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4 août 1789 : abolition des privilèges, séance de l'Assemblée Constituante. Discours vicomte de Noailles et du marquis de Thiboutot

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Événements marquants
Evénements ayant marqué le passé et la petite ou la grande Histoire de France. Faits marquants d’autrefois.
4 août 1789 : abolition des privilèges
par l’Assemblée Constituante
(D’après « Choix des discours et des rapports les plus remarquables
prononcés dans nos assemblées parlementaires » (Tome 1), paru en 1841)
Publié / Mis à jour le vendredi 4 août 2023, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 8 mn
 
 
 
Les troubles de Paris, suivis de la prise de la Bastille, avaient mis en mouvement le ferment révolutionnaire. Sur presque tous les points de la France des émeutes avaient lieu : on détruisait les bureaux des gabelles ; on pillait, on incendiait les châteaux ; on égorgeait les nobles au nom du roi et de l’assemblée nationale. La disette et la cherté des grains venaient se joindre à ces éléments d’agitation. C’est dans ce contexte qu’eut lieu la mémorable séance de l’Assemblée Constituante du 4 août 1789.

Le 20 juillet, Lally-Tolendal fait une motion tendant à ce que l’assemblée s’occupe de raffermir l’autorité publique, et lui soumet un projet de proclamation au peuple, destinée à lui rappeler tout ce qu’ont fait l’assemblée et le roi pour mériter sa confiance ; inviter les bons citoyens au retour à l’ordre, à la répression des troubles et des exécutions arbitraires ; et autoriser la formation des milices bourgeoises sous la surveillance des autorités.

Cette motion convertie en arrêté était soumise à l’approbation de l’assemblée le 4 août au soir, et allait être adoptée, lorsqu’un membre de la noblesse, le vicomte de Noailles, se lève et s’exprime en ces termes.

Motion du vicomte de Noailles
« Comment peut-on espérer de parvenir à arrêter l’effervescence des provinces, à assurer la liberté publique, à confirmer les propriétaires dans leurs véritables droits, sans connaître quelle est la cause de l’insurrection qui se manifeste dans le royaume ? et comment y remédier, sans appliquer le remède au mal qui l’agite ?

Séance du 4 août 1789 de l'Assemblée Constituante

Séance du 4 août 1789 de l’Assemblée Constituante

« Les communautés ont fait des demandes : ce n’est pas une constitution qu’elles ont désirée, elles n’ont formé ce vœu que dans les bailliages. Qu’ont-elles donc demandé ? Que les droits d’aides fussent supprimés ; qu’il n’y eût plus de subdélégués ; que les droits seigneuriaux fussent allégés ou échangés. Ces communautés voient, depuis plus de trois mois, leurs représentants s’occuper de ce que nous appelons, et de ce qui est en effet la chose publique ; mais la chose publique leur parait être surtout la chose qu’elles désirent et qu’elles souhaitent ardemment d’obtenir.

« D’après tous les différends qui ont existé entre les représentants de la nation, les campagnes n’ont connu que les gens avoués par elles, qui sollicitaient leur bonheur, et les personnes puissantes qui s’y opposaient. Qu’est-il arrivé dans cet état des choses ? Elles ont cru devoir s’armer contre la force ; et aujourd’hui elles ne connaissent plus de frein. Aussi résulte-t-il de cette disposition que le royaume flotte, dans ce moment, entre l’alternative de la destruction de la société, ou d’un gouvernement qui sera admiré et suivi de toute l’Europe.

« Comment l’établir, ce gouvernement ? Par la tranquillité publique. Comment l’espérer, cette tranquillité ? En calmant le peuple, en lui montrant qu’on ne lui résiste que dans ce qu’il est intéressant pour lui de conserver. Pour parvenir à cette tranquillité si nécessaire, je propose : 1° Qu’il soit dit, avant la déclaration projetée par le comité, que les représentants de la nation ont décidé que l’impôt serait payé par tous les individus du royaume, dans la proportion de leurs revenus. 2° Que toutes les charges publiques seraient à l’avenir supportées également par tous. 3° Que tous les droits féodaux seront rachetables par les communautés, en argent, ou échangés sur le prix d’une juste estimation, c’est-à-dire, d’après le revenu d’une année commune prise sur dix années de revenu. 4° Que les corvées seigneuriales, les mainmortes et autres servitudes personnelles seront détruites sans rachat. »

Au vicomte de Noailles succède le duc d’Aiguillon, qui propose à l’assemblée de décréter l’égale répartition de l’impôt, le remboursement des droits féodaux, au denier trente. Le Guen de Kerengal, dépoté de la Basse-Bretagne, trace un tableau énergique, quoique un peu déclamatoire, des abus du régime féodal ; il conclut « à la destruction du monstre dévorant de la féodalité ».

Les propositions les plus généreuses succédèrent rapidement à ces différentes motions : tant l’exemple de l’héroïsme en tout genre, au milieu d’une grande assemblée et sous l’œil du public, est toujours sûr d’électriser les âmes, en France surtout ! Bientôt on proposa de convertir en redevances pécuniaires et rachetantes à volonté toutes les sortes de dîmes en nature ; d’abolir les justices seigneuriales, et le droit exclusif de chasse ; de déclarer remboursables tous les droits féodaux quelconques ; de réaliser les offres des ordres privilégiés en décrétant qu’ils paieraient, comme tous les autres citoyens, les impôts actuels ; de rendre gratuite l’administration de la justice. A ces nobles sacrifices, les députés des provinces s’empressèrent de joindre celui des privilèges, franchises, chartes et capitulations de leurs commettants. Cet exemple fut aussitôt imité par les députés des villes principales du royaume, et la séance ne finit qu’à deux heures du matin.

Au milieu de cette ivresse de générosité, de ces sacrifices faits avec une véritable furia francese, un député du parti populaire s’approche de Lally-Tolendal et lui serrant la main : « Abandonnez-nous, lui dit-il, la sanction royale, et nous sommes amis. » « Ces mots me frappèrent, dit Lally lui-même dans son mémoire ; je sentis qu’il était nécessaire de rattacher le roi à ce nouvel ordre de choses ; qu’il fallait rappeler tout ce que nous lui devions ; et je le fis proclamer restaurateur de la liberté française. »

Ainsi finit cette séance nocturne dans laquelle, selon l’expression du rédacteur du Point du jour : « Le patriotisme de la noblesse française porta lui-même au colosse féodal des coups plus terribles qu’il n’en avait reçu de la politique farouche de Louis XI et de Richelieu. » Elle fit, par un sentiment de générosité et d’héroïsme, ce que des factieux avaient prétendu lui arracher par la violence et par des atrocités.

Pour terminer le tableau de cette mémorable séance, que Rivarol appelait la Saint-Barthélemy des privilèges, nous allons donner la nomenclature de toutes les motions qui furent faites et décrétées.

1° La liberté des personnes et les propriétés conservées. 2° Toutes les charges publiques supportées sans distinction, à raison des facultés. 3° Les servitudes féodales abolies sans indemnités. 4° On prendra cependant en considération les maîtrises, les jurandes, etc. 5° Les droits seigneuriaux, banalités, terrages, seront rachetables. 6° Mainmortes remboursables. 7° Les colombiers détruits. 8° La chasse permise à tout le monde sur sa propriété, mais sans armes à feu pour les gens de la campagne. 9° Les garennes détruites. 10° Les justices seigneuriales abolies ; continuées cependant jusqu’à ce que l’assemblée nationale ait fait un règlement. 11° Les dîmes en nature inféodées, rachetables ou converties. 12° Toutes rentes foncières remboursables. 13° La justice sera rendue gratuitement. 14° Abandon du casuel de la part du clergé. 15° Augmentation prochaine des portions congrues, et revenus des curés des villes augmentés. 16° Tous privilèges pécuniaires abolis. On avisera à faire supporter, sans distinction, les six derniers mois de l’impôt de l’année 1789. 17° Les droits, privilèges des villes et provinces abolis. 18° Admission de tout citoyen aux charges civiles et militaires. 19° Annates et droits de déport abolis. 20° Pluralité de bénéfices défendue. 21° Les pensions et grâces de la cour seront examinées, abolies si elles sont injustes, diminuées si elles sont excessives. 22° Il sera frappé une médaille. 23° Le roi proclamé restaurateur de la liberté française.

Les arrêtés de la nuit du 4 août avaient été pris d’enthousiasme et par acclamation : il fallait les régulariser. Ici les difficultés et les discussions surgirent, les uns voulant les étendre, les autres aspirant à les restreindre ; il y eut même des protestations contre le principe des arrêtés du 4 août. Le marquis de Thiboutot, député de la noblesse du pays de Caux, prononça, dans ce sens, un discours fort remarquable, souvent interrompu par les murmures de rassemblée.

Discours du Marquis de Thiboutot, sur les arrêtés du 4 août 1789
« Je ne saurais admettre, messieurs, pour l’intérêt de mes commettants, la rédaction de l’arrêté qui se trouve dans ce moment-ci soumis à votre jugement. Elle semble annoncer à l’ordre de la noblesse la suppression de ses droits féodaux. C’est sur ces droits qu’est fondée l’existence des fiefs ; c’est sur l’existence des fiefs que sont fondées les distinctions de la noblesse, et je ne crois pas, messieurs, qu’après le sacrifice volontaire qu’elle a fait de ses privilèges pécuniaires, vous vouliez la dépouiller de ses privilèges honorifiques.

Nuit du 4 au 5 août 1789 ou le Délire patriotique. Caricature de 1789

Nuit du 4 au 5 août 1789 ou le Délire patriotique. Caricature de 1789

« Vous n’ignorez pas que son intention n’est pas de s’en dépouiller elle-même ; et comme il n’est point de Français qui n’ait eu dans ce moment-ci les yeux ouverts sur elle, il n’en est point aussi qui ne sache qu’autant elle a mis d’empressement à se soumettre à l’égalité de l’impôt, autant elle a cru pouvoir exiger de fermeté de ses représentants, pour la défense des distinctions qui la caractérisent, et qu’elle croit nécessaires à conserver dans une monarchie.

« Vous ne pourriez donc regarder l’abandon qu’en ont fait hier quelques-uns des députés comme son propre vœu. L’empressement avec lequel ils l’ont fait doit même vous prouver qu’ils n’en ont point envisagé les conséquences ; et vous devez être d’autant moins étonnés qu’ils ne les aient point envisagées, qu’il n’était question de cet objet, si intéressant pour leurs commettants, que comme d’un objet accessoire et secondaire de votre arrêté.

« Les premiers mouvements de l’homme, messieurs, sont sans doute pour la nature ; mais les seconds, chez lui, doivent être pour la raison. Il est dans la nature de tout gentilhomme français de ne plaindre aucun sacrifice pour l’intérêt de sa patrie ; mais il est de la raison et du devoir de ceux mêmes d’entre eux qui auraient oublié hier le vœu de leurs commettants, pour ne s’occuper que du leur, d’exprimer aujourd’hui ce vœu, de se conformer aux intentions bien connues de leur ordre, et de défendre de tout leur pouvoir sa propriété honorifique.

« On vous a présenté, messieurs, les droits féodaux comme nuisibles à l’agriculture ; mais est-il un état, est-il même une république où l’agriculture soit aussi florissante qu’elle l’est en Angleterre ? Et les seigneurs de terres ne jouissent-ils pas en Angleterre de presque tous les droits dont les anciens seigneurs normands jouissaient en Normandie, lorsqu’ils ont conquis ce royaume, et qu’ils y ont apporté les lois de leur pays ?

« On vous a proposé de supprimer sans indemnité les corvées qui se trouvent encore dues aux propriétaires de quelques terres par les habitants des campagnes ; et on a voulu vous faire envisager ces corvées comme des restes de l’ancienne servitude de la France. Mais ne sont-elles donc pas, messieurs, ainsi que tous les droits des seigneurs, le produit de la cession qu’ils ont faite de la plus grande partie de leurs terres à ceux qui n’en avaient pas ? Cette cession à bail perpétuel, connue sous le nom d’inféodation, ne doit-elle pas être, par la nature des choses, soumise aux mêmes lois que celles faites à bail emphytéotique, ou à bail de neuf et sept ans ? Et s’il a toujours été permis d’exiger des corvées des particuliers auxquels on a cédé, par bail à terme, le profit qu’on pouvait faire sur ses terres, n’a-t-il pas toujours dû l’être aussi d’en exiger de ceux auxquels on a cédé pour un temps indéfini le même profit ?

« Vous savez, messieurs, qu’il n’existe pas plus de charges sans bénéfices, que de bénéfices sans charges. Vous savez qu’on n’a jamais conclu ni accepté de marché, que lorsqu’on a trouvé plus d’avantage que de désavantage à le conclure ou à l’accepter. Vous avez déjà fait connaître l’esprit d’équité qui vous anime, en consacrant les droits de propriété, en adoptant pour base ou pour premier principe de la constitution française, que tout citoyen avait un droit égal à la justice de la société. Les gentilshommes, messieurs, sont des citoyens. Il n’est aucun de leurs droits féodaux qui ne soit le prix du droit sacré de propriété qu’ils avaient sur les terres qu’ils ont inféodées. Il n’en est donc aucun dont il ne dût leur être tenu compte, si l’intérêt public pouvait en exiger le sacrifice.

« Je ne doute pas d’ailleurs, messieurs, que vous ne pesiez dans votre sagesse si les mœurs des habitants des campagnes, si le commerce même, n’auraient pas à perdre infiniment à la permission qu’il vous a été proposé d’accorder à chaque cultivateur de détruire, dans tous les temps, toute espèce de gibier sur ses terres.

« Il vous a encore été proposé de porter au denier trente l’estimation de la valeur de tous ceux de ces droits, dont on croyait que les seigneurs ne pouvaient être privés sans indemnité. Je dois vous prier de considérer que le plus grand nombre des rentes seigneuriales se trouve déjà réduit à la quatre-vingt-seizième partie de leur valeur, parce que le plus grand nombre des seigneurs a autrefois consenti à en recevoir le paiement en argent ; et que celles de ces rentes qui se perçoivent en argent ne leur produisent conséquemment plus aujourd’hui que cinq sous, au lieu d’un louis, que cent vingt-cinq livres, au lieu de douze mille livres, et que mille écus, au lieu de deux cent quatre-vingt-huit mille livres qu’elles devraient leur produire.

« Je dois opposer aux reproches que j’ai entendu faire, en général, au contrat féodal dans cette auguste assemblée, ce qu’en pensait, il y a quelques années, un des plus célèbres jurisconsultes du siècle. « Il n’est point, disait-il, de contrat plus favorable au débiteur. Il est le seul dont on puisse abandonner l’effet, sans donner contre soi un droit de recours et d’indemnité, lorsqu’on se trouve trop grevé. Il est assujetti à une forme et à des lois particulières, pour la contrainte des redevables, qui tendent également à diminuer pour eux les frais de justice, et à alléger leur sort.

« Dans le plus grand nombre des provinces du royaume, les lois protègent le vassal et restreignent la liberté que le seigneur pourrait avoir d’abuser de ses droits. Des titres authentiques, une possession constante, peuvent seuls lui en procurer l’exercice, et souvent il ne jouit pas, pour ses redevances, des privilèges que la loi accorde à son vassal pour les siennes. Dans les basses justices, il ne peut demander que trois années de ses rentes ; et il semble que le contrat soit tout à l’avantage du vassal, puisqu’il contient, en sa faveur, une condition dont la réciprocité devrait être la base, et dont cependant le seigneur se trouve privé. »

« Je laisse, d’ailleurs, à l’équité et à l’honnêteté des communes à décider si elles auraient dû, si elles devront jamais permettre, même à des membres de la noblesse, de proposer à l’assemblée, et surtout d’y discuter des objets sur lesquels elles ont des intérêts contraires à ceux de cet ordre. Elles sont trop justes, sans doute, pour vouloir être, en même temps, juges et parties. Et comment ne seraient-elles pas à la fois l’un et l’autre dans une délibération commune où l’on compte les voix, et où, quelle que fût la façon de penser de la noblesse, elle n’aurait jamais rien de mieux à faire que de paraître céder de bon gré ce qu’elle serait toujours obligée de céder de force, vu la prépondérance qu’elles y ont sur elle de deux voix, et peut-être même de trois contre une ?

« Il semble qu’il vaudrait encore mieux qu’elles exigeassent d’elle, avec une franchise digne des deux ordres, le sacrifice que, dans la sagesse de leur patriotisme, elles jugeraient nécessaire qu’elle fit à l’intérêt du bien public. Elles ne doivent certainement pas douter qu’elle ne soit toujours portée à le préférer au sien propre. »

La discussion des articles se continua jusqu’au 11 août, et se termina par l’adoption du décret, amplifié en beaucoup de points. Les dîmes, par exemple, avaient été, le 4, déclarées rachetables ; le 10 elles furent déclarées abolies.

 
 
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