LA FRANCE PITTORESQUE
BOULONNAIS
à la fête et au travail
(par Raymonde Menuge-Waucrenier)
Publié le mercredi 16 avril 2014, par Redaction
Imprimer cet article

Combien de fois Émile ne s’est-il assis au pied du calvaire en haut de la falaise pour guetter le retour des autres ? Mais aujourd’hui, c’est tout autre chose : c’est « son »bateau qui rentre au port. La pêche à la morue, en Islande ou à Terre Neuve, c’est dur quand on n’a que 14 ans : l’océan glacial, sinistre, véritable « cimetière des marins », où cette année encore, malgré les intempéries, plus de 200 bateaux français étaient au rendez-vous. Émile est fier de lui, et pourtant sa première paye n’est pas bien grosse : juste de quoi payer, chez Corbec, les bottes, le ciré et le suroît qui en feront un vrai matelot.

Il ne sait pas encore que Marie, sa mère, a trouvé du travail à « l’fabrique à plumes », chez Blanzy. Elle aurait pu exercer un métier plus pénible : sautrière, verrotière, « toujours à l’grèle du temps »ou, comme les ramendeuses, les mains tachées de goudron, remplacer les mailles rompues des filets jusque tard dans la nuit, à la lumière douteuse des lampes à pétrole.

Il rentre chez lui en empruntant les pittoresques rues de Boulogne toutes imprégnées d’odeurs de poisson séché, d’huile de lin, de goudron et de cordages mouillés. Là-bas, la grosse cloche cuivrée sonne pour annoncer le petit train Le Portel - Bonningues qui traverse la ville tractant les grandes caisses de bois bombées recouvertes de carton bitumé, wagons où se côtoient les fermiers qui se rendent au marché de Boulogne et les familles venues profiter des bains de mer. Les rues sont sillonnées de carrioles, de calèches et de fiacres que le tramway, mû par la force électrique, n’a pas fait disparaître.

Tout là-haut, l’église St-Pierre découpe sa silhouette massive dans le ciel si bleu aujourd’hui. C’est là que dimanche, Emile accompagnera son père arborant ses médailles de sauveteur sur son costume noir un peu verdi, et sa mère, digne dans ses habits de Boulonnaise. A la pensée de revoir ses parents il serre dans sa main la petite vierge protectrice que Marie a mise dans sa poche, après le pèlerinage à Jésus Flagellé, le soir qui a précédé son départ. Maintenant, il court pour monter les dernières marches : la maison est là, accueillante. Tout y est pareil : la statue de la vierge jalousement gardée sous son globe de verre, le diplôme de sauveteur de son père emprisonné...

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE