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8 novembre 1908 : mort du dramaturge Victorien Sardou

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8 novembre 1908 : mort du
dramaturge Victorien Sardou
(D’après « Comoedia » du 9 novembre 1908)
Publié / Mis à jour le mercredi 8 novembre 2017, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 11 mn
 
 
 
Abandonnant des études de médecine pour gagner sa vie, Victorien Sardou s’essaye à la littérature et, après des débuts extrêmement pénibles, occupe pendant plus d’un demi-siècle la scène française, doué d’une prodigieuse facilité, remportant de retentissants et fructueux succès en abordant tous les genres : drames à grand spectacle, comédies, opéras

Avec Victorien Sardou disparaissait en 1908 une des célébrités littéraires les plus importantes de son époque. Depuis près de cinquante ans, par la seule vigueur de son imagination, par la seule force de son talent, il avait créé les œuvres les plus diverses. Il avait fait naître au cœur de ses contemporains de multiples émotions de gaieté, de douleur, de souffrance, de terreur et d’amour. Inlassablement, sans arrêt, il avait produit, conservant toujours sur un public prompt aux enthousiasmes comme aux dénigrements sa puissance de séduction et, disons le mot, de domination.

Victorien Sardou domina en effet le public, peut-être parce que, mieux que tout autre, il en comprit l’âme, peut-être aussi parce que, avec sa volonté, sa rapidité de décision, sa violence, son adresse, la mobilité de sa vie, il sut le conquérir. Il est certain que son pouvoir sur la foule est demeuré toujours égal, toujours vivace, au cours de sa longue carrière. Son succès a résisté aux changements d’opinions, à l’évolution des idées, aux bouleversements sociaux ; il a traversé, sans s’amoindrir, le second Empire et la troisième République, et tous ceux qui assistèrent à la représentation de ses pièces en France, en Allemagne, en Russie, en Amérique, en sortirent charmés.

Victorien Sardou en 1900. Photographie de Nadar

Victorien Sardou en 1900. Photographie de Nadar

Pourtant Victorien Sardou ne fut pas épargné. Il fut attaqué, combattu, dénigré. Ouvertement, avec violence, des campagnes furent menées contre lui. D’obscures et perfides médisances coururent à son sujet. Et davantage envers lui, la critique se montra sévère, plus brutale et plus acerbe, à mesure que grandissait la réussite. Des mots méprisants furent prononcés : « C’est un homme de métier ! » « Son succès est un caprice de la mode ! »

C’est le 5 septembre 1831 que naquit Victorien Sardou, rue Beautreillis, dans le 4e arrondissement de Paris, dans une vieille maison d’un vieux quartier. Fils d’un professeur, il suivit son père dans ses différentes résidences et son enfance s’écoula de Charonne à Briénon-I’Archevêque, de Paris aux bords de la Méditerranée. Ce fut devant la mer lumineuse, le sol roux et brûlé de la Provence que s’éveilla le talent heureux de Victorien Sardou. Mais ce fut à Paris qu’il acheva son éducation, qu’il commença son rude apprentissage d’homme et d’écrivain.

Son père le destinait au professorat, mais il préféra étudier la médecine. Pendant dix-huit mois, il suivit les cours de la clinique du docteur Lenoir, à l’hôpital Necker. Des malheurs de famille l’obligèrent à quitter brusquement cette carrière en le plaçant dans la nécessité immédiate de gagner sa vie. C’est alors qu’il abandonne la médecine pour se consacrer entièrement aux lettres.

Les débuts ! Que d’amertumes, de découragements, de tristesses ils devaient lui réserver ! Sans relâche, les épreuves se succèdent. Tout en travaillant à sa comédie, Les Amis imaginaires, qui sont comme les premiers croquis de Nos Intimes, il lui faut, pour vivre, s’essayer au journalisme, à l’érudition, au professorat. Il écrit dans L’Europe Artiste un article sur Corot. Mais Corot est un maître déjà célèbre. Victorien Sardou a le tort de le louer. On lui en fait le reproche, et Sardou, revenu de ses idées sur la critique, quitte L’Europe Artiste. Il donne des articles à La Biographie générale de Firmin Didot, sur la Réforme et la Renaissance, Pour soixante-quinze francs par mois, grâce à la recommandation d’un ami, il se charge d’apprendre le latin et le grec à un jeune Égyptien, et de lui enseigner les façons françaises. Il n’y réussit que médiocrement.

C’est pour Victorien Sardou l’époque la plus pénible de son existence. Des échecs successifs ne parviennent pas à le décourager. Pourtant, avec ses gains misérables, c’est à peine s’il peut vivre. Mais il lutte, obstiné, volontaire, décidé, malgré tout, à réussir. Il change de domicile, rapidement, et habite, l’un après l’autre, tous les coins de Paris. Ces logis, Victorien Sardou se les rappelait sans amertume.

Un jour, montrant une aquarelle représentant le quai Napoléon et tout un coin du vieux Paris, il disait : « Voyez, voici la fenêtre de la mansarde où j’habitais. Sur ce pont, il y avait une marchande de pommes de terre à laquelle j’allais acheter, tous les matins, mon déjeuner ! »

Patient, résigné, en dépit des soucis de sa vie quotidienne, Victorien Sardou prenait des notes, regardait le monde autour de lui, préparait toutes ces observations d’où, plus tard, ses pièces devaient naître. Il ne perdit rien de la Révolution de 1848. Il vit Lamartine tribun, passant à cheval au milieu du peuple ; il alla dans les assemblées, assista aux réunions des petits bourgeois, écoutant, regardant, cherchant à voir les ficelles sous l’action, de quoi s’agitait cette foule diverse et bruyante... Et, ce fut ainsi qu’il amassa des matériaux.

Les occupations, le souci de gagner son pain, la multiplicité des besognes auxquelles il était obligé de s astreindre ne l’éloignaient pourtant pas de son but : le théâtre. Il travaillait avec ardeur. Il écrivait La Reine Ulfra, tragédie suédoise, où, par une innovation étrange, les vers étaient proportionnés à l’importance sociale des personnages ; la reine parlait en alexandrins, les ministres se contentaient de vers de dix pieds, et le menu peuple s’exprimait en petits vers coupés. Il écrivait encore Bernard Palissy, La Taverne, Fleur de Liane, Paris à l’envers, Candide, Les Premières armes de Figaro.

Grâce à l’intermédiaire d’un imprésario, Chotel, qui avait jadis conduit une tournée de Rachel, Sardou fait lire le manuscrit de La Reine Ulfra à la grande tragédienne. Mais celle-ci, lasse, fatiguée, refuse la pièce : « Non, pas de pièce suédoise ! dit-elle à Chotel. Demandez à notre ami de m’écrire une pièce grecque ou romaine. » Sardou rêve alors de susciter une rivale à Rachel en la personne de Mlle Desfossés, dont le talent était fort vanté dans les cénacles littéraires. Il lui lit La Reine Ulfra. Mlle Desfossés s’enthousiasme. Elle jouera la pièce et va se mettre immédiatement à l’apprendre. On prend jour pour la répéter et Sardou songe déjà à l’entrée prochaine de sa protégée à la Comédie-Française. Désillusion ! Au jour fixé pour la répétition, Victorien Sardou arrive seul au rendez-vous. Mlle Desfossés a disparu, enlevée, envolée, on ne sait !

Portrait de Victorien Sardou par Lhéritier (1809-1885)

Portrait de Victorien Sardou par Lhéritier (1809-1885)

Mais le hasard se met de la partie. Après avoir laissé dormir longtemps chez le concierge du théâtre les manuscrits des auteurs, les directeurs de l’Odéon se décident à les lire. Mlle Bérengère, la maîtresse de Gustave Vaès, l’un des trois directeurs, remarque parmi les manuscrits celui de La Taverne, de Sardou, et, séduite par son écriture fine, elle conseille à son ami : « Lis donc cela, je suis sûre que c’est bien ! » Gustave Vaès lit la pièce. Certains traits lui rappellent ses observations personnelles. Il décide que la pièce sera jouée.

La Taverne est représentée le 1er avril 1854. Avant la première, les étudiants, en raison de son titre, se promettent de la faire choir. Le soir de la représentation, dès les premières scènes, les acteurs ne peuvent pas parler. On les interrompt. C’est la cabale : cris d’animaux, vociférations, huées, sifflets ; il est impossible d’écouter la pièce. Aux soirées suivantes, le même tapage se reproduit. À la cinquième, Victorien Sardou retire sa pièce.

Il ne se décourage pas. Il présente Bernard Palissy à l’Odéon. Des deux directeurs, l’un l’accepte, et l’autre la refuse. On ne joue pas la pièce. Charles Desnoyers, qui avait accepté Fleur de Liane pour l’Ambigu, meurt au moment de monter l’ouvrage. Sardou écrit alors Le Bossu, dont Paul Féval tire un roman et qu’il veut faire jouer par Mélingue... qui s’y refuse, dans la crainte de paraître ridicule aux yeux de sa femme. Sur l’avis de Scribe, Montigny, directeur du Gymnase, refuse Paris à l’envers.

C’est alors qu’un ami propose à Victorien Sardou de lui donner un mot de recommandation pour Virginie Déjazet, qui, disait-on, accueillait les débutants avec affabilité. Et c’est avec le manuscrit de Candide, comédie en cinq actes écrite pour les Variétés et refusée, que Victorien Sardou part pour Seine-Port où résidait l’artiste. Lui-même a conté cette entrevue :

« Balbutiant je ne sais quoi, je remis ma lettre, qui fit un merveilleux effet. La glace rompue, je ne sais pas trop ce que je dis... Il paraît pourtant que je ne fus pas trop gauche... Je présentai assez heureusement mon Candide...

« Je déposai mon manuscrit sur la table, je serrai ses blanches mains avec effusion, et je pris fa fuite sans me retourner. Ah ! que j’étais léger, cette fois ! Que le ciel me semblait bleu, l’air plus caressant, les oiseaux plus gais, les fleurs plus tendres qu’à mon arrivée ! C’est qu’une voix secrète me disait : Le charme est rompu, ton heure est arrivée. Et ma jeune chance, emprisonnée jusque-là, brisait son esquille et, pour la première fois, battait de l’aile. »

Candide reçu, la comédie fut interdite par la Censure. Les Premières armes de Figaro la remplacèrent. Cette comédie brillante apporta le succès. Ce fut le point de départ. Bientôt furent joués, au Palais-Royal, en collaboration avec Théodore Barrière, Les Gens nerveux ; au Vaudeville, L’Écureuil et, coup sur coup, au théâtre Déjazet, Monsieur Garat et Les Pattes de Mouche.

Maintenant, ce sont les premiers succès, la réussite. La ténacité et l’obstination ont fait triompher les efforts de Victorien Sardou. La fortune a fini par lui céder. Elle est domptée et, pendant toute sa carrière, elle lui demeurera fidèle.

À partir de la première représentation des Pattes de Mouche (1860), qui ouvre par un succès retentissant le début de la carrière dramatique de Victorien Sardou, chaque année nous donne une de ses oeuvres nouvelles. Il s’adonne concurremment à la comédie de mœurs et au théâtre historique. Dans la société contemporaine de la fin de l’Empire, ruée tout entière vers le plaisir, soucieuse surtout de satisfaire ses appétits de luxe. Il trouve ses modèles. Il les étudie, les examine, les dissèque, et de tous ces pantins dont il a, une à une, découvert les ficelles, il crée les personnages de ses pièces. C’est l’époque où, successivement, sont représentées Les Femmes Fortes (1861), Les Ganaches (1862), Les Pommes du Voisin (1864), La Famille Benoiton (1865), Les Vieux Garçons (1865), Nos Bons Villageois (1866), Maison Neuve (1867).

Dans ces pièces diverses, les caractères sont remarquablement mis en scène, sans exagération, avec le parti pris de ne point se laisser aller à écrire de fastidieuses tirades de moraliste et de ne négliger aucun détail de psychologie vivante, animée. Avec Séraphine (1869), Victorien Sardou- revient à la comédie dramatique, genre où il s’était déjà essayé, à ses débuts, avec La Perle Noire, en 1862. Cette fois, mieux en possession de ses moyens, n’ignorant rien des difficultés d’un métier où sa supériorité s’était nettement affirmée, il y réussit mieux. Fernande, jouée en 1870, est la dernière de ses pièces avant la guerre.

En 1872, paraît Rabajas, comédie politique, qui suscite un scandale et donne lieu à de furieuses et passionnées polémiques... Victorien Sardou espérait la voir un jour remettre à la scène avec Tarride et Huguenet comme principaux interprètes. En 1873, il fait jouer trois pièces : Les Merveilleuses, comédie historique ; Andréa, L’Oncle Sam. Puis se succèdent Ferréol (1875), Dora (1877), Les Bourgeois de Pont-Arcy (1878), Daniel Rochat (1880), où débuta Julia Bartet, soirée orageuse et violente s’il en fut.

Affiche de 1886 de A. Michele pour la représentation au Théâtre de la Porte-Saint-Martin de Patrie ! (1869), drame en cinq actes de Victorien Sardou

Affiche de 1886 de A. Michele pour la représentation au Théâtre de
la Porte-Saint-Martin de Patrie ! (1869), drame en cinq actes de Victorien Sardou

En 1880, c’est Divorçons que le public accueillit de façon triomphale, et Odette, Georgette (1885), La Marquise et Belle-Maman (1889), Les Américaines à l’Étranger (1892), Madame Sans-Gêne, jouée en 1893, accueillie avec enthousiasme par le public qui la tint pendant plus d’une année sur l’affiche, et si dénigrée par la presse au lendemain de la première, que Victorien Sardou et les directeurs du Vaudeville, Albert Carré et Porel, ne purent trouver, dans les articles de critique, les quelques lignes élogieuses nécessaires à l’établissement d’une liste des opinions de la presse, pour lancer une tournée en province... En 1895, c’est Marcelle, Spiritisme en 1897, Paméla ou la Marchande de Frivolités (1898), enfin La Piste, jouée aux Variétés et qui n’eut qu’une brève carrière.

Victorien Sardou écrivit aussi deux féeries, genre pour lequel il n’éprouvait aucune prédilection : Le Crocodile (1866), Don Quichotte (1895). Mêlé aux événements historiques, chercheur passionné et merveilleux érudit, il s’adonna au drame historique. Dès 1869, il écrit Patrie !, dont la Comédie fit une reprise ; en 1891, apparaît Thermidor, que la Comédie-Française joue deux fois et qui soulève de telles discussions, fait naître des polémiques si ardentes et donne lieu, dans la salle, à des incidents tellement tumultueux, que le gouvernement en interdit la représentation. C’était l’époque où Clemenceau proclamait, avec intransigeance, sa fameuse théorie : « La Révolution est un bloc ». Quatorze, ans après, la Porte-Saint-Martin reprenait Thermidor, sans qu’aucune protestation s’élevât, aussi bien dans le public que dans la presse. En 1899, apparaît Robespierre, et peu avant sa mort Victorien Sardou préparait un Mirabeau.

Le bagage de drames de Victorien Sardou comprend encore Les Diables Noirs (1863), La Haine (1874) et la trilogie célèbre dont Sarah Bernhardt fut l’admirable interprète et qu’elle fit applaudir, au cours de tournées triomphales, dans le monde entier : Fédora (1882), Théodora (1884), La Tosca (1887). Sont ensuite représentées : Cléopâtre (1890), Gismonda (1894), Le Dante (1895) et La Sorcière, qui eut, avec Sarah Bernhardt, une heureuse carrière, puis L’Affaire des Poisons, jouée à la Porte-Saint-Martin, en cours de représentation au moment de la disparition de Sardou.

Ses oeuvres ont fréquemment inspiré les musiciens, mais n’obtinrent jamais sur les scènes lyriques les grands succès qu’elles connurent sur les théâtres de drame. Parmi ses livrets d’opéra : Bataille d’Amour (1863), Le Capitaine Henriot (1864), Le Roi Carotte (1872), Les Prés Saint.Gervais (1875), Piccolino (1876), Les Noces de Fernande (1878), Patrie (1886), mis en musique de Paladilhe ; La Fille de Tabarin en 1901, partition de Gabriel Pierné ; Les Barbares (1901), musique de Camille Saint-Saëns ; La Tosca, musique de Puccini, et Théodora, musique de Xavier Leroux. De sa comédie Les Merveilleuses fut tiré un livret d’opérette, dont le célèbre compositeur anglais Yvan Caryll écrivit la partition.

Victorien Sardou, épris d’action et de mouvement, ne se résignait d’ailleurs que difficilement à confier ses œuvres à des musiciens pour lesquels il ne témoignait qu’une médiocre estime.

La carrière de Victorien Sardou fut féconde. Pendant près d’un demi-siècle il écrivit pour le théâtre sans interruption, y trouvant les plus grands triomphes, triomphes littéraires et triomphes d’argent. Dès 1877, à quarante-cinq ans, il était élu membre de l’Académie Française en remplacement du poète Autran. Ses concurrents étaient le duc d’Audiffret-Pasquier et Leconte de Lisle. En 1906, il avait été promu grand-croix de la Légion d’honneur ; c’était la digne et juste récompense d’une carrière qui fut prodigieuse d’activité, de labeur, de fécondité. Victorien Sardou y trouva la célébrité et la fortune. Certaines de ses pièces, comme La Tosca, lui rapportèrent plus de cinq cent mille francs.

Victorien Sardou, en dépit et même à cause de cette merveilleuse réussite connut les attaques violentes, les dénigrements passionnés. Il se défendit contre les unes et les autres avec cette âpreté, cet esprit mordant, cette verve caustique et cette sûreté de documentation qui lui permirent de ne craindre aucune querelle, de ne redouter aucune polémique. En toutes circonstances, il se jeta dans la mêlée, ardemment, violemment, montrant cet esprit combatif dont il ne manqua jamais de donner la preuve chaque fois que l’occasion s’en présenta. Il fut fréquemment accusé de piller les œuvres de ses devanciers ou de ses confrères. Il s’en expliqua en 1883, dans un volume intitulé Mes Plagiats, où il indiqua, avec un humour délicat qu’il était impossible, dans un art aussi exploité que l’art dramatique, où toutes les situations, tous les caractères ont été traités, d’éviter les coïncidences et les rencontres d’idées.

Prodigieusement doué de sens dramatique, Victorien Sardou excellait à mettre en scène ses ouvrages, à galvaniser ses interprètes, à régler avec une habileté vigilante les moindres détails. Voici d’ailleurs ce qu’écrivait à ce sujet Sarah Bernhardt qui créa quelques-uns des plus beaux rôles de son théâtre :

« Le travail de Sardou m’a frappée et séduite par son accent tout personnel. L’intérêt n’y faiblit jamais. C’est aux petits rôles qu’il s’attaque tout d’abord ; puis, à mesure que les études s’avancent, les procédés s’élargissent, les horizons se développent, de sorte que le cadre où il s’agitera semble trop étroit, et qu’on voudrait reculer les murs, déménager les meubles, pour donner à l’action grandissante plus d’air et plus de place.

« On me l’avait dépeint comme très absolu ; je l’ai trouvé très conciliant au contraire, très prompt à subir les impressions de l’entourage et à y conformer les siennes au besoin. Les pompiers, les machinistes, les figurants, tout était public pour lui. Il est en cela de l’école d’Alexandre Dumas père, le roi des metteurs en scène. Comme lui, c’est un nerveux, mais un nerveux patient ; comme lui, il fait bon marché de sa prose, et les sacrifices de copie ne lui coûtent rien.

« Avec cela, l’œil à-tout. Aucun détail, même infime, ne lui paraît indifférent. Il s’assied sur les meubles, essaye le jeu des portes, les ouvre, les ferme, choisit les étoffes, ou dans le fond de la salle, étudie la perspective, monte aux galeries supérieures pour s’assurer que le public peut entendre, pleure, rit, éprouve tous les rôles, les vit et les meurt même, arpente le théâtre dans tous les sens, et, dans une seule répétition, joue trois ou quatre fois sa pièce.

« Très frileux, il arrive emmitouflé dans des fourrures et dans son cache-nez. Il donne son paletot au garçon de scène. À peine assis, il jure contre les courants d’air, le froid, le vent, redemande son paletot, le rendosse, le quitte encore, tout cela sans perdre de vue le travail commencé. Vers trois heures, un peu fatigué de cette gymnastique, il fait une légère collation, quelques gâteaux qu’il partage avec ses interprètes et qu’on arrose d’un excellent porto, cadeau du roi de Portugal, son illustre confrère. Et ce sont, entre deux bouchées, des anecdotes et des histoires qu’il raconte avec sa verve intarissable et sa charmante bonne humeur, et dont Marly, Déjazet, sa jeunesse, le spiritisme, etc., font presque toujours les frais. Cela mousse et pétille comme du Champagne. C’est une véritable débauche d’esprit gaulois, recouvert de fine gaze moderne : intermède délicieux et de faut goût. »

Sarah Bernhardt dans Gismonda (1894), drame de Victorien Sardou

Sarah Bernhardt dans Gismonda (1894), drame de Victorien Sardou

Victorien Sardou contait, en effet, délicieusement l’anecdote. Il la vivait et, pourrait-on dire, il la jouait, avec l’Intelligence très nette de l’« effet ». Il recevait aisément chez lui, l’après-midi, ceux qui lui venaient demander conseil ; il les accueillait, affable, simple, cordial, le béret sur la tête. Il abondait en traits incisifs, souvent mordants, jamais méchants, et il racontait à ses visiteurs l’histoire des bibelots précieux, des œuvres d’art, des livres qu’il avait amassés et qui constituaient une façon de musée, très riche. C’est dans son seigneurial domaine de Marly, où avait rêvé André Chénier, où avait passé Napoléon, qu’il se complaisait. Il y demeurait cinq mois par an, pendant la belle saison, ne venant à Paris que pour les concours du Conservatoire où son influence dans le jury était prépondérante.

Félix Duquemel qui l’a beaucoup connu rapporte sur lui ces détails : « Victorien Sardou était, pour moi un ami de trente ans. Je l’avais connu bien jeune, alors qu’étudiant en médecine, Sardou habitait au numéro 47 de la rue d’Enfer, dans une triste mansarde. Il vivait là misérablement, étant très pauvre, et prenait ses repas dans un restaurant à quinze sous... quand il le pouvait ! On racontait, à ce moment, que lorsqu’il ne pouvait payer les quinze sous nécessaires à sa nourriture, il s’en allait mélancoliquement dans les Jardins du Luxembourg, et, là, déjeunait avec des feuilles d’arbre qu’il ramassait à terre. C’est vous dire que les débuts du maître furent pénibles.

« Il fit enfin la connaissance de Déjazet, qui lui conseilla de faire du théâtre et qui fit jouer ses premières œuvres : Les Premières armes de Figaro, Monsieur Garat, Les Pré Saint-Gervais, etc. Sardou se fit alors d’excellentes relations parmi lesquelles Montigny, alors directeur du théâtre du Gymnase, qui l’engagea à faire des comédies. Il se mit au travail et remporta, avec Les Pattes de Mouches, son premier succès.

« Un jour, pendant les répétitions de Théodora, Sarah Bernhardt disparut de Paris sans crier gare. Sardou entra dans une colère terrible. Cependant, ayant appris que Sarah s’était réfugié à Sainte-Adresse, j’allai la chercher. Elle avait de très gros chagrins, pleurait, ne voulait pas revenir. Je réussis pourtant à la convaincre et la ramenai à Paris. Quand elle se présenta à la répétiez, Sardou, le terrible Sardou la saisit dans ses bras et l’embrassa !...

« Violent, Sardou menait rondement ses interprètes ; mais ceux-ci ne pouvaient pas lui en vouloir et ne lui en voulaient pas ; ils savaient que les colères du maître n’avaient pas de suite En effet, il était bon enfant, généreux, serviable en toutes occasions, toujours prêt à rendre service et à secourir les infortunes avec générosité. »

Ayant perdu son épouse en 1867, il se remaria avec Anna Soulié, fille du romancier Frédéric Soulié. Il mourut le 8 novembre 1908, à trois heures et demie du main, en son domicile, 64 boulevard de Courcelles, à Paris. Il était atteint depuis deux mois d’une congestion pulmonaire. Début novembre, les médecins qui le soignaient, ayant constaté une amélioration sensible de son état, avaient permis qu’on le ramenât de sa propriété de Marly à son appartement de Paris. Mais la veille de sa mort, une aggravation subite alarma l’entourage de l’illustre vieillard qui, dans la nuit, s’éteignit doucement, sans souffrances, entouré de sa femme, de ses trois fils, de sa fille et de son gendre, Robert de Flers.

 
 
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