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2 septembre 1910 : mort du peintre Henri Rousseau dit le Douanier

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Éphéméride, événements
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2 septembre 1910 : mort du peintre
Henri Rousseau dit le Douanier
(D’après « Les Soirées de Paris » paru en 1914,
« Mercure de France : série moderne » paru en 1928
et « Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche » du 20 novembre 1926)
Publié / Mis à jour le vendredi 2 septembre 2022, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 7 mn
 
 
 
Cas presque unique dans l’histoire des arts, un employé d’octroi commence à peindre vers la quarantaine et retrouve d’instinct les vérités que des artistes plus conscients n’atteindront jamais, sa vocation s’avérant plus forte que son milieu, la haine, les événements et la misère

Henri-Julien-Félix Rousseau naquit à Laval, en Mayenne, le 20 mai 1844, dans cette même et riante préfecture où devait naître, 29 ans plus tard celui dont devait croiser le chemin, Alfred Jarry, créateur extravagant de l’immortel père Ubu. Du registre de l’état-civil pour l’année 1844 nous extrayons l’acte suivant :

« L’an mil huit cent quarante-quatre, le vingt-un mai, à trois heures du soir, par devant nous, conseiller municipal remplissant à défaut de Maire et adjoints les fonctions d’officier de l’État-civil de Labal, chef-lieu du département de la Mayenne, est comparu : Julien Rousseau, ferblantier, né à Laval le cinq mai 1808, y demeurant place Hardy, lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin, né hier matin à une heure, dans sa maison, de lui déclarant et de Éléonore Guyard, son épouse, née à Laval, le 15 août 1819, y mariés en 1837, et auquel enfant il a déclaré donner les prénoms de Henri, Julien, Félix. » Son grand-père paternel fut marchand, et son grand-père maternel capitaine au 3e bataillon de la Légion de la Côte-d’Or, né lui-même à Laval en 1791.

Moi-même. Autoportrait du Douanier Rousseau (1890)

Moi-même. Autoportrait du Douanier Rousseau (1890)

Henri Rousseau fut surnommé le Douanier parce qu’il avait été employé de l’octroi et qu’en effet douanier peut être considéré comme le terme noble qui désigne cette qualité. Le Douanier avait été découvert par Alfred Jarry, dont il avait beaucoup connu le père. La simplicité du bonhomme avait tout d’abord beaucoup plus séduit Jarry que les qualités du peintre. Plus tard cependant, l’auteur d’Ubu Roi devint très sensible à l’art de son ami qu’il appelait le mirifique Rousseau. Celui-ci fit son portrait, où était représenté aussi un perroquet et ce fameux caméléon qui fut quelque temps le compagnon d’Alfred Jarry. Ce portrait fut brûlé en partie.

Celui qui le premier encouragea les essais du peintre de Plaisance fut incontestablement Remy de Gourmont. Il commanda même à Rousseau une lithographie, Les Horreurs de la guerre, qui fut publiée dans l’Imagier. Remy de Gourmont avait su par Jarry que le Douanier peignait avec une pureté, une grâce et une conscience de Primitif. Il avait vu quelques-unes de ces gerbes qu’il peignait pour les boulangeries de son quartier et il lui arrivait de le rencontrer parfois à certains carrefours de la Rive gauche où le vieux Rousseau jouait, sur le violon, des mélodies de sa composition et faisait chanter aux petites ouvrières l’air en vogue. Il jouait aussi, en ce temps-là, aux concerts des Tuileries.

Quand on l’interrogeait sur cette époque de sa vie, il ne paraissait se souvenir que des fruits qu’il avait vus là-bas et que les soldats n’avaient pas le droit de manger. Mais ses yeux gardaient d’autres souvenirs : les forêts tropicales, les singes et les fleurs bizarres...

Les guerres ont tenu une place importante dans la vie du Douanier. En 1870, la présence d’esprit du sergent Rousseau épargna à la ville de Dreux les horreurs de la guerre civile. Il aimait à détailler les circonstances de ce haut fait et sa vieille voix avait des inflexions singulièrement orgueilleuses quand il en venait à dire que le peuple et l’armée l’avaient acclamé, en criant : « Vive le sergent Rousseau ! »

Ceux qui connurent Henri Rousseau se souvenaient du goût qu’il marquait pour les fantômes. Il en avait rencontré partout et l’un d’eux l’avait tourmenté, pendant plus d’une année, au temps où il était à l’octroi. Le brave Rousseau était-il en faction, son revenant familier se tenait à dix pas de lui, le narguant, lui faisant des pieds de nez, lâchant des vents puants qui donnaient la nausée au factionnaire. A plusieurs reprises, Rousseau essaya de l’abattre à coups de fusil ; mais un fantôme ne peut plus mourir. Et s’il essayait de le saisir, le revenant s’abîmait dans le sol et reparaissait à une autre place...

Rousseau affirmait encore que Catulle Mendès avait été un grand nécromant : « Il vint me chercher un jour à mon atelier, disait-il, et m’amena dans une maison de la rue Saint-Jacques, où, au troisième étage, se trouvait un moribond dont l’âme flottait dans la chambre sous la forme d’un ver transparent et lumineux... » Il est bien possible qu’après tout Rousseau attigeât la cabane et que l’histoire n’eût rien d’authentique, mais il la racontait ainsi, et ses récits de revenants étaient innombrables.

À la suite d’une affaire compliquée de chèque, qu’il n’avait pas très bien comprise, Rousseau fut une fois condamné par la Cour d’assises. On lui appliqua cependant la loi Bérenger. On aurait bien dû l’acquitter, car il avait été imprudent mais non criminel, ayant été roulé par un ancien élève à lui auquel il avait donné des leçons de clarinette. Quand il apprit qu’il bénéficiait de la loi de sursis, le Douanier ne se tint pas de joie et dit poliment : « Mon président, je vous remercie, et, si vous voulez, je ferai le portrait de votre dame. » Cette affaire ne laissa pas de gâter ses vieux jours. Il avait aimé toute sa vie, d’abord une Polonaise, Yadwigha, qu’il n’oublia jamais et qui lui inspira Le Rêve, son chef-d’œuvre, et ensuite ses deux femmes, dont il a laissé les simples et gracieuses effigies.

A soixante-quatre ans, il s’amouracha d’une veuve de cinquante-quatre ans, qu’il voulut épouser. Il alla chez les parents solliciter la main de leur fille. Mais ceux-ci ne voulurent rien entendre, disant qu’il avait été condamné et qu’il était un peintre ridicule. Voilà le pauvre Douanier désolé. Il alla chez ses amis solliciter des certificats de talent et d’honnêteté. Son marchand de tableaux, Vollard, lui en écrivit un sur papier timbré. Mais rien n’y fit. La demoiselle ne l’aimait quoi qu’il en soit vraisemblablement point : il lui acheta un jour pour cinq mille francs de bijoux ; elle ne vint même pas à son enterrement.

Rousseau, depuis qu’il s’était adonné à la peinture, vivait misérablement et laborieusement. Il faisait beaucoup de tableaux de famille pour les petits commerçants du quartier de Plaisance, où il habitait. Pendant les dernières années de sa vie, des étrangers distingués s’étaient mis à lui acheter de la peinture. Des amateurs français, des marchands, lui commandèrent des tableaux et le Douanier connut une petite aisance, mais pendant fort peu de temps, l’amour l’ayant rendu magnifique et l’obligeant à dépenser tout ce qu’il avait mis de côté.

La Carriole du père Junier. Peinture du Douanier Roussau (1908)

La Carriole du père Junier. Peinture du Douanier Roussau (1908)

Le Douanier fut une des illustrations de la Société des Artistes Indépendants, où, en 1911, la jeunesse artistique tint à l’honorer en organisant pieusement une exposition rétrospective de ses oeuvres. Devant ces toiles on prononça les noms de Taddeo Gaddi, de Paolo Uccello, de Cézanne, de Poussin ; on mentionna les primitifs siennois, pisans et les Hollandais...

Rousseau aimait à donner des soirées où il invitait des gens de lettres, quelques peintres, de belles étrangères et les demoiselles de son quartier. Ses élèves donnaient un petit concert, on récitait des vers, Rousseau chantait gaiement les chansonnettes de sa jeunesse, et après avoir bu un verre de vin, l’on s’en allait tout content d’avoir passé quelques heures en compagnie d’un brave homme.

Voici, par exemple, la teneur d’une invitation lancée par Rousseau pour une de ses soirées : « M. Rousseau vous prie de vouloir bien honorer de votre présence et prêter votre concours à la soirée toute familiale et artistique qui aura lieu le samedi 10 juillet 1909, rue Perrel, 2 bis. H. Rousseau. » Il dessinait lui-même les programmes de ses soirées qui, polycopiés en rouge et en violet sur la gélatine, constituent de précieuses et rares images.

Le défaut de science était, chez Rousseau, grandement compensé par l’abondance des qualités artistiques et par une force qu’il empruntait sinon à la science des professeurs, du moins à sa conscience, à la connaissance qu’il avait des choses, et tout de même quand on peint quarante ans durant, comme il fit, on serait un phénomène si on n’arrivait pas à une certaine maîtrise.

Il avait un sentiment si fort de la réalité, que quand il peignait un sujet fantastique, il s’épouvantait parfois et, tremblant, était obligé d’ouvrir la fenêtre. Lorsqu’il tirait le portrait de quelqu’un, il était plus calme. Il prenait avant tout les mesures de son modèle et les inscrivait fort exactement sur sa toile, les réduisant à la dimension du châssis. Pendant ce temps, pour se récréer, le Douanier chantait des chansons de sa jeunesse et aussi du temps ou il était employé de l’octroi. Et il s’arrêtait, parfois, pour prendre un peu de café.

Peu d’artistes furent plus moqués durant leur vie que le Douanier, et peu d’hommes opposèrent un front plus calme aux railleries, aux grossièretés dont on l’abreuvait. Ce vieillard courtois conserva toujours la même tranquillité d’humeur et, par un tour heureux de son caractère, voulait voir dans les moqueries mêmes l’intérêt que les plus malveillants à son égard étaient en quelque sorte obligés de témoigner à son oeuvre. Cette sérénité n’était que de l’orgueil bien entendu. Le Douanier avait conscience de sa force. Il lui échappa, une ou cieux fois, de dire qu’il était le plus fort des peintres de son temps.

C’est que s’il lui manqua dans sa jeunesse une éducation artistique, il semble que, sur le tard, lorsqu’il voulut peindre, il ait regardé les maîtres avec passion et que presque seul d’entre les modernes, il ait deviné leurs secrets. Ses défauts consistent seulement parfois dans un excès de sentiment, presque toujours dans une bonhomie populaire au-dessus de laquelle il n’aurait pu s’élever et qui contrastait un peu fort avec ses entreprises artistiques et avec l’attitude qu’il avait pu prendre dans l’art contemporain.

Mais à côté de cela que de qualités ! Et il est bien significatif que la jeunesse artistique les ait devinées. Le Douanier allait jusqu’au bout de ses tableaux, chose bien rare aujourd’hui. On n’y trouve aucun maniérisme, aucun procédé, aucun système. De là vient la variété de son œuvre. Il ne se défiait pas plus de son imagination que de sa main. De là viennent la grâce et la richesse de ses compositions décoratives. D’avoir servi pendant la campagne du Mexique, il avait gardé un souvenir plastique et poétique très précis de la végétation et de la faune tropicales. Il en résulta que ce Breton, vieil habitant des faubourgs parisiens, est sans aucun doute le plus étrange, le plus audacieux et le plus charmant des peintres de l’exotisme. La Charmeuse de Serpents le montre assez.

Mais Rousseau ne fut pas seulement un décorateur, ce n’était pas non plus un imagier, c’était un peintre. Et c’est cela qui rend la compréhension de ses oeuvres si difficile à quelques personnes. Il avait de l’ordre, et cela se remarque non seulement dans ses tableaux, mais encore dans ses dessins ordonnés comme des miniatures persanes. Son art avait de la pureté, il comporte dans les figures féminines, dans la construction des arbres, dans le chant harmonieux des différents tons d’une même couleur, un style qui n’appartient qu’aux peintres français, et qui signale les tableaux français où qu’ils se trouvent ; les tableaux de maîtres du moins.

Henri Rousseau peignait avec un soin extrême. C’est ainsi que, lorsque la belle saison était venue, il allait dans les bois, aux environs de Paris, cueillir des feuilles en très grand nombre qu’il copiait ensuite. Ses études d’après nature sont très émouvantes et très intéressantes. Il y en avait tout autour de son atelier mêlées à ses tableaux. Elles donnaient un air riant à ce pauvre intérieur où il dormait, et à quelqu’un qui lui demandait s’il n’était pas gênant de dormir dans un atelier, il répondait : « Tu comprends, quand je me réveille, je peux raire risette à mes tableaux. »

Le Rêve. Peinture du Douanier Rousseau (1910)

Le Rêve. Peinture du Douanier Rousseau (1910)

Le Douanier mourut le 2 septembre 1910. Le critique et marchand d’art Wilhelm Uhde, qui devait plus tard écrire un bon livre sur Henri Rousseau, alla le voir et, comme beaucoup de ses amis étaient absents de Paris, il n’y eut que sept personnes à son enterrement, parmi lesquelles le peintre Paul Signac, président de la Société des Artistes indépendants.

En 1894, le charmant poète Girard-Coutances avait publié un premier tome de Portraits du prochain siècle, consacré aux poètes et aux prosateurs de l’époque, près de deux cents notices judicieusement choisies, signées par Mallarmé, Charles Morice, Roger Marx, Jacques des Gachons, Frantz-Jourdain, Émile Michelet, Léon Bloy, Verlaine, Henri de Régnier, Jules Renard, etc. Un second volume devait suivre, concernant les artistes, peintres, sculpteurs.

Il était en préparation, lorsque Rousseau, ayant eu connaissance du projet, était venu un petit matin dans le petit rez-de-chausése de la rue Jacquier, à Paris, où était installé l’atelier typographique d’Edmond Girard. Il avait apporté son portrait à la plume, par lui-même, le représentant avec une expression douloureuse, dans sa barbe « broussaillante ». Et, vis-à-vis du portrait, il avait ainsi rédigé son autobiographie :

« Henri Rousseau, peintre.

« Né à Laval en l’année 1844, vu le manque de fortune de ses parents, fut obligé de suivre tout d’abord une autre carrière que celle où ses goûts artistiques l’appelaient.

« Ce ne fut donc qu’en l’année 1885 qu’il fit ses débuts dans l’art, après bien des déboires, seul sans autre maître que la nature, et quelques conseils reçus de Gérome et de Clément. Ses deux premières créations exposées furent envoyées au Salon des Champs-Élysées ; elles avaient pour titre : Une danse italienne, et, Un Coucher de soleil.

« L’année suivante, il créa, de nouveau : Un soir de carnaval, Un Coup de tonnerre. Puis, ensuite, Dans l’attente, Un Pauvre diable, Après le Festin, Le Départ, Dîner sur l’herbe, Suicidé, À mon père, Moi-même, portrait, paysage de l’auteur ; Tigre poursuivant des explorateurs, Centenaire de l’Indépendance, La Liberté, Le Dernier du 51e, La Guerre, portrait genre du littérateur A. J., plus environ 200 dessins, plume et crayon, et un certain nombre de paysages parisiens et des environs.

« C’est après de bien dures épreuves qu’il arriva à se faire connaître du nombre d’artistes qui l’environnent. Il s’est perfectionné de plus en plus dans le genre original qu’il a adopté, et est en passe de devenir l’un de nos meilleurs peintres réalistes.

« Comme signe caractéristique, il porte la barbe broussaillante, et fait partie des Indépendants depuis longtemps déjà, pensant que toute liberté de produire doit être laissée à l’initiateur dont la pensée s’élève dans le beau et le bien.

« Il n’oubliera jamais les membres de la Presse qui ont su le comprendre, et qui l’ont soutenu dans ses moments de découragement, et qui l’auront aidé à devenir ce qu’il doit être.

« Fait à Paris, le 10 juillet 95. Henri Rousseau. »

Par suite de circonstances défavorables, le second tome des Portraits du prochain siècle ne parut pas. Le portrait et l’autobiographie du Douanier furent conservés dans les cartons d’Edmond Girard, qui était alors rédacteur au ministère de la Marine. Celui-ci s’était improvisé imprimeur-éditeur, tout comme Rousseau s’était adonné à la peinture.

 
 
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