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Journée du roi Louis XIV à Versailles

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Institutions, Société
Vie en société, politique, moeurs sociales, institutions françaises, justice et administration : tous les sujets ayant marqué et rythmé la vie sociale de nos ancêtres
Journée du roi Louis XIV
à Versailles
(D’après « Jeunesse-Magazine », paru en 1937)
Publié / Mis à jour le mercredi 30 octobre 2019, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 
 
 
Parfois exclusivement associé à l’apparat et aux dépenses somptuaires tandis que le paysan, à en croire notamment La Bruyère, crie misère et famine, n’ayant rien d’autre à se mettre sous la dent que de l’herbe et des racines, le règne de Louis XIV trouve l’origine de son faste dans la volonté politique d’asseoir le pouvoir royal et de répondre au désir du peuple français de jouir de la plus haute réputation possible

Avant même que le jour ait commencé de poindre, Versailles s’anime d’une sourde rumeur. Aux fenêtres hautes des grands hôtels, des lumières s’allument. Dans les rues encore baignées d’ombre, des chevaux, sellés, harnachés, tenus par des valets, frappent le pavé de leurs sabots. Des cochers attellent, à la lueur des lanternes, des carrosses qu’ils ont sortis des remises. Les portes des nobles demeures tournent sur leurs gonds, une à une, et s’ouvrent toutes grandes. Des gens armés de torches s’affairent à des besognes matinales, des charrettes passent dans un fracas de ferraille, des groupes de soldats, à pied ou à cheval, conduits par des officiers, regagnent en hâte le lieu de leur service.

Ce ne sont point là seulement des bruits confus et banaux d’une ville qui s’éveille : il semble plutôt que ce soit une fête qui se prépare, une parade qui s’organise dès les premières lueurs de l’aube. Des personnages chamarrés, vêtus d’habits de drap fin, couverts de dentelles et de rubans, le chef empanaché, montent en carrosse ou en chaise, devant les portes cochères des hôtels somptueux. Tous ces gens sont déjà habillés, rasés de près, pomponnés, tirés à quatre épingles ; les belles dames sont parées comme pour un cortège. Où vont donc tous ces beaux seigneurs de si grand matin ?

Le lever de Louis XIV. Illustration de Maurice Leloir extraite de Le Roy Soleil de Gustave Toudouze (1904)
Le lever de Louis XIV. Illustration de Maurice Leloir extraite
de Le Roy Soleil de Gustave Toudouze (1904)

Ils vont au château servir le roi, comme chaque jour, car ce n’est point aujourd’hui cérémonie exceptionnelle. Été comme hiver, la grande affaire est d’être à l’endroit qu’il faut, à l’heure qu’il faut.

Le jour s’est levé. Par les trois avenues, larges de 40 toises, longues de 400, qui convergent vers le château, arrivent les voitures et les cavaliers. Dans la première cour, des gardes-françaises en habit bleu, et des gardes-suisses en manteau rouge, se tiennent auprès de leurs piques en faisceaux. C’est un remue-ménage croissant, un fourmillement de plus en plus dense de véhicules, de chevaux, d’uniformes, d’habits brodés ou de robes lamées.

Au fond de la Cour de marbre, la façade, retouchée par Mansart, du vieux pavillon de chasse de Louis XIII, semble endormie : c’est là que Louis XIV repose, au cœur du Palais. Hier soir, en « donnant le bougeoir », Sa Majesté a commandé à son premier valet de chambre, le réveil pour 8 heures. Dès 7 heures et demie, les salons et les galeries sont remplis de courtisans.

À l’heure prescrite, une fois le roi éveillé, les huissiers introduisent dans sa chambre « l’entrée familière » : enfants de France, princes et princesses du sang, premier médecin, premier chirurgien... Ensuite, c’est la « grande entrée » : grand chambellan chargé de la chambre, gentilshommes de la chambre, dames d’honneur de la reine, sans compter les valets de toutes sortes. On verse au roi de l’esprit-de-vin sur les mains, au-dessus d’une assiette de vermeil, puis on lui présente un bénitier. Il fait un signe de croix et dit une prière.

Il sort de son lit et le grand chambellan lui présente sa robe de chambre : c’est l’instant où les huissiers introduisent « l’entrée des brevets », réservée à une catégorie de courtisans de choix ; puis, un moment après, « l’entrée de la chambre » qui comprend les grands officiers, le grand aumônier, le maître de chapelle, le maître de l’oratoire, le capitaine et le major des gardes du corps, le colonel des gardes-françaises, le capitaine des Cent-Suisses, le grand veneur, le grand louvetier, le grand prévôt, le grand maître des cérémonies, le premier maître d’hôtel, le grand panetier, les maréchaux de France, les ambassadeurs étrangers, les ministres, les secrétaires d’État, etc. Tous ces grands maîtres des diverses fonctions portent un grand nom.

Dans la chambre du roi, chacun se tient debout et découvert, dans une attitude de profond respect. Ceux qui sont là en simples spectateurs favorisés, restent massés derrière la balustrade dorée. Des pages ôtent maintenant ses pantoufles au roi. Le grand maître de la garde-robe lui ôte sa robe de chambre, et la chemise de jour lui est présentée par les fils et petits-fils de France, sur un surtout de taffetas blanc.

On introduit la cinquième entrée. Deux valets tendent devant le roi sa robe de chambre déployée en guise d’écran : Sa Majesté endosse la chemise, puis, sur un bassin qu’on lui tient, procède à sa toilette. On lui apporte enfin tout le reste de l’habillement, le grand maître de la garde-robe lui passe le Cordon bleu du Saint-Esprit et lui attache l’épée au côté gauche.

Voici les gants, le chapeau, la canne : le roi est prêt. Alors, il vient dans la ruelle de son lit, s’agenouille sur un carreau et fait une seconde prière avec l’assistance d’un aumônier. Ce devoir de piété accompli, le roi de France donne ses ordres pour la journée, passe dans son cabinet où il s’enferme un instant avec ses secrétaires et ses ministres et accorde parfois quelques audiences.

Louis XIV en son conseil. Peinture anonyme de 1672
Louis XIV en son conseil. Peinture anonyme de 1672

Dans les galeries, la foule des courtisans attend, debout, parmi les glaces et les dorures, qu’il plaise à Louis XIV de se rendre à la messe. Un huissier s,’avance, solennel, et annonce : Messieurs, le roi ! Une petite porte s’ouvre à deux battants, le roi paraît, et aussitôt les courtisans l’entourent. À chacun il dit le mot qu’il faut, avec un tact infini, marquant les nuances de sa faveur et de son estime.

La messe entendue, le roi remonte dans son appartement travailler avec ses ministres : c’est ce qu’on appelle le Conseil d’en-haut, le Conseil d’État. Point de paperasses ni de dossiers poussiéreux. Louis XIV ne travaille pas comme un fonctionnaire. Des quatre ministres qui siègent avec lui dans l’intimité, aucun n’a le pas sur l’autre, aucun même n’a en poche de lettre patente qui l’élève au rang de ministre. Ce sont des conseillers sans portefeuille et sans bureaux, mais des conseillers aimés du roi, des esprits qu’il a su juger et évaluer, car il connaît les hommes : il a été l’élève de Mazarin.

Au Conseil d’en-haut, ils exposent les questions importantes et donnent leur avis : le roi écoute. Parfois, il pose une question, se fait expliquer un point particulier et donne ensuite son jugement avec un grand bon sens. Ce qui domine ici, c’est la raison équilibrée et l’application. Louis XIV n’est point, exactement, un bourreau de travail, c’est un roi qui sait son travail, parce qu’il l’a appris.

Louis XIV n’a pour méthode ni la méditation abstraite, ni le pesant commerce des fiches, il n’est point homme à prendre la tête dans ses mains à la moindre difficulté, il ne tremble pas devant les responsabilités. Responsable, il l’est uniquement devant sa conscience et devant Dieu. « Le métier de roi, écrit-il, est grand, noble et délicieux ». Cette grandeur, cette noblesse, ces délices, c’est par le travail, par l’attention soutenue dans les conseils, par l’application quotidienne en toutes choses qu’il les mesure.

On a beaucoup reproché à Louis XIV son orgueil ; et pourtant les mémorialistes qui racontent son enfance, s’accordent à le montrer effacé, modeste, timide même. La vérité est qu’au XVIIe siècle l’esprit public voit « grand » ; on a l’amour païen de la gloire, et cet amour anime en France tout ce qu pense et agit. Le jour du sacre, à Reims, l’évêque-duc de Laon lui a passé au doigt, selon les rites, l’anneau nuptial « pour épouser la France ». Aucun roi n’a mieux pris à la lettre ce symbole : c’est l’orgueil même de la France d’alors qui fait l’orgueil de Louis XIV, c’est le besoin qu’elle a d’être la première partout qui lui donne l’obsession de la « plus haute réputation » possible ; c’est parce qu’il croit, avec ferveur qu’il est la France, qu’il devient le Roi-Soleil

Lorsque Louis XIV était enfant, et qu’il avait démérité, son valet de chambre, le bon La Porte lui disait qu’il « serait un second Louis le Fainéant ». Alors, Louis-Dieudonné, fils de Louis XIII, pleurait et rageait, car il ne voulait pas être un Louis le Fainéant.

Louis XIV et Molière déjeunant à Versailles. Esquisse pour le tableau de Jean-Auguste-Dominique Ingres Le Déjeuner de Molière, qui fut détruit en 1871 au palais des Tuileries
Louis XIV et Molière déjeunant à Versailles. Esquisse pour
le tableau de Jean-Auguste-Dominique Ingres Le Déjeuner de Molière,
qui fut détruit en 1871 au palais des Tuileries

À Versailles comme à Paris, il a son fauteuil à tous les Conseils et chaque jour il tient séance, s’efforçant partout et toujours de « faire de son mieux ». Le bien public l’obsède. « Le bien public pour qui, seul, nous sommes né » dit-il. Et encore : « J’aime mieux conserver la qualité de père de mon peuple que celle de père de mes enfants ; la vertu donne la première, la nature la seconde... »

C’est un tableau classique que celui de la misère du peuple sous Louis XIV. Il faut y regarder de près : au XVIIe siècle, les charges du culte, de l’instruction publique, de l’assistance sont supportées par le clergé ; les charges militaires sont supportées par les nobles, propriétaires de leur régiment, qui ne sont rémunérés qu’en temps de guerre. Aux nobles aussi incombe le budget des Affaires étrangères, car les ambassadeurs doivent, le plus souvent, se suffire à eux-mêmes. Le reste vient de l’impôt et, certes l’impôt pèse plus lourdement sur le paysan que sur le citadin.

La vérité est que les tableaux lugubres de la misère paysanne sous Louis XIV sont puisés le plus souvent dans le rapport des intendants, et là, véritablement la situation est décrite sous un jour effroyable. Partout le paysan crie misère et famine, il n’a rien à se mettre sous la dent que de l’herbe et des racines, il montre à l’intendant ses greniers et sa huche vides... Parbleu ! le croyez-vous si bête, le finaud paysan de France, d’étaler ses richesses devant l’intendant, qui est chargé de le coucher sur le registre de l’impôt ?

Mais écoutons maintenant des témoins qui n’ont rien à faire avec le fisc : « Ne plaignez pas, écrit l’un d’eux, le sort de ces bonnes gens qui, vous dira-t-on, se contentent pendant la semaine de soupe aux choux et de gros lard. Sachez que le dimanche on coupe la gorge aux plus belles volailles, qu’alors le meilleur râpé coule abondamment et qu’ensuite, dans les prairies, on danse de vives bourrées au son de la chevrette ».

Plus tard, Voltaire, qui avait assez d’esprit pour se documenter ailleurs qu’aux rapports des intendants, dit dans son Siècle de Louis XIV : « Il n’y a guère de royaume dans l’univers où le cultivateur, le fermier, soit plus à son aise que dans quelques provinces de France... » La célèbre tirade de La Bruyère : « On voit des animaux farouches... » pouvait être vraie vers 1656, après les misères de la Fronde : elle ne l’était plus à l’époque où La Bruyère l’écrivit.

Au moment où les charges croissent, le roi est obligé d’établir l’impôt du Dixième, et cette idée le rend malade jusqu’à lui causer des « peines infinies » dont il s’ouvre à son confesseur.

... Une heure sonne à la grande horloge que soutiennent, sur la façade du château, un Mars et un Hercule de pierre. C’est l’heure du dîner. Le couvert est dressé dans l’antichambre de l’appartement du roi. Louis XIV s’assied, entouré de son état-major qui s’empresse à le servir : grand officier de bouche, premier maître d’hôtel, grand panetier, grand échanson, grand écuyer tranchant, etc.

Les violons de Lulli se font entendre, tandis que le service se déroule, solennel, compliqué, fastueux. À deux heures de l’après-midi, le roi, suivi de quelques intimes, sort du Palais par la Cour de marbre et monte à cheval ou en carrosse pour aller à la chasse dans ses parcs, ou bien il va à la promenade dans les jardins.

Promenade de Louis XIV en vue du Parterre du Nord dans les jardins de Versailles vers 1688. Détail d'une peinture d'Étienne Allegrain
Promenade de Louis XIV en vue du Parterre du Nord dans les jardins de Versailles
vers 1688. Détail d’une peinture d’Étienne Allegrain

Par-dessus tout, pendant ces heures de détente, il aime s’entretenir avec ses architectes, ses entrepreneurs, ses artistes, ses jardiniers : Mansart, Perrault, Lebrun, Coysevox, Molière, Le Nôtre, il discute leurs projets en connaisseur. On a l’Art qu’on mérite : Louis XIV a mérité la plus magnifique période de l’Art français.

À l’heure où la fraîcheur du soir commence de descendre sur les jardins, on rentre au château pour la Comédie. Le roi n’y assiste pas toujours ; souvent il lui arrive de s’enfermer avec ses ministres pour travailler. À dix heures a lieu le souper aux violons, puis c’est le concert, le bal, ou le jeu par petites tables sous les grands lustres miroitants.

Et chaque jour la fête incessante reprend, chaque jour toute la noblesse de France vient animer le majestueux décor de Versailles. Orgueil démesuré ? Besoin d’adulation ? Non : subtile et ferme politique d’abaissement de l’arrogante noblesse, que Louis XIV a vue, lorsqu’il était enfant, tenir en échec le pouvoir royal. Il n’oublie pas la-Fronde : par-dessus tout il redoute les états turbulents dans l’État. La France doit être une et, par droit divin, elle s’identifie à son roi. II faut que le roi soit fort pour que la France soit forte : Nec pluribus impar...

Versailles, le Roi-Soleil, le Grand Siècle, l’Art classique, le noble équilibre, la Raison ! C’est, dans un ensemble majestueux, la page la plus significative, la plus éloquente de notre histoire, celle qui représente le mieux cette harmonie inimitable et rare qu’est l’esprit français.

 
 
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