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Coutumes et traditions. Voyage à pied. Pèlerinages. Marche pratiquée par nos ancêtres

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Coutumes, Traditions
Origine, histoire des coutumes, traditions populaires et régionales, fêtes locales, jeux d’antan, moeurs, art de vivre de nos ancêtres
Voyages à pied : plébiscités avant
d’être supplantés par l’automobile
(D’après « Le Petit Journal », paru en 1927)
Publié / Mis à jour le mercredi 15 octobre 2014, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
La multiplicité des moyens de transport, l’incessant développement de la bicyclette et de l’automobile, la fièvre de vitesse qui agite aujourd’hui l’humanité tout entière, nous ont désaccoutumés de la marche, déplore en 1927 un chroniqueur du Petit Journal, ajoutant que ces joies de la promenade à pied qu’appréciaient tant nos aïeux, nous ne les connaissons plus

Vous me direz, écrit Jean Lecoq, que le sport pédestre est toujours florissant — plus florissant peut-être qu’il ne le fut jamais ; que, tous les dimanches, on voit des légions de jeunes gens prendre part à des courses, à des « cross-country », à des matches, que sais-je ?... Mais, dans tout cela, c’est toujours de vitesse qu’il s’agit. Toute cette belle jeunesse court !... elle court à perdre haleine ; elle s’époumone ; elle ne marche pas. Tel champion qui a montré sa performance en tournant pendant vingt-quatre heures au pas accéléré, tout autour de la Butte, s’il doit, après cela, aller à Versailles, par exemple, préférera prendre le train, plutôt que de s’y rendre en musant par les chemins.

Nos aïeux voyageaient pourvoir du pays, pour goûter les charmes du pittoresque, les joies de la nature, recueillir des impressions, éprouver des sensations nouvelles, emmagasiner des souvenirs. Chez les gens d’aujourd’hui, le plaisir de voyager se résumer en trois mots : « Bouffer des kilomètres ! » Et plus on en a « bouffé », plus on est fier et plus on est content.

Pauvres fous qui courez ainsi, à cent vingt à l’heure, vers un destin souvent tragique, reposez-vous donc, au retour, en lisant les Aventures burlesques, de d’Assoucy (1605-1677). Vous y trouverez, du voyage à pied, un si chaleureux éloge que, peut-être, quelque jour, vous laisserez l’auto au garage et vous vous mettrez en route pour en savourer les simples agréments. D’Assoucy, en ce temps-là, voyage en Bourgogne — c’est le pays de Cocagne... Ne serait-ce pas folie que de le traverser trop vite ?... Notre homme n’est pas pauvre : il a de l’argent blanc et de belles pistoles d’Espagne. Deux pages le suivent ; un âne porte ses hardes, son luth, plus un coffre tout rempli de chansons, d’épigrammes et de sonnets. Il eût pu prendre le coche d’Auxerre, mais il préfère aller pédestrement.

« Il m’importe peu qu’on me voie aller à pied, pourvu que j’y trouve mon plaisir et ma santé... Quel plaisir d’aller les bras pendants, avec une bonne paire de souliers plats, et sans crainte de se rompre le col, ou de se crever les yeux à quelque branche d’arbre, de se promener dans la campagne comme un philosophe qui fait un tour d’allée dans son jardin, de marcher tantôt sur le velours vert d’un tapis herbu, et tantôt côtoyant un petit ruisseau, fouler aux pieds les traces que les fées ont laissées empreintes dans l’émail d’une prairie !...

« Quel plaisir de cueillir l’aubépine ou la rose muscade sur un buisson ; si vous êtes altéré, d’étancher votre soif sous la feuillade d’un cabaret ou dans le cristal d’une fontaine ; et si vous êtes las, vous reposer sur les bords d’un étang, d’un ruisseau ou de quelque petite rivière, d’en voir couler les ondes et nager les petites poissons, de passer le chaud du jour tantôt à la fraîcheur des eaux, et tantôt à l’ombre de quelque grand arbre touffu, et, sans craindre qu’on vous ferme les portes d’une ville, s’endormir au doux murmure des zéphyrs ou à la musique des oiseaux ».

Ainsi, le doux bohème s’en allait par les routes de Bourgogne, musant parmi les bois, grappillant parmi les vignes, et s’arrêtant dans les bourgs, où ses pages, qu’il accompagnait de son luth, chantaient, aux villageois assemblés, ses plus belles chansons. N’était qu’en ce temps-là on rencontrait de temps à autre, à quelque carrefour, de mauvais garçons qui, l’escopette au poing, vous forçaient à vider votre escarcelle et vous prenaient même jusqu’à vos chausses, vous laissant nus comme petits saints Jean au bord du chemin, c’eût été à coup sûr la plus jolie façon de voyager.

Mais trop de sacripants couraient la campagne ; et force était aux voyageurs d’aller en troupe sur de bons chevaux, l’épée au côté et les pistolets dans les fontes, ou de prendre les voitures publiques, lesquelles, au surplus, n’étaient pas toujours à l’abri des attaques de bandits.

Pourtant, en dépit de ces surprises de la route, tous gens de métiers et petites bourgeois voyageaient à pied. C’est à pied que le compagnon, soucieux de bien apprendre son état pour obtenir la maîtrise au retour, allait de ville en ville et faisait son tour de France. C’est à pied que s’accomplissaient les pèlerinages, même les plus lointains. Ils s’organisaient dans les provinces comme aujourd’hui les voyages des agences. Un centre était désigné où les pèlerins se rendaient individuellement, et d’où ils partaient en troupe pour Rome, pour Saint-Jacques de Compostelle, voire même pour les Lieux Saints. On n’imagine pas le nombre de croyants qui, chaque année, s’en allaient à pied, à travers la Hongrie, jusqu’en Palestine.

Les femmes elles-mêmes ne craignaient pas de se lancer dans ces entreprises aventureuses. Au XVIIe siècle, on citait une dame Brémond, de Marseille, qui avait parcouru ainsi l’Egypte, la Palestine, le Liban et presque toute la Syrie. Au XVIIIe siècle — fait plus étonnant encore —, une femme, nommée Anne Chéron, alla visiter Jérusalem et fit toute la partie terrestre du voyage à pied. Elle avait quatre-vingts ans...

Si, malgré les dangers qu’ils offraient, les pèlerinages en Terre Sainte étaient aussi fréquents, on devine quelle devait être l’affluence des pèlerins qui allaient visiter les lieux de sainteté situés en France. La capitale du monde chrétien, surtout, attirait dans ses murs une foule de voyageurs de toutes les nations. Le moindre évêque français faisait chaque année au moins un voyage à Rome, emmenant chaque fois un cortège de quatre à cinq cents pèlerins.

Nous savons par les écrivains du grand siècle que le voyage à la Ville Eternelle était pour tout Français de la noblesse ou de la bourgeoisie aisée, le complément indispensable d’une bonne éducation. Ce voyage coûtait cher à qui voulait l’effectuer avec quelque confort. Mais, pour le pèlerin qui faisait la route à pied, les dépenses étaient minimes, car le chemin était jalonné d’innombrables monastères où l’on accueillait, où l’on hébergeait gratuitement.

Les pèlerins, la plupart du temps, partaient sans argent et sans provisions ; aussi les dangers et les obstacles de toutes sortes qu’ils rencontraient sur leur route, les fatigues auxquelles ils étaient exposés, avaient nécessité de bonne heure la fondation d’établissements destinés à leur offrir le gîte et la nourriture. Les conciles et les capitulaires prescrivaient aux monastères d’accueillir avec charité les pèlerins. Les rois, les seigneurs, les fidèles fortunés leur faisaient des donations dans ce but. C’est pour venir en aide aux pèlerins qui se rendaient en Italie que Louis le Débonnaire — fils de Charlemagne, il succéda à celui-ci et régna comme Empereur d’Occident de 814 à 840 — fonda l’hospice du Mont-Cenis et le dota de riches revenus.

La tradition du pèlerinage à pied vers la capitale du monde chrétien n’a pas cédé complètement à la frénésie de vitesse qui règne de nos jours, relève Jean Lecoq. On rencontre encore sur les routes d’Italie des pèlerins qui s’en vont le sac au dos et le bâton à la main. C’est ainsi qu’un de nos confrères, poète et écrivain d’art distingué, André Mabille de Poncheville, a parcouru récemment « le chemin de Rome » et résumé, sous ce titre, dans un livre tout imprégné de la foi la plus ardente et du plus noble amour des belles choses, ses impressions et ses souvenirs, note encore notre chroniqueur qui ajoute qu’une chose l’a frappé dans ce livre : l’accueil sympathique, la cordialité toute particulière que rencontre généralement sur sa route le voyageur qui va à pied.

On regarde en effet passer l’auto rapide, on envie peut-être ceux qu’elle transporte, mais on n’a point pour eux les sentiments fraternels qu’inspire le globe-trotter qui va vers son but pédestrement. Celui-ci, on le salue au passage d’un « buono giorno » ou d’une « bona sera », suivant l’heure. Les gens lui font un peu de conduite, causent volontiers avec lui, l’interrogent sur les incidents et sur le but de son voyage.

Le pèlerin s’assied-il un instant à l’entrée d’un bourg ? Tout de suite une bienveillante assemblée de commères se tient autour de lui... « Quittant le seuil des maisons où elles jacassaient entre elles, la plus délurée, n’y tenant plus, vient à moi sans abandonner son tricot, et après un souriant : Buono giorno ! me pose l’habituelle question : Si va a Roma ? Puis, venues derrière elles, toutes les autres m’entouren, me regardent avec curiosité, s’efforcent à comprendre et se faire comprendre, et, pour finir me souhaitent une bonne route à qui mieux mieux... »

Cette sollicitude pour le voyageur qui passe prend les formes les plus diverses, les plus poétiques parfois : « J’arrive à Ronciglione, écrit M. de Poncheville. Aux premières maisons, comme je m’approche d’une fontaine pour y boire, une femme qui avait rempli son aiguière de cuivre, renouvelle le geste de Rebecca en l’inclinant vers ma bouche. » Plus loin, le pèlerin hésite sur sa route : il s’est arrêté au bord d’une vigne où le mari et la femme travaillent ensemble. L’homme s’aperçoit de son embarras ; il accourt à travers les échalas :

« Avant toute chose, il me fait entrer dans sa plaisante petite maison en haut du vignoble ; il entend que je goûte son vin, trinque avec moi, remplit ma gourde, m’offre des œufs frais pondus de ses poules, puis me fait un bout de conduite et ne me quitte que persuadé d’avoir remis en bon chemin l’hôte de passage envoyé par Dieu... »

Dans les auberges, même accueil gracieux. Parfois, les hôteliers ne veulent pas que le pèlerin mange isolément ; on lui fait place à la table de famille, et l’on débouche, au dessert, un flacon de choix en son honneur. « D’une façon général, dit M. de Poncheville, je n’ai pas été rançonné dans les auberges comme on l’est trop souvent dans les hôtels destinés aux touristes. »

Voici quelques avantages inattendus du voyage à pied. Mais il en est d’autres non moins appréciables : ce sont ceux que le bon d’Assoucy dépeignait avec toutes les grâces de son style au XVIIe siècle : c’est le plaisir de voir, de tout voir, plaisir dont se privent volontairement la plupart des gens qui roulent en auto. La nature est une grande éducatrice ; aussi serait-il souhaitable, conclut Jean Lecoq, que les jeunes gens d’aujourd’hui daignassent, comme le faisaient ceux d’autrefois, la regarder autrement qu’en courant à cent à l’heure par les chemins. Rien ne forme la jeunesse comme les voyages. Et surtout les voyages à pied.

 
 
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