après, non qu’il s’en fût lassé : C’est trop fait ! déclarait-il. Cette poursuite de la perfection, de l’exceptionnel, voilà une habitude d’esprit qui peut élever un homme au-dessus de bien des misères, même des disgrâces physiques. »

Jane Avril au Jardin de Paris (1893), par Henri de Toulouse-Lautrec

Jane Avril au Jardin de Paris (1893), par Henri de Toulouse-Lautrec

Toute l’œuvre de Lautrec n’est que l’expression de son caractère, de ses goûts. L’exceptionnel, l’inattendu, l’original, le rare, voilà son domaine, son seul objet oui, jamais, affirme Louis Thomas, l’on ne reverra ce profil splendide, ardent, à la fois peuple et race, de la Goulue ; jamais la tête toute en arête, les os formidables, cet ensemble d’un mort et d’un homme que l’on conduit à la guillotine, de Valentin le Désossé ; jamais plus Guitry n’aura l’air jeune comme sur la lithographie de Lautrec, et qui pourrait nous redonner la petite face de rongeuse de Jane Avril ?

Que l’on n’aille pas dire de Lautrec, comme de tant de caricaturistes, qu’il voit seulement en laid, poursuit Louis Thomas. Jamais phrase plus sotte, d’ailleurs : le véritable artiste voit, et son regard est si perçant que lorsque l’on vous présente le résultat de son examen, de son enquête, vous vous évanouissez d’horreur.

Toulouse-Lautrec fut un grand dessinateur, un dessinateur fou de vérité, comme Hokousaï, comme tous ces Japonais qu’il aimait tant. Mais en même temps un esprit de mépris, de gouaille, jusque dans l’intelligence du vice bête, qui est tout à fait l’équivalent des comédies, par exemple. Et puis un don prodigieux de rester net et exact, toujours, de ne pas aller chercher midi à quatorze heures, de ne pas vouloir mettre de la profondeur là où il n’y en a pas ; quelque chose de précis, de pas nébuleux, pas hypothétique. Tout cela, c’est le vrai rapin, qui sent, qui voit, qui pense en peintre ; et c’est le Français par-dessus le marché, écrit encore Louis Thomas : un monsieur à qui l’on n’en fait point accroire et qui démolirait d’une chiquenaude une tour de Babel d’idéologies. « Un tel, disait Lautrec de l’un de ses amis, il est très bien, il a l’air d’une sole ! » Quelle définition totale, d’un mot.

Les mots de Lautrec ne sont malheureusement pas répétables ; il y en a de baroques, il y en a de terribles ; ils expriment la valeur et les limites de Lautrec, valeur immense dans un domaine très précis, et inintelligence totale, ou mépris absolu, comme il vous plaira, de la grande poésie, par exemple, de ce qui est purement intellectuel ou passion profonde.

 
 
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