Coutumes, Traditions Origine, histoire des coutumes, traditions populaires et régionales, fêtes locales, jeux d’antan, moeurs, art de vivre de nos ancêtres Corsaires : des pirates« de métier » ? (D’après « Revue de synthèse historique », paru en 1932) Publié / Mis à jour le mercredi 10 mai 2023, par Redaction Temps de lecture estimé : 4 mn Il semble bien qu’il n’ait jamais existé en France ni ailleurs une définition officielle de la Course maritime, au sens d’une définition juridique formulée ou officiellement adoptée par un gouvernement. À défaut, on s’attendrait à en trouver une dans le célèbre Commentaire de René Valin (1766) sur l’Ordonnance de la Marine de 1681 ; on est déçu de ne l’y pas trouver. Plus déçu encore, ouvrant le Glossaire nautique d’Auguste Jal (1848), d’y rencontrer une définition sans valeur, alors que les autres articles relatifs à la Course y sont aussi justes qu’intéressants. Dans les autres dictionnaires, généraux ou spéciaux, dans les publications diverses, pas de définition satisfaisante. Pour essayer d’en établir une vraiment adéquate, le mieux, sans doute, est de se rappeler d’abord quel fut, en principe, le mécanisme de la Course durant la période (XVIIe-XIXe siècles) où elle était nationalement et internationalement réglementée. On arrive ainsi à la formule suivante, nécessairement assez longue, mais historiquement fondée et acceptable. COURSE MARITIME, dite aussi Guerre de Course. Ensemble d’opérations très réglementées, nationalement et internationalement, aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, et qui avaient : 1° pour moyens d’action très exceptionnels : des navires de guerre prêtés par un gouvernement à des armateurs privés ; pour moyens d’action ordinaires : des bâtiments de commerce appartenant à des particuliers et montés de marins du commerce (par exception et en partie, de marins prêtés par l’État) ; 2° pour but, de la part de l’État : affaiblir le commerce maritime de l’ennemi et entraver ses relations par mer ; de la part des armateurs et actionnaires, comme des équipages : réaliser des gains aux dépens de ce commerce ; 3° pour méthode : éviter corsaires et navires de guerre, capturer des bâtiments de commerce avec leurs cargaisons, le tout à vendre suivant les règles légales, en un port de la métropole ou de ses colonies. Quant à Corsaire, on connaît la définition de Jal, dans le Glossaire nautique : « Nom donné au marin qui fait la Course avec l’autorisation du gouvernement... Par métonymie, on a donné le nom de l’homme qui fait la course au navire sur lequel il la fait », un corsaire, pour : un bâtiment corsaire. Cette définition, très bonne du point de vue légal, suggère deux observations. L’une : qu’elle englobe parmi les corsaires réguliers ceux des États barbaresques, bien qu’en fait, historiquement, ils n’aient jamais été autre chose que des pirates : mais ils étaient « autorisés par le gouvernement » et même organisme permanent d’État. L’autre, qu’elle implique l’existence de marins qui faisaient la Course sans autorisation gouvernementale ; l’expression « faire la Course » ayant en soi la signification générale et imprécise de « courir les mers », mais impliquant, en ce cas, une action piratique. Et l’on voit que Jal, naturellement, refuse à ces marins-là le nom de Corsaires. Mais ils le prenaient, ce nom, repoussant la qualification de pirates ou, comme on disait aux Antilles surtout, de forbans. Au XVIIe siècle, ils s’intitulaient aussi, parfois, armateurs ; le mot était alors synonyme de Corsaire, homme ou navire. Ce fait que les pirates « de métier » — Barbaresques et autres — se désignaient eux-mêmes par le nom de Corsaires, contribua notablement à maintenir au nom un sens péjoratif. Sens qui, au XVIIe siècle, était bien des fois séculaire. C’est que, jusqu’alors, aucune puissance maritime européenne n’avait voulu avec persévérance, ou su, soit établir un vrai code à l’usage de la Course et des corsaires, soit réprimer les délits et les crimes presque journellement commis par des équipages de navires plus ou moins régulièrement armés en Course, ou par des capitaines ou patrons de bâtiments de commerce qui, de leur propre autorité, se déclaraient Corsaires. Et l’établissement de règles internationales reconnues, à cet égard, était encore inexistant ou à peu près. Après qu’au XVIIe siècle la Course eut été réglementée en détail et avec précision, on eut, quelque temps, des illusions sur l’efficacité de ces mesures légales ; bien que, comme l’écrit Jal, les règles, les usages, de cette guerre très spéciale, dussent fatalement rester « beaucoup moins chevaleresques (sic) que ceux de la guerre ordinaire entre vaisseaux de nations civilisées ». En fait, désormais, les actes criminels de haute gravité furent beaucoup moins fréquents, malgré la multiplicité des guerres maritimes : on n’en aurait plus toléré longtemps le retour. Par contre, les autres actes criminels, et les actes délictueux de toute nature, s’ils n’augmentèrent pas en nombre proportionnel, s’accrurent considérablement en nombre absolu, par suite de ces guerres rapprochées et longues ; les nations intéressées n’ayant jamais voulu s’entendre pour une répression simultanée, ni aucune d’elles donner l’exemple de châtier vigoureusement ses nationaux coupables. On était comme prisonnier d’un système de guerre qui, de par sa nature, ne pouvait être rendu « chevaleresque » (comme dit Jal), et qu’on ne désirait pas, au fond, voir tel. Ajoutons enfin qu’aux Antilles, durant les trois derniers quarts du XVIIe siècle, les nations colonisatrices (surtout la France et l’Angleterre), et plus encore leurs agents coloniaux, ont souvent employé de façons très médiocrement « régulières » et sous la dénomination de « Corsaires », leurs flibustiers, c’est-à-dire des pirates ; le reste du temps, ils en ont tout au moins encouragé les pirateries. Le Corsaire au pistolet. Œuvre d’Etienne Blandin. Quelle fut la répercussion de ces faits sur le sens du mot, c’est ce que montrera entre autres un texte de la Collection de décisions nouvelles du bon jurisconsulte que fut Denisart (1ère édition de 1754-56, tome I) : « Les corsaires, écrivait-il, sont des gens qui courent les mers pour voler et piller tout ce qu’ils peuvent prendre ». L’assimilation continuait donc entre les mots Pirate et Corsaire, en raison des innombrables actes piratiques commis sans cesse par l’immense majorité des corsaires « réguliers » de toutes les nations maritimes. Assimilation injuste, parce qu’elle généralisait à l’excès, sans égard aux exceptions, et que, juridiquement comme historiquement., elle constitue une pseudo-définition incomplète. Le jugement trop sommaire émis par Denisart et d’autres, en France et davantage encore à l’étranger, s’est perpétué jusqu’à maintenant. Chez nous (excepté dans certains ports où l’admiration pour les corsaires est article de foi), l’opinion du public se traduit volontiers par ces mots : « Les corsaires ? C’étaient des espèces de forbans ». Or, si l’on s’en tenait à la définition de Jal, définition basée uniquement sur une fiction légale, on laisserait dans l’esprit du lecteur non informé l’impression que les corsaires ont été respectueux des prescriptions légales, ce qui serait beaucoup plus éloigné de la vérité que ne l’est le sommaire jugement dont on a rapporté deux modes d’expression. La première phrase de Jal est donc du point de vue légal une bonne définition ; mais elle ne définit pas du tout ce que furent historiquement les corsaires. Ce n’est pas — il s’en faut — le seul cas où la définition d’une institution d’après les lois qui prétendaient la régir est loin d’exprimer sa vie dans l’histoire, et où l’impossibilité d’une définition historique tenant en peu de lignes oblige qui veut être renseigné à recourir à la lecture de tous les textes explicatifs. Valin, donnant le préambule du Règlement royal du 31 août 1710, « pour informer du pillage des prises », débute ainsi : « S. M. étant informée que — quelque soin qu’on ait pris par les Ordonnances anciennes et. nouvelles sur le fait de la marine ; quelques précautions que l’on ait apportées jusqu’à présent pour empêcher les pillages, déprédations d’effets, divertissements et autres malversations qui se commettent souvent dans les prises faites par les armateurs ; quelque sévères qu’aient été les peines prononcées par ces lois... — cependant tous ces règlements n’ayant pu arrêter une licence qui augmente tous les jours par l’impunité des coupables, par le peu d’attention des officiers des sièges de l’Amirauté à en procurer la punition, et par les difficultés qui empêchent souvent qu’on ait une preuve certaine et juridique de ces délits ; S. M., connaissant la nécessité d’en arrêter le cours... », etc. Texte de 1710 ; or, qui lit les passages de Valin indiqués ci-dessus, voit que cet auteur écrivant vers 1765 constatait exactement le même état de choses. 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