LA FRANCE PITTORESQUE
Sommation d’un amoureux
à une coquette devant notaire
(D’après « Bulletin de la Société archéologique, historique,
littéraire et scientifique du Gers », paru en 1938)
Publié le jeudi 5 juin 2014, par Redaction
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Il n’est pas banal de voir un amoureux traîner dans la « boutique » d’un notaire — on désignait, à cette époque, sous le nom de boutiques, les études de notaire —, une coquette lui ayant promis mariage, mais paraissant peu pressée de tenir sa parole. Un acte de ce genre a été trouvé dans les « cèdes » de Maître Dorbe, notaire à Mauvezin, dans le Gers
 

Les sommations de cette espèce rentrent dans la catégorie des actes dits « de protestation » parce que l’un des comparants se plaint des agissements de l’autre. Le premier, le requérant, devait exposer au notaire ses doléances comme s’il eut été devant un juge appelé à trancher le différend ; le tabellion était tenu de relater dans son acte les explications fournies par les deux parties en présence, l’interpellateur et l’interpellé.

Nous reproduisons dans son entier, avec son orthographe, cet acte de protestation.

« L’an mil six cens trante cinq et le vingt troisième jour du mois de mars avant midy, régnant notre souverain prince Louis, par la grâce de Dieu roy de France et de Navarre, dans la ville de Mauvezin et maison des héritiers de feu Jan Gissot, par devant moy, notaire royal et tesmoings bas nommés, a comparu noble Isaac Dupré, sieur d’Arton, lequel adressant ses paroles à damoiselle Anne Dugay luy a dit quil y a desja plusieurs années quil a donné cognoissance au sieur Dugay, son père, du désir qu’il avoit de se joindre en mariage avec la dite damoiselle, auroit, à ces fins, faict boiage esprès dans la ville de Paris ou ledict sr Dugay faisoit lors sa plus ordinaire demure, lequel avoit approuvé son, dessain et tesmoigné en estre fort esse et contant, l’auroit faict scavoir par des lettres à sa dicte filhe luy donnant toute permission et lissance d’accomplir iceluy mariage.

« Comme aussy ledict sieur Dugay auroit lors promis aud. sieur Dupré de constituer à sadicte filhe, en considération d’icelluy, la somme de six mille livres ; et continuant ledict requérant de visitter lad. Damoiselle, icelle luy auroit conseillé d’envoyer derechef à sond. père ce qu’il auroit faict esprès, et faict parler aud. sieur, lequel auroit envoié sa permission et consantemant et escript tant à sad. filhe quau sieur requérant et en considération duquel pouvoir lad. Anne auroit voleu faire une promesse de mariage aud. Sr Dupré quelle auroit escripte et signée de sa main et ce dans le commancement de juin dernier et retiré vers elle pareilhe promesse dud. requérant.

« Mais nonobstant, ce, led. Dupré est adverty que lad. Damlle Anne reçoit et recherche et permet luy tre parlé d’amour par trois messieurs de la ville de Monfort, l’un desquels, à ce qu’a apris led. requérant par la bouche du sr Lasserre, advocat et conseiller de lad. damoiselle prestant se marier avec elle, à quoy, contre la foi jurée à Dieu et promis garder inviolable aud. Dupré, lad. Damlle preste son consantemant, ce que nonobstant led. requérant ne pouvant bien croire, l’a sommée et somme de luy déclarer sa volonté à luy tenue et contenue en sa promesse et à faulte de ce, persévérant en ses protestations comme sy dessus, a protesté contre elle des grands frais quil a esposés l’esté passé et pense faire à l’advenir et de tout ce quil doibt despenser.

« Laquelle damoiselle Dugay a respondu quelle bailhera sa response par escript. De quoy, a la réquisition des parties ay retenu le présent acte, en présence de noble Jean Dupré, escuier, Jacques Gimat, praticien dud. Mauvezin, signés avec le requérant, lad. Dugay n’a voleu signer, et moy.

« Signés : Dupré requérant, Dupré, présent, Gimat, Dorbe et Dorbe, notaire royal. »

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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