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30 juillet 1918 : mort de Victor-Auguste Poulain, fondateur du Chocolat Poulain

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30 juillet 1918 : mort d’Auguste Poulain,
fondateur du Chocolat Poulain
(D’après « La magie du chocolat » (par Marie-Christine et Didier Clément), paru en 1998)
Publié / Mis à jour le dimanche 30 juillet 2023, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 18 mn
 
 
 
L’histoire de Victor-Auguste Poulain, qui pourrait s’apparenter à un conte de fées tant elle est riche en coïncidences et en rebondissements, est celle d’un petit garçon touché par la grâce de la gourmandise, né aux confins de la Sologne en 1825, et qui devient par une ténacité peu commune l’un des premiers maîtres chocolatiers de France, démocratisant un produit considéré à l’origine comme un tonique savoureux réservé à l’aristocratie et aux gens de lettres

C’est dans une modeste ferme de Sologne, comme il en existait tant, que naquit Victor-Auguste Poulain, le 11 février 1825. Sa mère, Jeanne-Élise, née Galloux, le mit au monde un matin, à six heures : il était son dixième enfant ; sept seulement avaient jusque-là survécu. Son père, Bruno-François Poulain (patronyme que l’on écrivait Poulin jusqu’à la fin du XVIIIe siècle), exploitait cette ferme des Bordes dont sa famille louait la terre depuis 1775 au châtelain voisin.

Les premiers pas du petit garçon le menèrent naturellement aux champs. Comme tous les autres enfants de son âge, il fut chargé de mener pacager les oies et, fier de cette responsabilité, les rappelait à l’ordre du bout d’une longue « dine », deux fois plus grande que lui. Comme eux, il déterrait les « jean-flottes » — nom populaire donné aux tubercules d’une plante appelée le souchet comestible —pour en sucer le lait sucré ou ajustait entre ses mains en conque deux brins d’herbe coupante pour en faire un sifflet strident. La campagne était pauvre mais peuplée et familière.

Victor-Auguste Poulain en 1904

Victor-Auguste Poulain en 1904

Sa constitution chétive l’empêchant d’aider efficacement à la ferme, ses parents décidèrent de l’envoyer à l’école. Il ne pouvait être question de lui faire franchir la grille de l’illustre collège de Pontlevoy qui formait depuis le XIe siècle, dans la prestigieuse abbaye bénédictine sise au cœur du village, l’élite aristocratique puis bourgeoise de la France. Comme Victor-Auguste le dira lui-même plus tard, il grandit « à l’ombre du grand collège », à l’ombre seulement, puisque ce fut la classe de Mme veuve Chiquet, située juste de l’autre côté de la place, qui l’accueillit. À l’âge de six ans, le petit Victor-Auguste, portant l’hiver sa bûche sous le bras, partait à l’aube, parcourait à pied les 3 kilomètres qui le séparaient de Pontlevoy pour retrouver la pièce sombre, froide et enfumée, aux relents de crasse, de craie et d’encre, où la brave institutrice s’ingéniait à inculquer à quelques enfants les rudiments scolaires.

Là, il n’était pas question de prestigieux uniformes, de thèmes grecs ni de prosodie latine, mais de simples leçons de lecture, d’écriture et de calcul ressassées inlassablement, dévidées en boucle, comme le fil de laine d’un rouet. Jugea-t-on que le petit Victor-Auguste, inutile à la ferme, était une bouche de trop à nourrir, et que les maigres enseignements de Mme Chiquet, qui coûtaient 1 fr. 50 par mois à ses parents, étaient trop cher payés ? Toujours est-il qu’après seulement trois ans d’école, il mit son baluchon sur l’épaule un beau matin de 1834 et partit vers l’ouest, en direction de Tours. Grand-père, il racontait encore à ses petits-enfants ce départ précipité, ne sachant plus s’il avait alors neuf ans et 10 sous en poche ou dix ans et 9 sous... Sa mère semble être à l’origine de ce départ si on en juge le ressentiment qu’il lui garda toute sa vie. Il la dira morte et déclarera avoir été orphelin alors qu’elle ne décédera qu’en 1839.

Sur la route de Montrichard, ses pas le menèrent jusqu’à Bléré, où Pierre Minier, épicier place du Marchéaux-Légumes, avait besoin d’un commis et l’engagea. Victor-Auguste resta deux ans dans cette petite épicerie, à couler des chandelles, remplir des cornets et garnir les étagères, dans un climat familial bienveillant que peut-être il n’avait pas connu jusqu’alors, entre Monsieur et Madame Minier, leur fille Désirée et la bonne, Marie Gapiot.

Puis, après un bref passage chez un autre épicier, à Blois, M. Delagrange, il monta à Paris, une lettre de la comtesse de Ribeyreys en poche. La châtelaine des Bordes, qui, lorsqu’il était encore enfant, avait remarqué son intelligence et sa détermination, le recommanda à son épicier parisien, M. Leguerrier. Vingt-quatre heures lui furent nécessaires pour gagner la capitale à bord de la patache « la Pompe », ainsi que la somme de 20 fr. 25, équivalant à plus de deux mois de salaire.

Victor-Auguste avait treize ans quand, encore chahuté par le voyage et les bruits inhabituels de la capitale, il se présenta rue des Fossés-Monsieur-le-Prince, devant la splendide épicerie à l’enseigne Au Mortier d’argent. La boutique parisienne n’avait rien de commun avec la petite épicerie provinciale de Bléré. Là, la patronne trônait derrière une caisse richement ornée d’entrelacs, ciselés dans un bois sombre ; M. Leguerrier servait ses clients en « bas bleus et gilet rond », une casquette de loutre à ruban d’argent fixée sur la tête ; des commis en tablier bleu s’affairaient derrière un long comptoir, manipulant des pots en faïence, des bocaux remplis de pruneaux, cassant des pains de sucre et enfermant dans des sachets de papier de mystérieuses épices.

« De sa boutique procède une triple production pour chaque besoin : thé, café, chocolat, la conclusion de tous les dangers réels ; la chandelle, l’huile et la bougie, sources de toute lumière ; le sel, le poivre et la muscade, qui composent la rhétorique de la cuisine ; le riz, le haricot et le macaroni, nécessaires à toute alimentation raisonnée ; le sucre, les sirops et la confiture, sans quoi la vie serait bien amère ; les fromages, les pruneaux et les mendiants, qui, selon Brillat-Savarin, donnent au dessert sa physionomie. » Celui qui énumère ainsi les vertus de l’épicerie, c’est le grand Balzac en personne, qui s’approvisionne en café et en chandelles au Mortier d’argent, remettant sans cesse à plus tard le paiement de ses notes arriérées... Et s’il conclut que l’épicier est « l’alpha et l’oméga de notre état social », c’est le moindre hommage qu’il puisse rendre à celui qui, en lui faisant crédit, lui permet de continuer à écrire...


Chromolithographie publicitaire pour le chocolat Poulain

Victor-Auguste Poulain servit-il notre illustre écrivain ? Sûrement... Mais il était à l’époque plus occupé par une nouvelle passion : il venait de découvrir un produit qui commençait à se répandre dans la capitale. M. Leguerrier, en effet, comme la plupart des grands épiciers de Paris, fabriquait son chocolat. Les jours de fermeture, le bruit du pilon se propageait jusque dans la rue. Le jeune Victor-Auguste, sous la verrière de l’arrière-boutique, avec un manœuvre qui lui montrait la technique, le fabriquait à la main, moyennant une rétribution supplémentaire de 3 francs les 30 kilos, qui représentaient alors la production maximale d’une journée de travail de deux personnes.

Le procédé de préparation était encore très archaïque, le chocolat étant principalement fabriqué manuellement jusqu’à la fin du siècle. Il fallait tout d’abord débarrasser de son enveloppe le cacao torréfié, l’étendre sur des claies pour le faire refroidir, trier les grains, les concasser et en expulser le germe. Ensuite, on broyait le cacao et le sucre, et quelquefois la vanille, dans un mortier légèrement chaud. Des plaques de granit concaves, chauffées par un brasero, remplacèrent bientôt le simple mortier, et le modeste pilon devint un rouleau en granit suspendu au plafond, auquel on imprimait un mouvement de va-et-vient, invention du Français Buisson, qui permettait désormais aux ouvriers de se tenir debout. On découpait ensuite la pâte en boudins, que l’on descendait à la cave pour les faire refroidir. Ils étaient par la suite enveloppés dans du papier d’étain et conservés dans un lieu sec.

Malgré la difficulté de la tâche, l’adolescent fut aussitôt fasciné par ce nouveau produit. Pas la peine d’en chiper pour le goûter ! Ses vêtements étaient poudrés de cacao, imprégnés de l’odeur chaude, et si, quand il se léchait les mains, son palais découvrait l’amertume d’une pâte râpeuse garnie de grains de sucre cristallisé non encore homogénéisés, il baignait toute la journée dans ces envoûtants effluves de chocolat chaud. Il venait de découvrir sa vocation : il serait chocolatier !

Ne pouvant compter sur un héritage conséquent, il lui fallait à tout prix gagner de l’argent et l’économiser. Pendant huit ans, il reçut de l’épicier parisien un salaire de 30 francs par mois, puis 50 la dernière année, auxquels s’ajoutaient les 3 francs d’appoint de la fabrication hebdomadaire du chocolat. Victor-Auguste mit, chaque mois, près des deux tiers de ses revenus de côté. En outre, il confectionnait en cachette, après sa journée de travail, des pantoufles en tapisserie et se faisait engager certains soirs comme claqueur au théâtre de l’Ambigu. Ses applaudissements participèrent à la gloire du célèbre comédien Frédérick Lemaître, surnommé « le Talma des boulevards », et il le vit créer les rôles de Robert Macaire puis de Kean d’Alexandre Dumas.

En 1845, le jugeant « faible et de petite taille » ainsi que de « constitution douteuse », la conscription ne voulut pas de lui. Mais ses yeux vifs et pénétrants trahissaient sa force de caractère. En 1847, il décida de quitter la capitale pour retourner dans son pays et ouvrir sa propre boutique : il avait vingt-deux ans et 1 800 francs d’économies en poche.

Victor-Auguste Poulain quitta Paris en mai 1847 et chercha une maison au centre de Blois. Un fond de commerce était à louer au 68 Grande-Rue, près de l’ancien Carroir du Mal-Assis. Le jeune homme signa un bail de neuf ans et dès le 24 juin 1847 put se déclarer « confiseur à Blois ». La maison qu’il venait de louer se composait d’une boutique assez exiguë, prolongée par une grande salle ouvrant sur une cour par une porte vitrée à deux battants. Savait-il que cette maison, occupée depuis le Moyen Âge par une lignée d’horlogers, interrompue seulement par deux générations de pâtissiers-traiteurs, était la maison natale d’un autre enfant du pays, alors au faîte de sa gloire, Robert-Houdin ? Sûrement. Aussi comment ne pas souligner l’heureux hasard qui vit naître dans les mêmes murs le père de la magie moderne et les premiers chocolats voués à la gourmandise ?

Les débuts du jeune chocolatier furent très modestes. Dans la rue commerçante, on regardait avec curiosité ce jeune garçon inconnu qui embaumait tout le quartier d’effluves inédits, fabriquait la nuit, vendait le jour. Une jeune fille surtout venait le voir, Pauline Bagoulard qui, arrivée à Blois depuis seulement quatre mois, habitait quatre maisons plus loin chez ses cousins, les merciers Paret. Leur mariage fut célébré le 20 février 1848, à la veille de la révolution de Février. Victor-Auguste avait vingt-trois ans et Pauline, dix-sept.

Le petit chocolatier avait enfin trouvé quelqu’un pour le soutenir dans sa passion et tenir sa boutique. La jeune mariée, reconnaissant son talent, l’encouragea tout de suite à produire un chocolat à son nom. Le jeune homme embaucha un homme de force, Jacques Jouanneau de Villiersfins, de six ans son aîné. À eux deux, ils se mirent à fabriquer le chocolat à la main, à l’aide d’un simple équipement de fortune. Le matin, tirant une carriole à bras, Victor-Auguste allait vendre à la criée, dans les rues de Blois, la production de la veille. Pauline le regardait partir depuis le seuil de la boutique, en lui souriant. Il était en train de lui faire le plus beau des cadeaux de mariage, en lançant le « Chocolat Poulain ».

Chromolithographie publicitaire pour le chocolat Poulain

Chromolithographie publicitaire pour le chocolat Poulain

La concurrence était pourtant rude et il fallait avoir toute la détermination de Victor-Auguste pour croire en sa bonne fortune. Dans la seule ville de Blois, cinq confiseurs et plusieurs gros épiciers fabriquaient déjà leur chocolat, auxquels s’ajoutaient les dépôts en ville des premiers fabricants industriels. Menier, Ibled, Louit, Perron, Cuillier, Masson, Saintoin (implanté à Orléans), la Compagnie coloniale et la Compagnie française des thés et des chocolats fleurissaient régulièrement de leurs publicités la dernière page du journal local.

Mais le chocolat ne se démocratisait que lentement et était encore largement considéré comme un produit de santé, voire comme un médicament. Les marques traditionnelles n’en proposaient que deux types et uniquement du chocolat à cuire : un chocolat noir à base de cacao et de sucre, appelé « chocolat de santé », et le même, adouci de vanille. La conception du chocolat par Victor-Auguste était à mille lieues de cette utilisation simplement pragmatique. Jean-Antoine Menier lui-même, le plus important fabricant de l’époque, était à l’origine préparateur en pharmacie et avait débuté en concassant du chocolat pour le mêler à ses poudres médicinales. Jusqu’en 1867, son usine de Noisiel produira d’ailleurs encore trois fois plus de poudres médicamenteuses que de chocolat pur.

Notre breuvage des dieux était encore loin d’être considéré en France comme une gourmandise. Sa fabrication dispersée et incontrôlée suscitait également de nombreuses falsifications. On lui adjoignait communément de l’ardoise pilée, de la terre brune ou de l’ocre, quand ce n’était pas de l’avoine, des glands ou la coque de sa cabosse concassés. Mais Victor-Auguste Poulain croyait aux vertus gustatives du chocolat et à l’alchimie d’un bon cacao et d’un sucre plus intimement mêlés.

Il fit timidement son entrée dans la publicité par un modeste avis de neuf lignes, le 25 juin 1850, dans le Journal de Loir-et-Cher : il fut le premier et le seul à annoncer la provenance des fèves, preuve de sa compétence et de sa recherche immédiate de qualité. Ses prix étaient serrés, et le petit chocolatier de Blois ne trompait pas sa clientèle, il utilisait le mélange de fèves qui fut considéré comme le meilleur tout au long du siècle : un tiers de caraque pour deux tiers de maragnan. C’était encore, en 1885, la formule que préconisait Favre dans son Dictionnaire universel de cuisine et d’hygiène alimentaire : « Maragnan : 1,5 kg ; Caracas : 500 g ; sucre :1,5 kg ; vanille : 3 gousses. »

Le jeune chocolatier croyait en un chocolat « sain et loyal », accessible au plus grand nombre et s’efforça tout au long de sa vie de respecter cet idéal. Grâce à Pauline, qui vendit une des deux maisons qu’elle avait apportées en dot, il put acquérir la toute nouvelle machine Hermann destinée à broyer le chocolat, adaptée d’un ancien procédé de broyage des couleurs. Victor-Auguste put ainsi s’éloigner petit à petit des modèles traditionnels et développer de nouvelles créations.

En 1852, il déposait un brevet pour une « préparation de chocolat » et déménageait quelques maisons plus haut, au 10 rue Porte-Chartraine, à l’angle de la rue du Lion-Ferré. Il voulait agrandir son atelier de fabrication pour l’équiper d’une nouvelle broyeuse à vapeur, dont il fit la demande d’installation au préfet le 16 mai 1853. Il n’attendit pas sa réponse et fit tout de suite peindre sur sa façade : Poulain, breveté s.g.d.g., fabrique de chocolat perfectionné ; Entrepôt de vins fins et liqueurs ; Chocolat à la minute. Désormais, Victor-Auguste Poulain fait barrer des actes officiels sa qualité de « confiseur » et affirme sa profession de foi, il est chocolatier.

Il lui fallut deux ans pour obtenir l’accord du préfet. Sa patience enfin récompensée, il installa son nouvel atelier, et dès l’arrivée de la bruyante machine, les badauds se pressèrent pour la voir fonctionner derrière la vitre. Il était grand temps ! Un de ses concurrents blésois, la Maison Bouyer et Benoist, annonçait à grand renfort de publicité depuis le mois de février une toute nouvelle machine mécanique à broyer le cacao. La mécanisation était un argument puissant auprès de la clientèle, et l’on commençait à condamner, au nom de l’hygiène et du progrès, le pétrissage manuel, « si nuisible à la bonne qualité ».

Chromolithographie publicitaire pour le chocolat Poulain

Chromolithographie publicitaire pour le chocolat Poulain

Victor-Auguste, qui comprit très vite cet enjeu, achètera désormais les machines les plus perfectionnées. L’héritage de Pauline fut vendu lot après lot, jusqu’au dernier. Depuis 1854, le chocolatier louait le deuxième étage de sa propre maison. Tout argent était nécessaire, et les Poulain faisaient feu de tout bois. La famille s’agrandissait : Augustine naquit le 16 décembre 1849, Albert, le 6 février 1851 et Eugénie, le 29 septembre 1855. L’entreprise aussi prenait son essor : un nouvel ouvrier était venu aider Victor-Auguste et le « père Jacques », puis, avec l’arrivée de la machine à vapeur en 1855, deux nouveaux ouvriers furent embauchés : Alexandre Tellier, âgé de trente-huit ans, et un neveu de Victor-Auguste, Jérôme Ouvray, âgé de dix-neuf ans. Le Chocolat Poulain remportait un franc succès, sans avoir recours à une publicité tapageuse mais seulement grâce aux bons échos du bouche à oreille. Mme Poulain en profita pour décorer petit à petit sa boutique.

Au 10 rue Porte-Chartraine, la surface était plus importante qu’au 68 Grande-Rue, et Pauline composa autour des chocolats de son mari une véritable bonbonnière. Sa boutique n’était pas d’un luxe ostentatoire, mais quelques objets bien choisis dénotaient un goût sûr. De la rue, deux grands vases chinois posés sur des socles sculptés en bois d’ébène en imposaient aux chalands. Un grand miroir entouré d’un cadre doré renvoyait l’image de deux longs comptoirs en chêne, sur lesquels s’alignaient une profusion de bocaux en verre, de toutes tailles et de toutes formes, garnis de boules chamarrées. L’éclairage au gaz était diffusé par des lampes en albâtre sculpté. Sur la caisse, deux bouquets de fleurs garnissaient des vases anglais, et le vert du tapis en damas sur la table des emballages instaurait une atmosphère de confiance. Le plafond s’ornait de fleurs de lys et des colonnes en stuc encadraient les hauts corps des étagères, qui logeaient dans leurs niches seize grandes boîtes en tôle vernie contenant les thés.

Car les Poulain vendaient thé, café, liqueurs, bonbons, gâteaux et chocolat : tout pour satisfaire les papilles curieuses des plus jeunes comme des plus âgés. Le choix des thés et des cafés était très honorable pour la ville : Orange Pekoe, Souchong, Impérial, thé vert Hisson ; cafés en provenance de Ceylan, de l’île Bourbon, de Java et de Saint-Domingue. À la pléthore de liqueurs fines, vermouth, vins de Madère et de Frontignan, Marie-Brizard, rhum, chartreuse et curaçao répondaient les sirops de groseille, de framboise et d’orgeat pour les plus jeunes. Des bocaux en verre et des coupes en cristal resplendissaient de mille couleurs sucrées : pralines roses et brunes, boules de gomme, bonbons de grains de café, papillotes assorties, croquignoles, « pastilles galantes », « bonbons-légumes superfins », pastilles de menthe anglaise, pâte de guimauve, de jujube ou de réglisse, sucres d’orge, sucre de pomme, pipes et œufs en sucre, épines-vinettes — baies rouges provenant de l’arbrisseau du même nom —, dragées au nougat ou au chocolat, dragées numéro un, deux, trois et quatre, perles d’argent et dragées d’Italie...

Une nouvelle demoiselle de magasin, Estelle Bourdonneau, secondait Pauline. Elle se glissait avec légèreté entre toutes ces verreries délicates, soulevait les couvercles avec précaution, saisissait les sucreries désirées avec une « main » ou avec une pince en cuivre argenté, pesait les bonbons sur l’une des trois balances en cuivre et garnissait bonbonnières, boîtes cartonnées ou de charmants sacs dorés incrustés de dentelle, pendant que la cliente se chauffait près de la cheminée, assise sur une haute chaise d’inspiration gothique et sirotait un chocolat chaud posé sur la dentelle d’un guéridon d’acajou... Une fragrance veloutée s’insinuait dans l’air de la boutique et dans les moindres replis du tablier en dentelle de Pauline qui laissait dans son sillage un souvenir chaud et sucré.

Et tandis que la machine à vapeur hoquetait parfois, rappelant aux visiteurs le travail du cacao qui s’effectuait tout à côté, les bonnes de ces dames venaient chercher une course oubliée : sucre en poudre ou en morceaux cassés à la demande, tapioca et biscuits roses de Reims. À Noël, Pauline et Estelle emballaient dans du papier de soie les précieuses oranges tant convoitées par les enfants ou les théières, cafetières, chocolatières, fontaines à thé, pots à lait et sucriers en métal anglais « provenant des deux meilleures fabriques d’Angleterre », proposés à des « prix exceptionnels ».

Mais la maison était surtout connue pour son chocolat. Trente-deux guéridons de verre et plusieurs étagères en glace présentaient ostensiblement, encadrées de sujets en chocolat moulé, les fabrications de Victor-Auguste : croquettes, bâtons de chocolat, petits napolitains, cigares en chocolat, chocolat ferrugineux, chocolat sans sucre, ainsi que les créations typiquement Poulain : Chocolat des Indes, Petit Déjeuner Universel, tablettes enveloppe chamois et enveloppe orange, sans oublier les bouchées de Victor-Auguste : Coquilles, Brésiliens, Solferino, Fondants, Chocolat pâte citron et sa toute dernière nouveauté, les Bouchées Impériales. Ces dernières firent des jaloux dans le quartier. Un concurrent en copia la forme et les vendit moins cher à quelques rues de là. Très en colère, Victor-Auguste répliqua par voie officielle, dans le journal local du 10 décembre 1857 :

« Avis aux consommateurs

« Contrefaçon

« La MAISON POULAIN, dont les chocolats ont acquis une si juste réputation, a récemment créé, sous le nom de Bouchées Impériales, un délicieux bonbon qui n’a pas tardé à exciter la concurrence d’un confiseur de Blois, qui, ne pouvant en égaler la qualité, s’est borné à en imiter la forme ; aussi n’est-il pas surprenant qu’il puisse le livrer, en raison de sa qualité inférieure, au-dessous du prix de 5 fr. le 1/2 kilo établi par la Maison Poulain, qui défie toute concurrence loyale de le livrer à meilleur marché, et qui engage instamment sa nombreuse clientèle à faire la comparaison des deux produits.

L'usine de la Villette, à Blois, en 1872

L’usine de la Villette, à Blois, en 1872

« La MAISON POULAIN tient en réserve pour la fin de l’année un joli assortiment de Bonbons nouveaux, de son invention, que, pour éviter toute contrefaçon ultérieure, elle mettra en vente huit jours seulement avant le Jour de l’An. »

Non content de développer en France la notion de chocolat-gourmandise, Victor-Auguste venait tout simplement, dans cette annonce, de poser les premiers jalons de la publicité comparative et de pratiquer une des techniques les plus modernes du marketing : la vente retardée.

Mais Victor-Auguste Poulain voyait déjà plus loin. Alors que les marques nationales déjà installées proclamaient avec fierté « usine hydraulique », « usine modèle » ou « usine à vapeur », il sentit la nécessité de passer à la vitesse supérieure. N’ayant pas alors les moyens d’investir dans sa propre usine, il eut la brillante idée de louer, en attendant, la puissance motrice d’une fonderie blésoise, installée route-basse de Paris, au Sanitas. Cette usine traitait le fer, le cuivre et le bronze, mais aussi toutes constructions mécaniques et hydrauliques. Victor-Auguste loua une grange attenante et transporta là matières premières et ouvriers, tandis qu’il installait le pliage de ses tablettes dans l’arrière-boutique du magasin de détail, rue Porte-Chartraine.

Il augmenta ainsi sa production et put commencer à fabriquer pour d’autres épiciers-chocolatiers. Il voulait faire « bon et à bon marché » et propager auprès d’une clientèle toujours plus nombreuse les merveilleuses sensations que procure un bon chocolat. Mais, surtout, il pouvait désormais ajouter sur sa publicité la mention « usine au Sanitas », à partir du 20 décembre 1858, puis « usine à vapeur à Blois », à partir du 25 avril 1861, sans mentir mais sans avoir eu à investir dans une usine personnelle.

Ce fut une période de dur labeur pour toute la famille Poulain. Pauline tenait la boutique, puis, après la fermeture du magasin, s’occupait du pliage des tablettes, de la tenue des comptes et de l’expédition. Victor-Auguste passait plusieurs nuits par semaine à surveiller la production du Sanitas. Beaucoup d’allées et venues étaient nécessaires à la fabrication des tablettes. Ces efforts furent bientôt récompensés : Victor-Auguste obtint en 1858 sa première médaille d’or à l’Exposition industrielle de Blois, et la force motrice de la fonderie devint bientôt insuffisante devant le nombre croissant des commandes.

Le chocolatier ne rêvait plus que de sa propre usine... Mais pour l’instant, il installait sa réputation en créant en permanence de nouveaux chocolats et affûtait ses méthodes commerciales. En décembre 1858, il organisa une loterie, formule alors très populaire auprès du public, et offrit une pendule à d’heureux gagnants. Deux ans après, il obtint une nouvelle médaille, à l’Exposition universelle de Besançon, pour sa « spécialité de bonbons et de chocolats », et créa à cette occasion un « choix des plus variés en bonbons nouveaux — dont l’exquise qualité dépasse tout ce qui a été fait en France jusqu’à ce jour ».

Il ouvrit pour Noël 1860, au 14 rue Porte-Chartraine, un « magasin spécial d’oranges, de grenades, mandarines et autres fruits du Midi », en précisant que « la Maison Poulain tirant directement ses fruits d’Espagne et d’Afrique est en mesure d’offrir des qualités supérieures en même temps que des prix très avantageux ». Le petit homme, admirateur de Napoléon, dont il avait un portrait dans son salon, partait à la conquête du pays et élaborait son plan de bataille. Dans son bureau, peu de livres : un Bottin de 1000 adresses, un dictionnaire géographique et une carte de France. Il poursuivait ses compositions de chocolat, qu’il classait sous des codes mystérieux, AA, A, AO, C, D, E..., créant ainsi son propre alphabet gourmand.

Le Pierrot dessiné en 1898 par Firmin Bouisset pour symboliser la marque

Le Pierrot dessiné en 1898 par Firmin Bouisset pour symboliser la marque

En avril 1861, il affirmait dans le Journal de Loir-et-Cher : « Un des meilleurs chocolats, c’est le Chocolat Poulain. » Mais surtout il introduisait dans un pavé publicitaire la formule « Goûtez et comparez avec les meilleures fabriques de France » qui deviendra, à partir du 22 février 1863, le célèbre et percutant « Goûtez et comparez », avec lequel sa marque communiquera pendant plus de cent ans !

Entre-temps, Victor-Auguste avait réussi à acheter, le 8 mars 1862, 8 ares de terrain près de la gare, à l’emplacement de l’ancien couvent des Capucins. C’était un des lieux de promenade préférés des Blésois. Cet ancien tumulus gaulois offrait un point de vue admirable sur la ville, la campagne environnante et les méandres de la Loire. Bientôt s’éleva sur la butte, non loin d’une chapelle de dévotion, une construction de modeste apparence : le premier atelier de dressage de la future usine Poulain, rapidement rejoint par une bâtisse de plus grande importance destinée à abriter de bruyantes machines : une machine à vapeur à balancier de la force de 14 chevaux, deux brûloirs à cacao, trois pileries mécaniques, six broyeuses à chocolat, deux mélangeurs Hermann, deux mélangeurs Debaptiste, trois moulins broyeurs Baurin, une boudineuse et quatre tapoteuses Debaptiste.

La fabrication du Chocolat Poulain quitta alors la fonderie du Sanitas et s’installa définitivement dans les locaux de la Butte-aux-Capucins. L’usine Poulain venait de naître : Victor-Auguste la baptisa « usine de la Villette ». Le chocolatier s’était fait plaisir et avait construit une usine aux champs. Un parc entourait les bâtiments, rythmé par plusieurs centaines de pots débordant de plantes et d’arbustes, équipé de cloches à melon, de bancs, de vases Médicis et de statues en terre cuite, et surtout d’un poulailler et d’une volière. Tourterelles et colombes blanches, petites perdrix grises et faisans dorés s’y ébrouaient, non loin des premiers battements sourds des pilons et des broyeuses portés vers la ville par les panaches blancs qui s’échappaient des cheminées.

Victor-Auguste Poulain venait de réaliser son rêve. Du haut de la butte, ce n’était plus le jeune enfant qui s’envolait mais les effluves de son chocolat. Désormais, pendant plus de cent ans, avant chaque ondée, l’odeur révélatrice envahira les rues de la cité blésoise. Malheureusement un drame vint endeuiller cette ascension exceptionnelle : Pauline, qui avait participé avec tant d’abnégation et d’ardeur à la passion de son mari, n’eut pas le temps de voir leur rêve commun se réaliser. Elle mourut le 3 juillet 1864 des suites d’une foudroyante maladie.

Les campagnes des nouveaux produits étaient déjà lancées et la mort de Pauline ne pouvait les retarder : elle-même ne l’aurait pas souhaité. En décembre de la même année, commençait la première campagne publicitaire d’envergure du Chocolat Poulain. Conscient que le chocolat à croquer était encore largement perçu comme un chocolat à cuire et désirant ne pas faire l’amalgame avec ses bouchées, Victor-Auguste conçut un chocolat spécialement destiné à cet usage et le nomma Déjeuner Universel.

En 1864 toujours, il améliora sa recette et présenta officiellement à l’automne son Déjeuner des Mandarins. Ce chocolat, mélange de fèves en provenance du Brésil, des Indes, de la Perse, de la Cochinchine, de Puerto Cabello et du Mexique, était toujours présenté comme un « trésor de la santé », mais s’y mêlait déjà la notion de « déjeuner savoureux » et de produit transformable, dont on pouvait faire « des crèmes pour entremets et pour soirées ». Victor-Auguste ajoutait : « Ce produit, bien qu’il soit de création toute récente, est déjà connu et apprécié dans une partie de la bonne société parisienne ». Il venait en effet d’ouvrir une boutique à Paris, tenue par une caissière et une demoiselle de magasin, au 27 rue Neuve-des-Petits-Champs, dans la rue même où François Pelletier, au début du siècle, avait installé la première fabrique mécanique à vapeur de chocolat devant laquelle le jeune commis épicier venait rêver.

En décembre 1866, Victor-Auguste annonçait les noms de ses nouveaux chocolats dans les colonnes des journaux. Il semblait multiplier ses créations comme s’il s’agissait de compenser la perte d’un être aimé en faisant connaître aux autres le bonheur de la gourmandise. Une Bouchée Orientale vint compléter la Bouchée Impériale, et de nouveaux Bonbons Eugénie et Bouchées de Florida furent mis en vedette, « sans omettre non plus les délicieux pralinés, crèmes et autres bonbons en chocolat ».

L’usine s’agrandit la même année d’un deuxième dressage, et 1867 vit le chocolatier trembler d’orgueil à deux reprises : il conduit à l’autel sa fille aînée, Augustine, le 25 juin, et reçut le 1er juillet une nouvelle médaille, à l’Exposition universelle de Paris, devant une assemblée de 20 000 spectateurs et en présence de l’empereur et de l’impératrice.

La guerre de 1870 éclata alors qu’il venait d’accéder au statut de notable. Devenu conseiller municipal, il assuma avec courage des responsabilités politiques à la tête de la ville, dont il fut le maire pendant quelques mois. Ses bravades provocatrices lui valurent même d’être emprisonné pour avoir tenu tête à l’ennemi. Après le conflit, il sera élu conseiller général du canton d’Herbault.

Affiche pour le chocolat Poulain vers 1906

Affiche pour le chocolat Poulain vers 1906

En 1871, Victor-Auguste pouvait enfin asseoir sa notoriété en entamant la construction de son logis. Les plans en furent confiés à l’architecte Edmond-Gustave Poupard. Étaient-ce les souvenirs du château de son enfance, les Bordes, qui poursuivaient Victor-Auguste ou l’influence que la ville royale exerça sur l’architecte ? Étaient-ce la revanche d’une ascension sociale ou le désir de rester toujours solidaire de son métier qui l’animaient ?

Sa demeure patronale fut positionnée au centre des ateliers de fabrication, tel un château au milieu de ses communs, entre une cour d’honneur et un parterre à la française s’ouvrant sur la Loire. Une grille ouvragée en clôturait l’accès, et l’usine tout entière fut conçue dans l’exigence d’une demeure châtelaine. Sur la façade du dernier bâtiment de production, un médaillon sculpté arborait comme un fier drapeau les armes nouvelles du chocolatier : une voile battante, symbolisant la navigation sur la Loire, et une branche de cacaoyer. Comme dans toutes les usines de confiserie de l’époque, les sols, couverts de grands carreaux blancs rehaussés de cabochons noirs, étaient traités avec un soin particulier de propreté et d’élégance.

Après de longues années de labeur, le chocolatier était enfin arrivé à son but et délivra une sorte de profession de foi au dos de son tarif de 1878 : « Pour livrer à la consommation, un chocolat véritable chocolat de santé, bon et à bon marché, la Maison Poulain n’a reculé devant aucun sacrifice. Vendre bon et bon marché, voilà le seul progrès de l’époque : quant à fabriquer de bons produits et les vendre très cher, où serait le mérite ? »

Victor-Auguste s’installa dans ses nouveaux appartements en 1872, mais il pensait déjà à se retirer des affaires. En 1874, il se mit en société avec son fils Albert, qu’il avait pris soin d’envoyer au collège, lui qui n’avait jamais pu y accéder. En 1880, il lui abandonna définitivement les rênes, pour retrouver l’hiver le soleil dans une villa de Nice qu’il baptisa Denis-Papin en l’honneur d’un autre enfant du pays, auquel il devait tant : l’inventeur du moteur à vapeur.

Albert Poulain avait toutes les qualités pour succéder à son père : il était intelligent et fougueux, et durant les treize années où il fut seul à la tête de l’entreprise, celle-ci connut un essor mémorable. Il avait appris auprès de Victor-Auguste l’importance des créations sans cesse renouvelées, de l’idée qui fait mouche. En 1878, à partir de l’Exposition universelle et des nouveaux procédés techniques de chromolithographie, le « chromo-réclame » devient en France le support privilégié de toute communication commerciale, et l’année suivante Victor-Auguste offrit des petites vignettes « à nom Poulain » dans son Déjeuner Universel, mais c’est Albert qui véritablement inaugura et propagea le chromo-réclame dans les tablettes de chocolat, dans certaines variétés à partir de 1881, puis dans toutes à partir de mars 1882.

Avec la chicorée et le chocolat, ces petites images lithographiées entrèrent dans toutes les maisons de France et connurent un engouement sans précédent. Destinées originellement à l’adulte comme souvenir et supports d’événements particuliers de la vie d’une marque — soldes, déménagement, changements de prix, nouveautés, etc. —, elles attirèrent immédiatement les enfants. Leurs scènes récréatives décrivaient les tentations, les méfaits et les aventures de petits personnages drôles et naïfs, dont on pouvait suivre l’histoire si l’on reconstituait une série complète.

De 1881 à 1912, Poulain diffusa près de 20 000 sujets différents, cartes, « découpis », chromos religieux, dentelles et chromos à systèmes confondus, dont le catalogue n’existe pas faute d’un inventaire exhaustif qui n’a encore pu être établi. En comparaison, le Bon Marché n’en diffusa que 178... En 1900, la chocolaterie Poulain produisit 350 000 chromos par jour et distribua donc près de 130 millions d’images par an... Par le biais des chromos, Albert touchait tous les foyers et il put conquérir ainsi un nouveau public, celui des enfants, et créa, fait unique dans l’histoire d’une chocolaterie industrielle, une imprimerie intégrée à l’usine, qui employait à elle seule 70 personnes.

L’entreprise prospérant mais ayant besoin de capitaux neufs pour entreprendre une nouvelle extension, Albert Poulain changea le statut de la chocolaterie en société anonyme et ouvrit à son capital de nouveaux actionnaires en 1893. Victor-Auguste était heureux de l’évolution de son oeuvre, mais, gourmand invétéré, il se souciait surtout de l’envoi des colis de chocolats que l’usine lui adressait régulièrement. Bientôt, ses dirigeants voulurent rendre hommage à leur fondateur et firent ériger dans la cour d’honneur un buste en bronze à son effigie, qui fut inauguré en sa présence le 13 août 1904, jour également d’une remise des prix solennelle très attendue puisqu’elle récompensait un grand concours national d’écriture organisé par la chocolaterie.

Affiche historique de Leonetto Cappiello, en 1911, réalisée à partir d'une peinture original conçue dès 1905 et instituant le petit cheval comme symbole de la marque

Affiche historique de Leonetto Cappiello, en 1911, réalisée à partir d’une peinture
original conçue dès 1905 et instituant le petit cheval comme symbole de la marque

Le petit homme gagnait la postérité et son nom devenait un nom commun. En 1905, le dessinateur Cappiello fut sollicité pour réaliser une nouvelle affiche pour la marque. L’artiste, qui aimait particulièrement peindre les chevaux, proposa un petit cheval orange, jeune et taquin, se détachant avec des traits nets et tranchés sur un fond pour moitié vert, pour moitié bleu dur, avec dans le coin droit de l’image une petite fille en robe rouge. Bien que les deux personnages soient croqués de dos, une atmosphère joyeuse se dégageait du tableau. Cappiello venait d’inventer le petit poulain qui serait désormais le symbole de la marque pendant le XXe siècle. Victor-Auguste était devenu une icône.

La Première Guerre mondiale allait bientôt prendre fin quand survint à Blois un terrible accident : « Dimanche soir, vers dix heures et demie, dans le grand silence de la nuit paisible, retentit éperdument la sirène de la chocolaterie Poulain », raconte un chroniqueur de La République de Loir-et-Cher, le 8 juillet 1918. Un incendie s’était propagé à partir du deuxième étage et avait ravagé toute l’usine de Beauséjour, aménagée en face de l’usine de la Villette, de l’autre côté de la rue. Huit jours après le début du sinistre, il brûlait encore, alimenté par les 38 000 kilos de beurre de cacao stocké dans ses caves.

Victor-Auguste malheureusement présent à Blois à ce moment-là, assista, impuissant, à l’incendie de son usine. Il était âgé de 93 ans : le choc fut terrible. Il mourut quelques jours plus tard, le 30 juillet 1918.

 
 
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