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François Decottignies (ou Cottignies) (1678-1740), chansonnier populaire et satirique. Portrait, biographie, vie et oeuvre

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Personnages : biographies
Vie, oeuvre, biographies de personnages ayant marqué l’Histoire de France (écrivains, hommes politiques, inventeurs, scientifiques...)
François Decottignies (1678-1740),
chansonnier populaire et satirique
(D’après « Archives historiques et littéraires du nord
de la France et du midi de la Belgique », paru en 1854)
Publié / Mis à jour le jeudi 14 mai 2020, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 7 mn
 
 
 
Une des célébrités lilloises qui, pour un temps, acquit le plus de popularité et effaça dans l’esprit du vulgaire les illustrations les plus considérables du pays, fut sans contredit le chanteur Brûle-Maison : né vers 1678, son esprit narquois et son caractère jovial divertirent pendant 40 ans le peuple de la ville et des environs, à grand renfort de chansons populaires, burlesques et satiriques.

Brûle-Maison, dont le véritable nom était François Decottignies, était né à Lille à la fin de l’an 1678, ou au commencement de 1679 sur la paroisse de Sainte-Catherine. Il avait pris naissance dans les rangs de la petite bourgeoisie de Lille ; sa famille faisait, à ce qu’on croit, un modeste commerce d’épicerie que lui-même continua par la suite. Il avait reçu du ciel un esprit narquois, une humeur franche et joviale, un grand fond de gaieté mêlé à une finesse native, qui n’est pas rare dans nos provinces wallonnes ; cette disposition naturelle l’entraîna de bonne heure à rimer des couplets en langage vulgaire du pays.

Sa tendance vers la moquerie et la satire le conduisit à choisir pour sujet de ses chants les bons habitants du bourg de Tourcoing, dont l’honnêteté et la simplicité étaient proverbiales. Pendant quarante années, il divertit le peuple de Lille et des environs par ses chansons populaires et burlesques, dans lesquelles il s’était appliqué à mettre sur le compte des Tourquennois toutes les bévues et les tours plaisants qu’il imaginait. Il a fini par leur donner une réputation de bêtise qu’ils étaient loin de mériter ; mais il a fini aussi par fixer et par authentiquer pour ainsi dire le langage vulgaire de Lille.

François Decottignies (ou Cottignies) dit Brûle-Maison

François Decottignies (ou Cottignies) dit Brûle-Maison

Le Dictionnaire du patois de Lille et de ses environs (1853), nous apprend que Legrand, auteur ingénieux de plusieurs ouvrages sur Lille et ses habitants, disait très justement : « Une circonstance particulière a puissamment contribué à individualiser notre patois ; j’oserais dire à le relever : il a rencontré un poète et un poète chanteur. Brûle-Maison a profité d’une de ces inimitiés de voisinage, autrefois plus fréquentes qu’aujourd’hui entre les diverses localités d’un même pays, pour aiguiser ses refrains contre l’excellente ville de Tourcoing. Jamais Athénien, jetant à poignées le sel de son terroir sur les infortunés Béotiens, jamais le Dijonnais Piron, coupant les vivres aux Beaunois qui le poursuivaient, en abattant du tranchant de sa canne les chardons du chemin, ne se montra plus acharné, plus persévérant dans sa rancune, que ne le fut Brûle-Maison à l’égard de nos voisins. Tourcoing, hâtons-nous de le dire, n’était point alors cette riche, honnête et industrieuse cité que l’on pourrait présenter aujourd’hui comme modèle ; c’était une façon de chef-lieu villageois, dans lequel Brûle-Maison paraît avoir concentré l’antipathie qui, à cette époque, existait entre les citadins et les paysans ; ces derniers toujours représentés comme des types de crédulité et de bêtise, en même temps que de suffisance. »

Ces paroles peignent bien la situation réciproque de la ville de Lille et de ses campagnes environnantes au XVIIIe siècle. Brûle-Maison ne pouvait s’empêcher de céder au penchant de rire des Tourquennois ; c’était plus fort que lui. Il l’avoue lui-même dans ses vers patois :

Non, jamais je ne délaiche
Les Tourquennoïs de renom,
Temps en temps en font des fraîches
Qui font vivre Brûle-Maison.....

Autre part il disait :

Nous faut chanter à haute-voix
Une chanson nouvelle
D’un bon luron Tourquennois ;
L’histoire est assez belle.
Il pensa ces jours passés
De faire sa fortune,
Mais il a été attrapé ; En voici encore une.....

Le Tourquennoïs qui porte une lettre à la poste avec sa brouette ; celui qui avale une araignée ; l’un qui craint que son baudet ait bu la lune dans un seau d’eau ; cet autre qui, pour avoir des carpes, en a semé les croques ; celui qui fait une spéculation sur les hannetons, et se dit ruiné parce que ses bruants sont envolés ; le dialogue plaisant entre une tourquennoise et un savetier de Lille, sont toutes pièces dans lesquelles les malheureux habitants de Tourcoing sont tournés en dérision, de la manière la plus cruelle.

Cette mystification infiniment prolongée souleva des haines profondes de la part des victimes contre leur bourreau. Brûle-Maison en tira encore parti. Une fois il fit annoncer partout qu’il avait été condamné à être pendu comme espion, et que son exécution aurait lieu sur le grand marché de Tournai. Au jour dit, tous les habitants de Tourcoing voulurent assister au supplice de leur trop joyeux ennemi ; il mirent la clé sous la porte, et se rendirent en masse à Tournai ; ce fut pour eux une mystification de plus : Brûle-Maison n’y était pas, mais il faisait en ce moment une chanson là-dessus.

Le chanteur Lillois promit plusieurs fois de quitter le rôle de tourmenteur des braves habitants d’un des plus beaux bourgs de là châtellenie de Lille, mais, ainsi que l’ivrogne Grégoire qui avait bien souvent juré de ne plus boire, il ne put tenir sa promesse, si tant est qu’elle ait jamais été faite de bonne foi. Il s’écriait :

L’avons promis, foi de Brûle-Maison,
A Jean Buchon et à Suron,
De ne pas faire des cansons,
Des Tourquennoïs et leurs farces ;
Mais le silence me lasse ;
J’ai vu l’occasion
D’un beau tour qu’on parlera par cy,
A Tourcoing, et par là,
Tout le monde en rira.

Et plus loin il ajoute :

J’ayois dit l’autre fois,
De ne pus fare de rôle
Dessus les Tourquennois ; Mais le tour est trop drôle,
Pour n’en point faire une quanchon
Dessus che Tourquennois luron.

Enfin il avoue que cette abstention n’est pas dans sa nature :

J’avois dit de ne pus faire
Par les Tourquennois
Aucune de leurs affaires,
Mais je ne sarois.....

Le surnom de Brûle-Maison vint à Decottignies parce que, chaque jour de marché, lorsqu’il voulait faire appel à son auditoire accoutumé, répandu sur toute la place publique de Lille, il montait sur un escabeau, puis mettait le feu à une petite maison de papier faite comme les châteaux de carte des enfants. Ce signal faisait arriver la foule autour de lui et il commençait ensuite à chanter.

Outre sa profession de poète, et l’exercice de son industrie qui consistait à chanter et à distribuer lui-même ses chansons les jours de marché, Brûle-Maison tirait encore parti de son talent de faire des expériences physiques sur la place et d’amuser le peuple par ses tours. Poursuivi par l’inflexible logique d’un paysan, renouvelant la fable du satyre qui souffle le chaud et le froid, il abandonna de bonne heure cette branche de ses revenus, pour ne se livrer uniquement qu’à la poésie populaire.

Panckoucke, de Lille, fondateur de cette puissante maison de librairie et de typographie qui a fait tant d’honneur à cette province, Panckoucke, qui connut et apprécia Brûle-Maison, dit de lui, d’après Rousseau , qu’on le vit :

Sur un thrône en public élevé
Dictant de là ses oracles menteurs,
Ses arguments, ses secrets imposteurs.

Le voilà jugé comme physicien : il en parle ensuite comme chanteur, et lui applique les vers de Boileau, en parodiant un passage de l’Art poétique :

Brûle-maison chanteur, par mille jeux plaisans,
Distilla le venin de ses traits médisans ;
Aux accès insolens d’une bouffonne joie,
La sagesse, l’esprit, le bon sens fut en proie ;
On vit par le LILLOIS un poète avoué
S’enrichir aux dépens d’un Turquennois joué.....

Les Tourquennois si chaudement défendus auraient bien dû élever un monument à Panckoucke, leur vengeur. Le même libraire-auteur parle de notre poète dans un sens plus laudatif en son Poème héroïque en vers burlesques de la Bataille de Fontenoy (Lille, 1745) :

Quoi, de ses vers, un chantre habile
Aura jadis charmé la ville,
Et des lys chanté les exploits,
Le Batave et l’aigle aux abois ;
Aura chanté Tourcoing la belle,
Juché dessus une escabelle,
La complainte de nos blasés,
L’air pimpant des abbés frisés ;
Aura chanté les amourettes
De nos Daruses tourlourettes,
Ses grands voyages aux lieux saints
Avec deux pères capucins,
Un à Lorette, l’autre à Saint-Jacques,
Et l’autre à Rome au temps de Pâques ; etc.
(Daruses était le nom donné aux fillettes
de la paroisse Saint-Sauveur, à Lille)

Decottignies fit une maladie dangereuse à Douai ; il en guérit et ce fut encore un sujet de chanson pour lui. C’est même une de ses plus curieuses ; elle est en 30 couplets contenant la relation du Grand Voyage de Lille à Douay par la barque qu’ont entrepris plusieurs garçons de Lille, et les grandes raretés qu’ils ont vues. C’est un petit poème. Il a également essayé sa muse sur la réjouissance faite dans la ville de Lille le jour de la Saint-Mathias 1705 (mardi gras), divertissement donné au prince de Bavière pendant son séjour dans cette cité.

Durant le siège de 1708 et 1709, et aux époques malheureuses de sa ville natale, le poète se lança aussi dans les chansons politiques : il en fit contre les Français, contre les princes de la maison de Bourbon et surtout contre le duc de Bourgogne qui ne put empêcher la prise de Lille en 1708 ; ce ne sont pas ses meilleures productions, aussi s’est-on bien gardé de les imprimer toutes. On a cependant publié la Complainte de Brûle-Maison et ce qui lui est arrivé pendant le siège de Lille en 1709.

Dominique, fameux arlequin de Paris, ayant voulu jouer à Lille, n’eut pas le bonheur d’attirer les spectateurs ; on fut obligé de rendre l’argent au public huit fois de suite. Brûle-Maison fit là-dessus cette épigramme :

Dominique a fait son chef-d’œuvre
Dedans Lille par ses leçons ;
Il surpasse tous les maçons,
Depuis qu’on l’a vu à l’œuvre :
Car en moins de quatorze jours,
On dit qu’il a fait huit fours.

Plusieurs écrivains recommandables de Lille ont fait mention du chanteur Decottignies ; outre Panckoucke et Pierre Legrand que nous avons déjà cités, ainsi que l’auteur d’une Histoire de Lille V. Derode, nous voyons que Desrousseaux a composé, sur l’air de la Catacoua, une très jolie chanson en onze couplets contenant toute la vie de Brûle-Maison ; c’est la première du recueil intitulé : Chansons et pasquilles lilloises (Lille, 1851). Elle est en patois du pays ; Brûle-Maison ne pouvait pas être chanté autrement. Henry Bruneel, spirituel historien de Lille, s’est occupé de notre poète populaire dans le feuilleton de l’Echo du Nord du 22 novembre 1853. C’est lui qui nous apprend que le commandant de Saulcy, autre illustration lilloise, membre de l’Institut, avait emporté dans son voyage en Orient les Etrennes Tourquennoises et relisait sous la tente de l’arabe du désert, ou dans les caravansérails d’Egypte ou de Syrie, les refrains en patois lillois qui firent les délices de sa jeunesse.

Billet de mort de Brûle-Maison

Billet de mort de Brûle-Maison

Decottignies mourut à Lille le 1er février 1740 à l’âge de 62 ans. Original toute sa vie, dit un de ses biographes, il voulut l’être encore à sa mort : il habitait une petite maison sur la place du théâtre ; l’escalier en était tellement étroit qu’il ne permettait d’introduire aucun meuble dans le trou qui lui servait de chambre. Quelques jours avant sa fin, il fit appeler un charpentier, l’obligea de construire son cercueil sur place, et à l’heure de son enterrement, au grand ébahissement des spectateurs, on fut forcé de le descendre par la fenêtre. C’est bien dommage que Brûle-Maison fût alors réduit au silence ; de son vivant il eut fait une belle chanson sur de si burlesques obsèques.

Desrousseaux s’en est chargé, disant dans sa pasquille lilloise :

Pendant trente ans il a fait rire
Les p’tits, les grands, les minc’s, les forts ;
Il n’a point volu qu’on peuch dire,
Qu’i les avot fait braire à s’mort ;
Avant d’faire sin dernier voyache,
Il invoi quère l’carpintier
Ains’ sin guernier,
Il l’a forché
A faire s’capott’ sans manch’s pour l’intierrer
Quoique a r’gret ch’l’homme a fait s’nouvrache
Et Brul’Mason l’l’a essayé. (bis)

Gentil-Descamps possédait un exemplaire du billet de mort du chanteur lillois, ainsi conçu :

« Messieurs et Dames,

« Vous êtes priés d’assister aux convoy et funérailles de François de Cottignies dit Brûle-Maison, marchand grossier en cette ville, décédé le premier février mil sept cent quarante, âgé de 62 ans, qui se feront mercredy trois dudit mois, à neuf heures, dans l’église paroissiale d Saint-Estienne, où son corps sera inhumé. L’assemblée à la maison sur la petite place.

« Un de profundis, s’il vous plaît.

« Les dames sont priées de s’assembler dans la chapelle du S. Nom de Jésus, où les messes se diront pendant les funérailles. »

A la suite de son billet de mort, nous devons donner son épitaphe :

Cy-gît un faiseur de chanson,
Qu’on appelait Brûle-Maison ;
Mort à soixante-deux ans d’âge
Faute de vivre davantage ;
La terreur des Tourquennois
Et le délice des Lillois.
Sa renommée passa jusques dans l’Amérique ;
Et de son propre ouvrage il était le comique :
S’il règne chez les morts dedans le même goût,
Sa réputation aura gagné partout.

Brûle-Maison ne mourut pas tout entier : il laissa un fils, Jacques de Cottignies, auquel on attribue l’épitaphe ci-dessus, et qui cumulait, avec la profession de compositeur de chansons et de versificateur en patois, celle de marchand de merceries et de modes. Il fit beaucoup de pièces de poésies, presque toutes dans le genre burlesque, mais elles ne valent pas celles de son père.

Brûle-Maison n’eut pas de son vivant l’honneur de voir imprimer ses œuvres complètes ; ses chansons paraissaient en feuilles volantes, espèces de placards dont il reste fort peu d’exemplaires aujourd’hui. D’autres étaient copiées à la main et circulaient ainsi. Ce ne fut qu’au commencement du XIXe que Vanackere père, imprimeur-libraire à Lille, pensa à réunir les chansons de Brûle-Maison. Il les produisit sous le titre d’Etrennes Tourquennoises, en une douzaine de petits recueils in-24, avec airs et frontispices gravés par Merché.

Il est étonnant que le burin n’ait pas été employé à perpétuer et a vulgariser les traits d’un poète aussi populaire que Brûle-Maison. Son effigie ne fut jamais gravée ; mais on conservait, dans la famille Vanackere à Lille, un buste sculpté de ce personnage et un portrait peint à l’huile, dans lequel il était représenté tenant un violon d’une main et un verre de l’autre.

 
 
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