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La reine bicyclette : ses lointaines et obscures origines

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Inventions, Découvertes
Inventions et découvertes dans les domaines des sciences et des arts. Origine des travaux de recherche ou des trouvailles fortuites.
Bicyclette (La reine) : ses lointaines
et obscures origines
(D’après « Le Figaro. Supplément littéraire » du 4 octobre 1890)
Publié / Mis à jour le mardi 1er juin 2021, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
En 1890, et cependant que la pratique de la bicyclette, véritable invention française, connaît un fulgurant essor, Pierre Giffard, pionnier de la presse sportive qui fondera deux ans plus tard le quotidien Le Vélo, explore avec humour les lointaines origines du vélocipède, exhumant le célérifère et autres draisienne ou grand bi

Si vous avez, comme moi, écrit Pierre Giffard, le caractère franc, l’opinion sincère, l’aveu facile, et je vous souhaite, chers lecteurs, ce trio de dons naturels que je compense malheureusement par un tas de défauts ! vous reconnaîtrez que toutes les fois qu’on innove en ce siècle, en cette fin de siècle abracadabrant où la vapeur, l’électricité, l’air comprimé, et tant d’autres forces latentes sont sorties du creuset humain, Aristote a toujours été dans l’affaire avant l’inventeur.

Avez-vous perfectionné le fil à couper le beurre ? On vous oppose immédiatement un précurseur Aristote. Songez-vous à relier entre elles la Terre et la Lune par un chemin de fer funiculaire et suspendu ? On vous dit : Halte-là ! Vous n’en avez pas l’étrenne ! Aristote a pensé à votre idée dans son traité de la Balistique interplanétaire, page 247. J’ai la preuve que cet homme universel s’occupait du tabac par deux vers bien connus de Thomas Corneille, frère de Pierre (le Grand) :

Quoi qu’en dise Aristote et sa docte cabale,
Le tabac est divin ; il n’est rien qui l’égale.

Ainsi !... Aristote a-t-il connu la bicyclette ? Voilà la première question qui s’est posée à mon esprit lorsque Le Figaro nous a demandé, au délicieux Mars et à votre serviteur, de chanter les hauts faits de la Reine Bicyclette, déesse auréolée des avenues et des boulevards, comme elle l’est de toutes nos routes départementales et forestières, chemins de grande communication et vicinaux.

Affiche publicitaire de 1890 pour les cycles Hurtu

Affiche publicitaire de 1890 pour les cycles Hurtu

Aristote a-t-il connu la bicyclette ? En parle-t-il quelque part ? Nous montre-t-il dans quelque traité les jolies Grecques de son temps chevauchant en cothurnes et en robes provocantes sur la bête à deux roues ? Ne dit-il pas que les Sages de son siècle, barbus et chenus, allaient donner leurs consultations en tricycle de bois sur les routes ensoleillées de l’Attique ?

Très perplexe, ennuyé à l’idée que ce diable d’Aristote aurait pu nous faire la pige encore une fois et nous chiper notre conception fin de siècle du vélocipède, j’ai passé de longues nuits à compulser les ouvrages de cet éminent philosophe, qui a tout connu. J’ai pâli sur ses livres, traduits par les commentateurs les plus selected, et je peux dire avec un juste orgueil, maintenant que je suis sûr de mon fait :

Eh bien, non, Aristote n’a pas connu le vélocipède ! Il ne souffle mot de la bicyclette, et c’est ce qui m’encourage à attaquer de front ce sujet merveilleux. On ne me jettera pas Aristote dans les jambes, ce qui pour un vélocipédiste aurait plus d’inconvénients que pour n’importe qui. En avant !

Vous me direz que je remonte dans la nuit des temps. Certes, mais c’est pour être plus sûr de ne rien omettre. Et puis une étude est une étude. Si on ne la fouille pas, autant ne pas s’en mêler. Je vous dirai donc que la bicyclette reste encore un mythe ignoré pendant que se déroulent les événements obscurs, bien qu’ils soient historiques, que nous groupons sous le vocable étrange d’événements moyenâgeux. Ni Godefroy de Bouillon, ni Roger Bacon, qui a pourtant inventé la poudre (après Aristote bien entendu) n’ont entendu parler du vélocipède.

Et pourtant quelle ressource c’eût été au point de vue militaire, pour les croisades ! Imagine-t-on la tête des Sarrasins lorsque du haut des murs de Jérusalem ils auraient aperçu un escadron de croisés tricyclistes s’avançant à toute vitesse sous une pluie de flèches, le heaume en tête, la lance au poing ? Il est vrai que les routes de cette époque étaient si mauvaises qu’il ne faut rien regretter du passé. Le présent nous console de son indifférence.

C’est à la Grande Révolution de 1789 qu’il faut arriver, en cela comme en tant d’autres choses, pour voir le vélocipède entrer dans l’Histoire, où sa place est marquée entre le cheval et le dromadaire. Un beau jour (est-ce avant, est-ce après le cheval mécanique ou à moulin, que tous les Français âgés de moins de cent ans ont connu ?), un beau jour on vit apparaître dans Paris une sorte de machine à deux roues, sur laquelle les muscadins s’amusaient à s’élancer quand ils lui avaient donné une forte poussée.

Caricature de 1818 : draisienne remplaçant les chevaux pour le service d'acheminement du courrier

Caricature de 1818 : draisienne remplaçant les chevaux
pour le service d’acheminement du courrier

C’était le célérifère, père, grand-père de la bicyclette d’aujourd’hui. On poussait devant soi, les deux roues de bois roulaient en raison de l’impulsion communiquée. On sautait alors sur la selle, et jusqu’à extinction de la force acquise, on se laissait porter. Le célérifère fut un des plaisirs favoris des petits messieurs de l’époque, qui l’appelaient évidemment le céléïfé, pour rester à la mode. L’un de ces instruments primitifs laissé par Niépce de Saint-Victor — mort en 1833 —, l’inventeur de la photographie, put faire croire il y a quelques années, que Niépce de Saint-Victor avait aussi inventé le vélocipède. Il n’en était rien. L’instrument que possédait Niépce était le joujou de son enfance et les célérifères étaient très nombreux à Paris à la fin du siècle dernier. Qui en eut le premier l’idée, par exemple ? Mystère qui ne sera jamais éclairci.

Les célérifères se sont appelés aussi draisiennes, du nom de Drais von Sauerbronn, un baron authentique qui en était l’inventeur. C’est en examinant une draisienne qu’on lui avait donnée à réparer qu’un serrurier parisien, Michaux, imagina cinquante ans plus tard d’appliquer deux pédales coudées au vieil instrument des muscadins, et créa ainsi le vrai vélocipède.

Il faut arriver aux dernières années de l’Empire pour assister au développement d’une machine à deux roues qui vraiment avait quelque analogie avec la bicyclette d’aujourd’hui. En 1869, sur l’asphalte qui couvrait un carrefour assez vaste, entre le jardin du Luxembourg et l’ancienne Pépinière, on vit arriver par douzaines, comme aujourd’hui au Pré-Catelan, des grands bicycles assez bien bâtis sur lesquels les jeunes Parisiens s’essayaient timidement.

Grand bi. Chromolithographie de la fin du XIXe siècle

Grand bi. Chromolithographie de la fin du XIXe siècle

Les pieds actionnaient directement la roue de devant qui était immense et l’équilibre était difficile à conquérir. À vrai dire le grand bicycle d’aujourd’hui, qu’on appelle dans la partie le grand bi tout court, n’est pas autre chose que le vélocipède à peu près complet de 1869, que nous regardions, nous autres badauds jeunes ou vieux, comme un instrument incommode, dangereux et surtout disgracieux. Mais c’était la mode et on se demande ce qui serait advenu du vélocipède si l’industrie parisienne, qui « était dessus » l’avait alors perfectionné. Malheureusement la guerre de 1870 arriva et arrêta net l’essor du vélocipède, comme elle arrêta toutes choses.

Pendant que nous luttions contre les Allemands, les Anglais, calmes dans leur île, se saisissaient du vélocipède parisien et le perfectionnaient avec le soin jaloux qui les caractérise. Ils en faisaient un instrument presque artistique, si bien qu’en 1872, quand nous pûmes enfin respirer, on vit revenir de Londres l’instrument né en France, avec des modifications peu importantes toutefois, mais très utiles. L’emploi des aciers surtout était plus sévère. C’était toujours le grand bi, mais il n’était plus le vélocipède, il était le bicycle, prononcez baïcècle, et dame, tout ce qui vient ou revient d’Angleterre a droit, chez nous, aux plus grands égards. Une ville anglaise entre toutes se lança dans la fabrication du bicycle : ce fut Coventry. Les industriels de Coventry faisaient des rubans. Tout d’un coup ils lâchèrent la rubanerie pour approprier leurs outillages au baïcècle.

Michaux avait trouvé l’application directe des pédales. Qui a trouvé l’idée d’ajouter à ce moteur la chaîne de Vaucanson qui multiplie l’effort des pieds, et constitue la bicyclette ? Autre mystère. Cette trouvaille lançait la vélocipédie dans l’ordre des choses pratiques ! Tout le monde ne pouvait pas grimper sur les grands bicycles. La bicyclette devenait la monture accessible à tous.

C’est alors que les Anglais, prêts pour la lutte, avec un outillage formidable que les fabricants parisiens viennent à peine de créer, en 1890 — et je parle de 1876 —, purent jeter sur les marchés du monde entier les milliers de cycles, bi et tri qui laissèrent croire que l’Anglais était le père du vélocipède, alors que cet instrument devenu divin après les dernières transformations qu il a subies depuis plusieurs années, est d’invention française. C’est donc à Michaux que les amateurs de bicyclette doivent être reconnaissants, lorsqu’ils s’écrient en traversant les plaines : « Quel admirable instrument ! »

Lorsque les Parisiens virent apparaître les premiers tricycles, ils s en amusèrent fort. Il faut dire que les premiers tricyclistes prêtaient bien aussi le flanc à la gouaillerie parisienne. Copiant servilement les Anglais que rien n’arrête, ils montaient leurs instruments en redingote ou en jaquette, avec un tuyau de poêle sur la tête, alors que tout était à remplacer dans ce costume de clergyman. Peu à peu on vit les choses se régulariser, les bas et les culottes courtes apparaître, puis le veston, le maillot de tricot, la casquette ou la toque, enfin l’habillement compatible avec un sport qui vaut tous les autres à lui seul.

Un vélocipède de 1868. Gravure (colorisée) du temps

Un vélocipède de 1868. Gravure (colorisée) du temps

Mais ce qu’ils furent malmenés dans leurs familles, les premiers tricyclistes ! En eurent-ils à subir des avanies, pour se promener dans un pareil style en plein bois de Boulogne, sur des instruments ridicules... et patati et patata ! Honneur ! Honneur à ces premiers pionniers du tricycle, qui péniblement frayèrent la route par où passèrent ensuite des milliers de bicyclistes !

Car lorsque la bicyclette apparut, tout armée pour la course, à côté du bicycle, son succès fut foudroyant. Elle était plus élégante, plus légère, plus plaisante que son aîné : elle ramenait les jeunes gens au bicycle sans avoir les inconvénients du grand bi. Elle exigeait deux ou trois leçons agrémentées de chutes et d’appréhensions méritoires ; elle séduisit son monde comme un cheval qui piaffe séduit le cavalier. Le tricycle était trop facile. La bicyclette demandait un certain effort.

Dire qu’elle enfonça le tricycle dès 1880, époque où on la voit commencer à rouler sur les routes, ce serait exagérer mais bien vite elle le laissa loin derrière elle. Aujourd’hui, elle circule dans les proportions de 80 %. Les 20 % qui restent se décomposent en 15 % de tricycles et 5 % de grands bicycles. C’est l’abandon presque complet du grand bi.

Les difficultés, plus apparentes que réelles, qu’il faut surmonter pour se tenir en bicyclette éloignent encore les timides. Mais tout le monde y viendra et la Reine Bicyclette sera bientôt maîtresse incontestée des routes qui sillonnent les continents.

 
 
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