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17 septembre 1863 : mort du poète et romancier Alfred de Vigny

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Éphéméride, événements
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17 septembre 1863 : mort du poète
et romancier Alfred de Vigny
(D’après « La Semaine des familles » paru en 1863
et « Revue de Bretagne et de Vendée » paru en 1863)
Publié / Mis à jour le dimanche 17 septembre 2023, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 8 mn
 
 
 
Défenseur du faible et du vaincu, flétrissant la tyrannie, n’ayant jamais adoré le succès, le poète attacha son nom à la renaissance poétique qui signala les premières années de la Restauration, tandis que le prosateur écrivit des pages généreuses, élevées, et composa un chef-d’oeuvre

Né le 27 mars 1797 à Loches, d’une famille aristocratique et militaire, Alfred de Vigny, comme il l’a raconté lui-même, ouvrit les yeux aux images de la guerre en les ouvrant à la lumière, et, sur les genoux de son père, son enfance fut bercée de récits héroïques dans le château de ses aïeux. Il avait seize ans lorsque l’Empire tomba et que la Restauration vint panser les blessures saignantes de la France. Le goût traditionnel des hommes de sa lignée pour le noble métier des armes et l’opinion qu’il avait puisée à la même source le firent entrer dans la maison militaire du roi, au moment où elle se forma.

Fidèle à l’honneur et à son drapeau, il reconduisit Louis XVIII jusqu’à la limite extrême du territoire français, quand les Cent-Jours vinrent interrompre la Restauration à peine commencée. Congédié par les princes avec la plupart de ses compagnons d’armes, il fut, tant que les Cent-Jours durèrent, interné dans un département éloigné de Paris. Il reparut sous le drapeau au second retour des Bourbons, et bientôt après il quitta la maison militaire du roi pour entrer dans le régiment de la garde royale.

Alfred de Vigny. Gravure de 1841
Alfred de Vigny vers 17 ans en uniforme de sous-lieutenant de la Maison du roi
Portrait attribué à François-Joseph Kinson

Quand nous aurons ajouté à ces détails que la complexion d’Alfred de Vigny était délicate, sa santé faible, sa stature peu élevée, tout son extérieur d’une rare distinction, qu’il avait un goût très vif pour l’étude, l’amour de la littérature et de l’art, et des relations avec la société la plus distinguée de Paris, nous aurons dit à peu près tout ce qu’il est nécessaire de savoir de l’homme pour bien comprendre l’écrivain. La passion des armes, le goût de l’étude, la tradition de l’honneur, se rencontrant avec ce réveil si vif de l’esprit littéraire qui marqua les premières années de la Restauration, et l’inspiration de la jeunesse devinrent autant d’éléments de ce talent qui unit à l’élévation l’élégance exquise, la grâce, la pureté, et qui, difficile avec lui-même, ne prodigua point ses œuvres, et cisela avec une curieuse sollicitude toutes les pierres de son monument.

Alfred de Vigny écrivit de bonne heure, et ce fut par la poésie que son talent se révéla. Le Déluge, Moïse et Éloa, datent dû commencement de la Restauration. Dans les deux premiers poèmes, on reconnaît que la Bible était une lecture familière au jeune officiel de la garde, et l’on voit déjà poindre dans Moïse cette idée qui occupera toute sa vie : le génie malheureux de sa supériorité et de son isolement. Alfred de Vigny, par les allures indépendantes de son esprit et de son talent, a des affinités avec l’école nouvelle, et nous savons qu’il eut des liens avec Victor Hugo peu de temps avant le mariage de celui-ci. Il paraissait quelquefois dans la mansarde du n° 30 de la rue du Dragon, où ce poète était installé avec un de ses cousins, peu de temps avant son mariage, et l’on trouve la preuve de ces rapports dans les lignes suivantes, empruntées au second volume de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie :

« La pléiade s’accrut de M. Alfred de Vigny, alors i capitaine au 4e régiment de la garde. Il prit, un matin, MM. Emile Deschamps et Victor Hugo, et les emmena en coucou déjeuner à Courbevoie, où casernait son régiment. Les trois poètes convinrent de ne se parler qu’en vers pendant la route, et se livrèrent à un dialogue saugrenu et à des soubresauts d’improvisation qui les faisait prendre par le cocher pour trois imbéciles. »

Ces débauches littéraires devaient être très rares chez Alfred de Vigny. Caractère distingué et plein de réserve, talent aristocratique et solitaire, il marchait dans son sentier et ne s’inspirait guère que de lui-même. Il se trouvait enrôlé, il est vrai, mais sans s’en être beaucoup mêlé, dans la pléiade, et, par la perfection étudiée de son style, par la pureté sévère de sa manière, il se distinguait du reste de l’école avec les chefs de laquelle ses relations personnelles s’éloignaient de plus en plus. Cela est si vrai, que dans l’ouvrage plus haut indiqué M. Alfred de Vigny n’est plus cité qu’une fois, comme s’étant trouvé à la première lecture du drame de Marion Delorme, dans le salon de Victor Hugo, avec Balzac, Eugène Delacroix, Alfred de Musset, Alexandre Dumas, Sainte-Beuve, Villemain, Mérimée, Armand et Edouard Berlin, Frédéric Soulié, etc.

Il ne sera pas sans intérêt de mettre ici quelques vers du poète sous les yeux du lecteur, pour qu’il puisse juger sa manière dans deux genres différents. Dans une description, marquée au coin d’une mâle énergie, il peint ainsi le Déluge :

Tous les vents mugissaient, les montagnes tremblèrent ;
Des fleuves arrêtés les vagues reculèrent,
Et du sombre horizon dépassant la hauteur,
Des vengeances de Dieu l’immense exécuteur,
L’Océan, apparut. Bouillonnant et superbe,
Entraînant les forêts comme le sable et l’herbe,
De la plaine inondée envahissant le fond,
Il se couche en vainqueur dans le désert profond,
Apportant avec lui, comme de grands trophées,
Les débris inconnus des villes étouffées ;
Et là, bientôt plus calme en son accroissement,
Semble dans ses travaux s’arrêter un moment,
Et se plaire à mêler, à briser sur son onde
Les membres arrachés au cadavre du monde !

Ce pinceau, si fier et si mâle, sait s’adoucir quand le sujet l’exige On en trouve la preuve dans ce portrait de Doloreda, tracé avec une finesse de dessin et une suavité de coloris rare chez les poètes de ce temps :

Oh ! jamais dans Madrid un noble cavalier
Ne verra tant de grâce à plus d’art s’allier ;
Jamais pour plus d’attraits lorsque la nuit commence,
N’a frémi la guitare et frémi la romance ;
Jamais, dans une église, on ne vit plus beaux yeux
Des grains du chapelet se tourner vers les cieux ;
Sur les mille degrés du vaste amphithéâtre,
Jamais on n’admira plus belles mains d’albâtre,
Sous la mantille noire et ses paillettes d’or,
Applaudissant de loin l’adroit toréador.

Vous reconnaissez ici ce respect pour l’art, cette justesse et cette sobriété d’expression, cette harmonie entre la pensée et le rythme, qualités par lesquelles il se distingue de l’école avec laquelle il est d’accord sur la nécessité d’ouvrir de nouvelles voies à la littérature. C’est une de ces intelligences d’élite qui écoutent longtemps la voix intérieure avant de parler, et se satisfont difficilement elles-mêmes, parce qu’elles ont le sentiment et le goût de la perfection. Caractérisons Alfred de Vigny d’un mot : c’est un esprit hardi servi par un talent prudent et mesuré.

Nous arrivons ainsi jusqu’à l’année 1823. Alfred de Vigny, qui avait saisi avec enthousiasme l’occasion de l’expédition d’Espagne pour faire la guerre, fut déçu dans son attente ; son régiment ne fut pas employé aux opérations actives. C’est en partie à ces loisirs forcés que l’on doit le roman de Cinq-Mars, cette oeuvre par laquelle Vigny essaya de transplanter en France le roman historique que les chefs-d’œuvre de Walter Scott rendaient en ce moment populaire dans toute l’Europe. Dans ce livre, dont les romans de Walter Scott ont peut-être donné l’idée, mais dans lequel l’auteur français est resté original, on voit la peinture de la première moitié du XVIIe, éclairée par un vif rayon d’idéal. Le romancier n’a pas oublié ses droits, mais l’historien est demeuré debout derrière le romancier.

Si l’imagination de l’écrivain a poétisé Cinq-Mars, on retrouve le Richelieu de l’histoire avec son esprit puissant, servi par une inflexible volonté, ardent dans ses desseins, implacable contre les obstacles. Autour de celte grande et terrible figure les personnages de l’époque viennent se grouper ; le fils de l’historien de Thou, cette touchante victime de l’amitié ; Bassompierre prolongeant sa jeunesse jusque dans l’âge mûr ; Louis XIII, trop faible pour gouverner, mais ayant l’esprit assez clairvoyant pour comprendre que Richelieu est l’ouvrier nécessaire des tâches de son règne, et assez raisonnable pour lui sacrifier tous les favoris que, dans un instant de caprice, il lui a opposés ; Gaston d’Orléans, passant de la révolte à la soumission pour revenir de la soumission à la révolte, conspirateur sans audace, ami sans sûreté, prince sans dignité. Les mœurs, les idées, les passions contemporaines, évoquées par le pinceau d’Alfred de Vigny, revivent sur cette toile d’un coloris puissant, et, à la fin du drame, Corneille et Milton, auxquels l’auteur a prêté l’esprit divinatoire des poètes, annoncent sur les débris de la féodalité qui s’écroule l’avènement de la démocratie, dernière scène qui marque l’époque où l’ouvrage fut écrit, dans un temps où l’on sentait déjà la révolution de 1830 se remuer dans un avenir prochain.

Alfred de Vigny vers 17 ans en uniforme de sous-lieutenant de la Maison du roi. Portrait attribué à François-Joseph Kinson
Alfred de Vigny. Gravure de 1841

Cinq-Mars est de 1826. En 1829, Alfred de Vigny, obéissant au même mouvement qui conduisait Alexandre Dumas à composer son drame d’Henri III, et Victor Hugo son drame d’Hernani, fit représenter, avec un succès contesté, sous le titre d’Othello, une imitation de Shakespeare. Ainsi, il avait pris par la poésie pour arriver au roman historique, et du roman historique il passait au théâtre. Cette marche lui est commune avec plusieurs écrivains remarquables de son temps.

Stello parut après 1830, Stello, livre de doute anxieux et poignant, où se reflète l’état morbide de l’intelligence d’Alfred de Vigny, qui n’avait pas échappé à la maladie intellectuelle de son temps, à celle qui tua Théodore Jouffroy et égara tant d’autres esprits distingués. Cet. ouvrage tient de la philosophie par le fond, du roman par la forme, de la poésie par le souffle d’inspiration qui y règne. Nous retrouvons dans Stello cette idée de la souffrance et du malheur, attachés à la supériorité et au génie que nous avons vus poindre dans Moïse. Mais l’idée est devenue plus hardie. L’esprit du poète est sous le coup des redoutables problèmes qui agitent l’époque. Son livre est une nouvelle incarnation du type de Faust, de Werther, de René et de Manfred, posant les grandes énigmes philosophiques et sociales qui ne seront jamais réalisées, et s’indignant de ne pas trouver leur solution.

Gilbert, Chatterton, André Chénier, lui fournissent le cadre de trois drames à la fois tragiques, élégiaques et satiriques, du fond desquels sortent trois malédictions contre les sociétés humaines, trois reproches qui s’élèvent jusqu’à la Providence. On sent monter le flot du rationalisme et de l’utopisme contemporains qui menace de tout engloutir. Il y a telle phrase grosse de plusieurs révolutions, comme celle-ci, par exemple : « L’homme a rarement tort, l’ordre social toujours. » La révolution de 1830, le saint-simonisme et le fouriérisme se remuent et grondent derrière ce livre ; ils exercent une influence secrète sur l’esprit d’Alfred de Vigny, qui, malgré la tendance de ses opinions, est emporté par le courant des idées de son époque.

Servitude et Grandeur militaires est la dernière étape de la pensée d’Alfred de Vigny. C’est la conclusion philosophique de Stello, conclusion meilleure que les prémisses, mais insuffisante et imparfaite cependant. Le stoïcisme, le culte de l’honneur paraît à cette âme troublée et cherchant sa voie le dernier asile qui reste à l’homme de notre temps. Fatigué de l’analyse incessante et stérile des problèmes philosophiques et sociaux, il les renvoie à l’avenir qui les résoudra, du moins il l’espère ; en attendant, il se replie sur lui-même, et dans cet ébranlement de toutes ses idées et de tous ses sentiments, ne trouvant plus de solide que le sentiment de l’honneur, qui n’a pu fléchir dans cette âme d’élite, il le prend pour mobile des sociétés modernes.

Cette glorification de l’honneur est dédiée à la garde royale qui venait de succomber victime de ce sentiment exalté, au poste que lui assignait le devoir. « Si le mois de juillet 1830 eut ses héros, s’écrie l’auteur, il eut en vous ses martyrs, ô mes braves compagnons ! Vous voilà à présent tous séparés et dispersés [ces lignes furent écrites en août 1835]. Beaucoup parmi vous se sont retirés en silence, après l’orage, sous le toit de leur famille ; quelque pauvre qu’il fût, beaucoup l’ont préféré à l’ombre d’un autre drapeau que le leur. D’autres ont voulu chercher leurs fleurs de lis dans les bruyères de la Vendée, et les ont encore arrosées de leur sang ; d’autres, encore saignant des blessures des trois jours, n’ont pas résisté aux tentations de l’épée : ils l’ont ressaisie pour la France, et lui ont encore conquis des citadelles. Partout même habitude de se donner corps et âme, même besoin de se dévouer, même désir de porter et d’exercer quelque part l’art de bien souffrir et de bien mourir... Gardons-nous donc bien de dire de ce dieu antique de l’honneur que c’est un faux dieu, car la pierre de son autel est peut-être celle du Dieu inconnu. »

Les ouvrages qu’Alfred de Vigny composa depuis ne furent qu’un écho des sentiments et des idées qu’il avait déjà exprimés. La Maréchale d’Ancre et Chatterton représentent une tentative d’excursion dans le domaine dramatique. La Maréchale d’Ancre est tirée du roman de Cinq-Mars, comme Chatterton est tiré du roman de Stello. Le premier de ces deux drames réussit peu. On y trouva des beautés de dialogues et quelques situations émouvantes, mais trop de paroles et trop peu de mouvement. La multiplicité des événements qui s’y heurtent ne saurait y remplacer l’action.

Chatterton, dont le sujet convenait mieux à un génie contemplatif, rêveur et doué d’une grande puissance d’analyse, eut plus de succès, sans que cependant ce succès ait été éclatant. C’est l’analyse d’une maladie de l’âme, la même qui a été l’étude d’Alfred de Vigny pendant toute sa vie, le génie malheureux, puissant et solitaire que le poète a essayé de peindre dans son Moïse, le génie incompris, impuissant dans Chatterton, mais dans l’un et l’autre cas souffrant de son isolement. Quoique le poète ait mis dans cette composition les qualités exquises de son talent, l’émotion délicate, la sensibilité touchante, les larmes choisies, le sentiment de l’idéal et un spiritualisme élevé, il n’a pu faire d’une élégie un drame. Voilà pourquoi cette pièce n’a pu conquérir une place durable au théâtre.

A partir de ce moment, soit qu’Alfred de Vigny désespérât du succès, soit plutôt que, dégoûté par les excès dans lesquels se précipitait la littérature, il ait voulu marquer ce dégoût en se séparant de ceux avec lesquels il avait marché, il se mit à l’écart et rentra, comme l’a dit Sainte-Beuve, dans sa tour d’ivoire, du haut de laquelle il regarda passer le déluge qui entraînait les écrivains de son temps vers les écueils contre lesquels nous avons vu se briser tant de renommées contemporaines.

Poète éminent et prosateur distingué dont le succès avait accueilli toutes les productions, il résista en effet à toutes les amorces de la fortune et de la renommée, demanda au calme de la vie privée le secret du bonheur, et prit pour règle de sa vie littéraire ces vers de l’un de ses poèmes :

A voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse,
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.

Alfred de Vigny resta fidèle à cette devise jusqu’à son dernier jour. Au moment de mourir, il demanda qu’aucun discours ne fût prononcé sur son cercueil : quelques larmes silencieuses, des prières muettes, lui parurent préférables à ces bruyantes harangues émaillées des mots gloire, lauriers, succès.

 
 
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