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Le provincial et le Parisien. Paris vaut plus que la France. Mais la France vaut mieux que Paris

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
Provincial et Parisien, ou quand
« Paris vaut plus que la France
et la France mieux que Paris »
(Extrait de « Les Annales politiques et littéraires », paru en 1902)
Publié / Mis à jour le dimanche 19 octobre 2014, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
Au début du XXe siècle, l’académicien Gabriel Hanotaux s’interroge sur la suprématie de Paris et sur l’image que la capitale grouillant de quelques millions d’habitants renvoie à l’étranger, au détriment d’une province plus discrète constituant cependant le gros de la population française : « Paris rend-il à la France tout ce qu’il lui prend ? »

L’herbager est descendu de sa montagne ou a quitté ses marais ; le vigneron hésite et se demande s’il laissera sa vigne ; le valet de ferme abandonne sa charrue au milieu du sillon ; l’agglomération urbaine, l’œil tourné vers Paris, attend l’exemple et l’ordre. Tout le monde obéit, même si c’est l’anarchie qui commande là-bas. »

Paris reçoit tout ; paye-t-il ? Problème posé depuis des siècles et auquel Paris, insaisissable Protée, fait des réponses partielles, spécieuses et contradictoires. Il prend l’herbager, le fermier, le fils du bourg, de la bourgade et de la ville, et, de tout cela, il fait un nouveau Français : le Parisien.

Le provincial urbain est lent et grave ; il est intéressé ; la vie, pour lui, est uniforme, partagée entre le travail journalier et le repos vide et stérile. Il est à mi-côte, plus près de la terre et plus sensé d’ordinaire que le Parisien, plus débrouillé que le paysan, mais enclin à copier les exemples qui viennent du centre en les exagérant, peu sûr de lui-même et de son propre jugement, le plus souvent entravé par une vanité assez superficielle et par la tyrannie du qu’en-dira-t-on.

Le paysan, lui, est immobile, tenace, avare, d’idée extrêmement courte, écrasé sous le poids de la nature et figé dans la tradition qui l’incruste et le conserve ; sa vie est penchée sur la glèbe. S’il a une certaine jovialité du dimanche, le souci de l’existence et la méfiance l’arrêtent souvent sur ses lèvres et la retiennent au coin de son œil ironique. En somme, parmi les qualités françaises, celles qui dominent chez l’urbain et le paysan, ce sont les plus solides, mais les moins brillantes : la prudence et l’esprit d’épargne.

Ces provinciaux sont trente-cinq millions. En face d’eux, trois millions de Parisiens les contre-balancent aisément. Et le monde juge la France, qu’il ne connaît pas, d’après le Parisien, qu’il croit connaître. Un être ardent, actif, imaginatif, toujours en mouvement, gai, aimable, confiant, fin, endurant, mais gobe-mouches, imprudent, versatile ; créateur d’idées, ingénieux, inventeur, mais gaspilleur, déballeur, prodigue ; un être qui parcourt, d’un bout de l’année à l’autre, en un va-et-vient de pendule, les quelques hectares de terre où il vit, et qui les croit, de bonne foi, placés au centre du monde ; aussi prompt à se montrer, à se découvrir, que les autres sont renfermés et repliés sur eux-mêmes ; un être en dehors, vaniteux, spectaculeux, intempérant, souvent hardi, souvent poltron, doux à l’ordinaire, mais parfois atrocement féroce ; un être qui ne paraît maître ni de son cœur, ni de son imagination, ni de ses nerfs, mais qui, pourtant, tire tout de son cœur, de son imagination et de ses nerfs ; un être que tout le monde considère comme le type du Français, comme le Français par excellence, et qui ne ressemble guère aux-trente-cinq millions de Français dont il est le frère et le fils : c’est le Parisien.

Il y a donc deux Français : le Français et le Parisien. Une agglomération exceptionnelle et presque unique de trois millions, ou, pour mieux dire, de cinq millions d’hommes, dans un pays centralisé où pas une force, pas une institution, pas une tradition ne contrebalancent, depuis des siècles, l’influence de ce monde factice, donne à Paris une vie particulière et soumet ses habitants, comme ceux d’un cloître, à des conditions et à des habitudes d’existence qui en font des êtres à part, des Français très spéciaux.

Ce sont mille vies différentes et très actives dans une même vie unique et énorme. Ces millions d’individus ne souffrent que peu du contact social, parce que l’ignorance mutuelle où ils sont l’un de l’autre le rend moins rude : l’envie n’est pas le vice dominant des Parisiens. Mais, en revanche, ils ne connaissent pas la résignation. Une excitation perpétuelle naît des tentations du luxe, de la provocation du succès, de l’incertitude du jeu, des hauts et des bas de chaque famille, de chaque rue, de chaque quartier. Un progrès, une mode, un caprice des foules font, du jour au lendemain, avec les pauvres, des riches, et inversement. Ce spectacle donne à la vie du Parisien une animation extraordinaire ; il est toujours entre la félicité et le désespoir.

Aussi, il adore le théâtre, qui lui donne l’image fidèle du drame perpétuel où se joue sa propre existence. Il est ingénieux à comprendre le travail des passions, parce qu’il sait — par sa propre expérience — que, si elles épuisent l’homme, elles le soutiennent et l’excitent. Cette vie animée, surchauffée, surmenée, devient, pour lui, comme une sorte de permanente ivresse. C’est une comburation constante et mutuelle de tous ces cerveaux et de chaque cerveau particulier — comme de ces charbons qui s’allument l’un de l’autre et, en brûlant, entretiennent le feu. Chaque individu a le sentiment, sans cesse accru par ces flatteries dont on entoure tous les souverains, qu’il contribue à la flamme qui éclaire l’horizon, et il bat son briquet, pour vivre d’abord, mais aussi pour ne pas rester obscur et ne pas passer inaperçu.

Ce qui sauve Paris, c’est le travail ; Paris est peut-être le pays du monde où l’on travaille le plus, en tout cas, avec le plus de vaillance, d’entrain et d’allégresse. Paris ne connaît pas cette trêve de deux jours, au moins, que Londres s’accorde toutes les semaines. Il n’a ni repos ni répit. Paris est une des rares villes où, dans les chaleurs de l’été, quand le thermomètre marque trente degrés à l’ombre, on voit des hommes en redingote noire traversant, en plein midi, les rues et les places, sous le soleil torride, pour se rendre à leurs affaires.

Le travail de Paris n’est pas l’occupation calme et régulière, le trantran journalier qui constitue l’activité rythmée et l’hygiène sociale de la province. C’est un élan et un spasme perpétuels. Les muscles, le cerveau et les nerfs du Parisien sont toujours tendus ; ses nuits sont courtes, et il dort mal, dans l’obsession du réveil à l’heure dite. Le Parisien se lève pour s’habiller et partir. Il est toujours en tenue et sur le pont.

Tandis que la province accumule les petits mouvements identiques et réguliers, et amasse ainsi une puissante énergie d’épargne, Paris dépense cette énergie en un crépitement continu d’étincelles. La promptitude et la vivacité de l’intelligence prodiguée — chaque jour, à chaque minute, dans chaque atelier — est admirable. Un ouvrier ciseleur enlève une taille ou polit un nu avec un sentiment de la perfection et du goût qui ne l’abandonne pas, alors même qu’il est pressé par l’exigence du temps et par la loi du bon marché ; une modiste qui, sur les marches de la Madeleine, saisit au passage le défilé d’une noce mondaine pour s’inspirer et créer, à son tour, la mode qui sera celle de demain, tend, à cette heure précise, l’effort de son cerveau avec une intensité pareille à celle de l’astronome de l’Observatoire en train de calculer la parallaxe d’une étoile.

Causez avec le peintre en bâtiments qui vient refaire votre appartement, avec le tapissier qui tend vos rideaux, avec le tailleur qui essaye votre habit, vous serez surpris de tant d’ingéniosité, de goût et de philosophie. D’ailleurs, l’ouvrier parisien donne l’idée d’un maître : il ne vient plus seul ; il est presque toujours accompagné d’un aide, d’un tâcheron, d’un apprenti, qui dégrossit la besogne. Lui, en chapeau rond et jaquette, ne met la main à l’œuvre que pour le fini et le coup de pouce.

Avec ses qualités et ses défauts, naturels ou acquis, Paris gouverne la France. Mais il n’en reste pas moins qu’en dehors de Paris, et en face de Paris, il y a la France. Si. Paris était toute la France, elle flamberait bientôt comme un punch. Si la France n’avait pas Paris, elle serait incolore et terne, comme un tas de cendres sans étincelle. Paris est, pour la France, ce que sont les génies dans les familles : d’illustres embarras. On est fier d’eux et on s’en plaint ; très heureux de les avoir, on est très ennuyé de la place qu’ils prennent.

La grande difficulté de la vie française, c’est-à-dire d’un pays qui veut être centralisé pour être uni, reste le mariage de Paris et de la province, d’une capitale active, puissante, fastueuse et téméraire, avec un pays tout de mesure, de prudence et d’épargne. Quand l’étranger nous juge d’après ce qu’il voit, c’est-à-dire d’après ce que lui montre Paris, il nous juge mal, il nous ignore.

Tant pis, et tant mieux.

Paris vaut plus que la France. Mais la France vaut mieux que Paris. Et c’est ce qui fait que, dans les heures critiques, on trouve toujours, dans cet admirable pays, si connu et si méconnu, des ressources et des ressorts imprévus, qui surprennent et déroutent les observateurs les plus subtils et les’ adversaires les plus avisés. C’est que Paris appelle la France à l’aide. Et alors, elle ne boude pas. On ne sait plus, des deux, qui commande et qui obéit. Le ménage, devant l’ennemi, se montre uni et solide, tel qu’il est au fond, tel qu’il doit être pour la défense commune du foyer.

 
 
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