9 septembre 1668 : reprise de L'Avare, de Molière

Cette pièce avait été donnée en 1667 ; mais le même préjugé qui avait fait tomber le Festin de Pierre, parce qu’il était en prose, empêcha également le succès de L’Avare. Molière sachant qu’il faut ménager les hommes quand ils ont tort, donna au public le temps de revenir, et ne redonna L’Avare qu’un an après. La pièce reçut alors tous les applaudissements qu’elle méritait.

Il y a dans L’Avare quelques idées prises de Plaute, mais que Molière a beaucoup embellies. Plaute avait imaginé le premier de faire en même temps voler la cassette de l’Avare, et de séduire sa fille ; c’est de lui qu’est la scène du jeune homme qui vient avouer le rapt, et que l’Avare prend pour le voleur. Molière a encore imité ce passage de Plaute, où l’Avare, s’adressant aux spectateurs, leur dit : « Mon voleur n’est-il point parmi vous ? Vous riez ; ah ! messieurs, je vois ici bien des voleurs ! Video fures hic esse complures. »

L’acteur Jean-Baptiste Fauchard dit Grand-Ménil (ou Grandmesnil) dans le rôle d’Harpagon (1790) de la pièce L’Avare

Et cet autre endroit, où ayant examiné les mains du valet qu’il soupçonne, il demande à voir la troisième : Ostende tertiam. Mais ici il est supérieur à son modèle, en faisant dire à son Avare : « Montre-moi l’autre. »

Il est possible aussi que Molière, à qui notre ancien théâtre était bien connu, ait emprunté quelques traits de son Avare de celui que Pierre de la Rivey a placé dans sa comédie des Esprits (1578), pièce plaisante pour le temps. Voici comment cet auteur fait parler son avare, quand celui-ci s’aperçoit qu’il vient d’être volé :

SÉVERIN seul, regardant sa bourse.

« Jésus, qu’elle est légère ! Vierge Marie, qu’est-ce ceci qu’on a mis dedans ? Hélas ! Je suis perdu, je suis détruit, je suis ruiné ; au voleur ! au larron ! prenez-le, arrêtez tous ceux qui passent. Fermez les portes, les huis, les fenêtres. Misérable que je suis, où cours-je ? à qui le dis-je ? Je ne sais où je suis, ce que je fais, ni où je vais. (Aux spectateurs) Hélas ! mes amis, je me recommande à vous tous ; secourez-moi ; je vous prie, je suis mort, je suis perdu. Enseignez-moi qui m’a dérobé mon âme, ma vie, mon cœur et toutes mes espérances ! Que n’ai-je un licol pour me pendre ; car j’aime mieux mourir que de vivre ainsi.

« Hélas ! elle est toute vide : vrai Dieu ! qui est ce cruel qui tout-à-coup m’a ravi mes biens, mon honneur et ma vie ? Ah ! chétif que je suis, que ce jour m’a été malencontreux ! A quoi veux-je plus vivre, puisque j’ai perdu mes écus que j’avais si soigneusement amassés, et que j’aimais et tenais plus chers que mes propres yeux ? Mes écus que j’avais épargnés, retirant le pain de ma bouche, n’osant manger mon saoul, et qu’un autre jouit maintenant de mon mal et de mon dommage. »

On retrouve encore dans la pièce de la Rivey et le quiproquo de la scène 3 du 5^e  acte de L’Avare de Molière, les beaux yeux de ma cassette, et à peu près le même dénouement.