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Château du Nideck (Bas-Rhin) : entre géants et malédiction de la Toussaint

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Légendes, Superstitions
Légendes, superstitions, croyances populaires, rites singuliers, faits insolites et mystérieux, récits légendaires émaillant l’Histoire de France
Château du Nideck (Bas-Rhin) : entre géants
et malédiction de la Toussaint
(D’après « Voyage aux châteaux historiques des Vosges
septentrionales » (par Henry Garnier et Jules Froelich), paru en 1889)
Publié / Mis à jour le lundi 31 octobre 2022, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 7 mn
 
 
 
Si l’histoire du château de Nideck est marquée par les combats du chevalier André Wirich, issu de la noblesse strasbourgeoise, il est deux légendes qui sont associées à la forteresse : l’une voulant que la demeure ait abrité un couple de géants dont la fille ramena un jour de la vallée un laboureur et son bœuf qu’elle prenait pour des jouets vivants ; l’autre évoquant la disparition de Wirich le jour de la Toussaint, frappé de malédiction par son père venant de trépasser et lui reprochant son impiété

Des anciennes fortifications du manoir légendaire, ne subsiste que le donjon isolé, tour carrée de 20 mètres de hauteur, le château ayant laissé d’autres vestiges moins importants, notamment ceux des anciens corps de bâtiment, situés sur un tertre particulier, coupé par les gradins de plusieurs terrasses.

Assise en contrebas, sur une corniche rocheuse au-dessus de la vallée, la tour constituait la défense principale. On reconnaît dans sa construction les caractères du XIIe siècle, modifiés par des restaurations successives pendant les trois siècles suivants. Les murs de ce donjon ont une largeur de près de 10 mètres, et leur épaisseur est de 3 mètres et demi. L’entrée de trouvait du côté du château supérieur, auquel le donjon était relié par un mur d’enceinte que le précipice a englouti.

Ruines du château du Nideck (Oberhaslach, Bas-Rhin)
Ruines du château du Nideck (Oberhaslach, Bas-Rhin)

Les ruines du Nideck sont perchées à plus de 500 m d’altitude au-dessus d’un précipice formé par un mur perpendiculaire de roches de porphyre, disposées en amphithéâtre. Par une large brèche, se déverse une jolie cascade, peu nourrie pendant les chaleurs de l’été, mais qui se gonfle en arc majestueux à la fonte des neiges et après les pluies d’orage. Ainsi, la position du château, planté comme un nid d’aigle sur cette falaise haute de soixante mètres, est saisissante.

Dans le silence de cette sauvage solitude, le voyager aime à reconstituer la forteresse telle qu’elle était au Moyen Âge ; son imagination lui en retrace la vigoureuse silhouette, dépassant fièrement l’immense forêt aux arbres séculaires. Pour un peu, il verrait sans étonnement venir à lui, de dessous les ramées obscures, le cortège des anciens preux aux armures étincelantes. S’il existe des chevaliers fantômes, c’est là qu’ils doivent aimer à revenir ; ce coin sauvage est resté leur domaine, et sans le bruit de la cascade, on entendrait certainement le cliquetis de leurs lances et de leurs épées contre les cuirasses et les boucliers.

C’est par ce sentier abrupt, tout encombrés de quartiers de roche, que descendaient les chevaux de montagne, aux jambes nerveuses et insensibles à la fatigue ; c’est par là qu’ils remontaient de la plaine, chargés du butin pris à l’ennemi ; souvent aussi, hélas, des dépouilles enlevées aux marchands inoffensifs qui, pour leur droit de passage, y laissaient toute leur fortune.

La forteresse du Nideck fut certainement édifiée par de riches et puissants seigneurs. Le nom de Bourckard, burgrave de Nideck, que l’on trouve dans une charte du XIIIe siècle, semble prouver à la fois que le château jouissait alors d’une haute importance, et qu’il n’appartenait pas en propre à la famille de ce nom, mais qu’il était confié par un seigneur suzerain à quelque vaillant chevalier.

On voit, par le tire de l’an 1336, qu’à cette époque, Ulric, landgrave d’Alsace, tenait le Nideck en fief de l’évêque Berthold II, et qu’il l’avait donné en sous-fief à d’autres personnes. Après que les évêques de Strasbourg eurent acquis le landgraviat d’Alsace, ils disposèrent directement de ce château.

En 1448, la forteresse était occupée par l’entreprenant chevalier André Wirich de Nideck, qui favorisait les hostilités commises contre la ville de Strasbourg par son évêque Robert de Bavière, avec l’aide du comte Jean de Fénétrange, le traître auquel les Armagnacs avaient tant d’obligations. Les bourgeois de Strasbourg virent une première fois mettre le siège devant le château de Nideck, conduisant Wirich à ne plus rien tenter contre la ville.

Cascade du Nideck
Cascade du Nideck

Mais six ans plus tard, Wirich ayant offensé le comte Louis de Lichtenberg, ce dernier organisa un blocus sévère et réduisit la garnison du Nideck à la dernière extrémité. Quand toutes les provisions de la place furent épuisées et que la famine eut commencé d’exercer ses terribles ravages, le pont-levis enfin s’abaissa, et l’on vit sortir du château une femme vêtue d’habits de deuil. Elle s’avança lentement vers le comte Louis, et quand elle fut devant lui, plia humblement les genoux et releva son voile. C’était la jeune épouse de Wirich, qui venait implorer la clémence du comte pour le malheureux vaincu et pour ceux qui lui étaient restés fidèles. Louis fut sensible à la requête de la belle éplorée — qui, par surcroît, se trouvait dans un état de grossesse avancée — puisque, quelques années après, nous trouvons encore Wirich en possession de son manoir de Nideck.

Si l’histoire du château est peu nourrie de faits et son origine obscure, la légende, en revanche, lui assigne une place vivante et durable dans la mémoire du peuple. Elle le prend à ses débuts et attribue sa construction à une race de géants, les premiers maîtres de la contrée. Ces hommes d’un autre âge, condamnés à disparaître quand la nature se trouva réduite aux proportions chétives où nous la voyons aujourd’hui, avaient conservé des temps primitifs une douceur de mœurs et une bonté de cœur, qui contrastaient singulièrement aussi bien avec leur taille imposante, qu’avec la méchanceté des pygmées qui, après eux, s’empressèrent de s’arroger le titre ronflant de rois de la création.

C’est avec une douce mélancolie que les géants voyaient s’approcher la fin de leur règne terrestre ; de plus en plus isolés au milieu de leurs petits successeurs, ils s’éteignirent sans fracas et furent pieusement ensevelis sous l’oubli des siècles. Gulliver a bien retrouvé leurs descendants, mais dans des pays tellement lointains, que les navigateurs ont renoncé depuis longtemps à en refaire la découverte.

Or, une de ces familles de géants avait choisi pour séjour le site sauvage du Nideck et s’y était construit un château dont les tours montaient au ciel. La plaine était fertile et riche en gros bétail : en deux enjambées, les géants s’y rendaient pour y chercher leur subsistance. La montagne était couverte d’arbres énormes, pour les besoins de l’hiver : les géants n’avaient qu’à se baisser pour arracher les plus grands sapins et les lier en fagots. Comme rien de tout cela ne leur appartenait plus, et qu’ils étaient aussi honnêtes que bons, ils épuisaient leurs vastes trésors pour payer leurs infimes fournisseurs.

Un jour, la jeune fillette du château, trompant la surveillance de sa vieille nourrice, s’échappa des hauteurs et, s’engageant dans la vallée, courut droit à la plaine. C’était pour elle un monde tout nouveau, bien fait pour égayer ses yeux habitués aux sombres murailles du manoir paternel. Mais sans s’en douter, dans sa promenade elle causait de terribles dégâts, tantôt marchant dans les vignes comme sur un tapis moelleux, tantôt défonçant d’un seul pas tout un arpent de culture.

La fille du géant du Nideck. D'après la légende, elle saisit un jour un laboureur avec son attelage et les emporta comme des jouets
La fille du géant du Nideck. D’après la légende, elle saisit un jour un laboureur
avec son attelage et les emporta comme des jouets

Ses innocents ébats allaient prendre les proportions d’une calamité publique, quand, à ses pieds, elle découvrit un objet animé qui piqua sa curiosité. Elle s’arrête, se baisse et reconnaît un petit véhicule traîné par une petite bête, qui évidemment cherche à se sauver. Tout à côté, une autre petite bête, dressée sur ses pieds de derrière, paraît se démener de la façon la plus amusante.

La jeune géante, ravie de sa trouvaille, pousse un cri de joie, étend son tablier et fait une rafle de tout ce charmant grouillis, en prenant les précautions nécessaires pour que rien ne se casse. Ensuite, tout heureuse, elle remonte en courant au château et entrant chez son père : « Vois donc, papa, dit-elle, les jolis joujoux que je viens de trouver ! » Et ouvrant son tablier, elle pose sur la table l’un après l’autre les objets qu’elle a rapportés, puis manifeste son enthousiasme juvénile en battant des mains et en sautant de plaisir.

Mais à peine le père a-t-il vu cet étalage, qu’il fronce les sourcils et prend sa grosse voix : « Petite malheureuse, tu viens de commettre un crime ! Ce que tu prends pour des joujoux, c’est un laboureur, son bœuf et sa charrue. Reporte-les bien vite à l’endroit d’où tu les as enlevés, car tu n’ignores pas que sans ces êtres qui te paraissent insignifiants, nous n’aurions pas de pain à manger. »

Là-dessus, le bon géant présenta toutes ses excuses au manant et lui fit un beau cadeau pour le consoler de sa frayeur ; quant à la fillette, honteuse et interdite, elle s’en fut avec ses précieux joujoux, pour les replacer délicatement dans les champs.

Cette jolie légende est bien authentiquement alsacienne, car elle a été rapportée pour la première fois et mise en vers strasbourgeois par Charlotte Engelhardt (1781-1864), fille du célèbre philologue Jean Schweighæuser (1742-1830). D’autres poètes après elle se sont emparés du sujet, mais nul ne l’a traité d’une façon plus heureuse que Adelbert von Chamisso (1781-1838), Français ayant émigré en Prusse avec sa famille en 1790.

Une autre légende, dont Wirich de Nideck est le triste héros, contribuait encore à la fin du XIXe siècle à répandre la terreur dans les veillées ; les bonnes grand-mères aimaient à la raconter quand la tempête nocturne soufflait au dehors, descendait en brusques rafales par la cheminée et faisait vaciller l’unique lumière, dont le jour douteux et tremblant éclairait les jeunes fileuses délicieusement affolées.

Huit jours à peine après la mort du vénérable père de Wirich, ce dernier convoquait ses amis des châteaux voisins et leur offrait un magnifique festin. Il s’agissait de boire à la santé du défunt qui, enfin, laissait au fils dénaturé la libre disposition d’une immense fortune. Les sauvages seigneurs de la montagne s’étaient empressés d’accourir à une si alléchante invitation, et l’entrain qui régnait dans cette société d’impies ne tarda pas à dégénérer en une ignoble orgie.

Tandis qu’à l’église de Haslach — village situé entre les deux localités actuelles de Niederhaslach et Oberhaslach — une sainte corporation redisait ses ferventes prières pour le repos de l’âme du trépassé, et que le vent d’automne emportait jusqu’au sommet de la montagne le tintement mélancolique de la cloche des morts, dans la salle d’honneur du Nideck les convives buvaient et mangeaient, riaient et chantaient. Vers le milieu de la nuit, alors que les plus vaillants même d’entre ces terribles buveurs étaient pris du dégoût de boire, Wirich se leva et, le hanap en main, s’écria :

Donjon du château du Nideck
Donjon du château du Nideck. © Crédit photo : Journal L’Alsace / Jean-Marc Loos

« Il n’est pas de fête sans lendemain. C’est aujourd’hui le jour de tous les Saints ; tout à l’heure, à minuit, commencera le jour des autres Morts non sanctifiés, et je compte que vous m’assisterez, messires, pour le célébrer à son tour. C’est l’âme de mon auguste père (que Dieu ou le diable l’ait en sa sainte garde) qui le réclame, et je tiens à lui obéir... Ce sera la première fois de ma vie, et non plus de la sienne, que je me serai conformé à sa volonté. Mais mieux vaut tard que jamais. Or, messires, pour recommencer la fête, il nous faut de nouvelles forces, il faut refaire de la place dans nos estomacs robustes mais surchargés. Que diriez-vous donc d’une partie de chasse nocturne ? Je connais la piste d’un aurochs énorme, qu’avec nos chevaux et nos limiers nous saurons bien atteindre avant le jour. J’y mets cependant une condition, messires. Je suis un bon fils, et je veux donner à l’auteur de mes jours une preuve de mes tendres sentiments à son égard. Voici venir l’hiver ; le vieux aura froid dans son caveau ; je retiens donc la peau de la bête pour l’étendre sur sa tombe. Si vous m’accordez cette faveur, buvons un dernier coup à sa santé. »

Une adhésion enthousiaste fut la bruyante réponse à l’odieuse proposition de Wirich le dénaturé. À l’instant les dispositions cynégétiques furent prises, les chevaux sanglés, les chiens couplés, les armes rassemblées. À l’heure de minuit, la bande joyeuse allait se mettre en route, quand un grand silence se fit dans l’assemblée. Au dehors on entendait distinctement la cloche de la vallée, et l’ouragan qui faisait vibrer la forêt comme un orgue, et les tourbillons des feuilles sèches qui s’entrechoquaient avec des sons métalliques.

Au milieu de ce lugubre concert, le vieux père de Wirich était apparu sur le seuil de la porte, tel qu’on l’avait connu sur son déclin. Dans sa fière stature de vieillard sans reproche, avec sa longue barbe blanche, la prunelle étrangement morne sous les sourcils courroucés, il se dressait de toute sa hauteur majestueuse, drapé dans son suaire.

« Vous m’avez réveillé, seigneurs, dit-il d’une voix caverneuse, et l’on ne réveille pas les morts impunément. Ah ! c’est ainsi que vous . fêtez ma mémoire ; c’est ainsi qu’en une nuit consacrée aux ténèbres, vous vous inondez de lumière, et ce sont là vos saintes prières ? Quel crime avais-je donc commis pendant ma vie terrestre, pour qu’il me soit permis de vous revoir ici dans votre hideuse impiété ?... Ô toi ! ajouta le spectre en s’avançant vers Wirich, toi qui, spectacle unique dans l’humanité, es resté un mauvais fils même après la mort de ton père, je t’abandonne à ta destinée, et sur le commandement de Dieu, je te maudis ! Je te maudis, toi et tes dignes compagnons. Soyez maudits et perdus à jamais !... »

À ces mots, le fantôme disparut. Pendant un moment, une profonde stupeur pesa sur l’assemblée ; mais, d’un geste violent, Wirich chassa ses mauvaises impressions : « En chasse ! » cria-t-il avec un féroce ricanement. « En chasse ! » hurlèrent à leur tour les convives. Et l’on partit au milieu de la nuit noire et lugubre.

Pendant longtemps les serviteurs consternés purent entendre dans le lointain la troupe bruyante, dont les cris et les chants s’éteignirent dans la direction de l’OEdenwald. Le lendemain, le soleil ne se leva pas ; le jour des Morts fut blafard ; des nuages opaques couraient sur le ciel livide, et malgré le froid, un violent orage se déchaîna.

Cascade du Nideck
Cascade du Nideck

La montagne tremblait sur sa base et vacillait sous l’ouragan ; des éclairs immenses déchiraient le ciel dans toute son étendue, et au milieu de la pluie torrentielle, on vit des incendies éclater simultanément en plusieurs endroits de la forêt. Cependant, malgré les terribles bruits de la nature révoltée, on entendait dans les airs des voix humaines, des clameurs de désespérés et des vociférations d’enragés.

À ce diabolique concert succéda un calme sinistre ; un silence de mort régna sur la vallée : les éléments étaient enfin apaisés. Le soir arriva, et puis la nuit, mais Wirich ne revint pas, ni aucun autre de sa bande ; on ne les revit jamais plus. Ils étaient tous perdus, anéantis, damnés.

 
 
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