LA FRANCE PITTORESQUE
Curieux destin du créateur
de la première horloge publique parisienne
(D’après « Paris ou Le Livre des Cent-et-Un » (Tome 15), paru en 1834)
Publié le samedi 18 août 2018, par Redaction
Imprimer cet article
Plusieurs tours restent encore attachées au palais de Justice, situé sur l’emplacement du palais de la Cité qui fut, du Xe au XIVe siècle, le palais des rois de France. A l’une d’elles, Charles V, en 1370, fit mettre la première grosse horloge qu’il y ait eu à Paris. Quelque 20 ans plus tard, elle vient à s’arrêter sans explication apparente...
 

Elle avait été fabriquée par un habile mécanicien d’Allemagne, nommé Henri de Vic, que le roi fit venir tout exprès pour en avoir soin. Il le logea dans cette même tour, et lui assigna un traitement sur les revenus de la ville.

Cet homme amoureux de son art, consacra le reste de ses jours au perfectionnement de son ouvrage ; il en écoutait le bruit, il en suivait et réglait la marche ; tous les battements de son cœur répondaient aux oscillations du balancier : on eût dit que le mouvement des rouages faisait circuler le sang dans ses veines, et qu’il recevait de cette machine la vie qu’il lui donnait.

Horloge du palais de la Cité avant la restauration de 2012

Horloge du palais de la Cité avant la restauration de 2012

Sa passion augmenta avec l’âge ; c’était une admiration, une contemplation perpétuelle. A peine, une fois par semaine, descendait-il le long escalier tournant, pour chercher les provisions nécessaires à sa nourriture ; à peine, à travers les étroits croisillons, jetait-il un regard sur les maisons de la Cité et sur ces vastes jardins qui s’étendaient de l’autre côté de la Seine, au lieu même où devait s’élever plus tard la magnifique architecture du Louvre.

Cette population, marchant d’un pas inégal et tournant en sens contraire, dérangeait son système d’harmonie, et bouleversait les combinaisons symétriques de ses idées. Tout lui semblait désordre et confusion auprès du chef-d’œuvre de régularité qu’il avait sans cesse sous les yeux.

Depuis vingt années sans interruption, la cloche sonnait de quart d’heure en quart d’heure, et le cadran montrait toutes les minutes. Un matin du mois de juin, le soleil était levé, et l’horloge n’avait pas annoncé les heures de l’aurore ; le soleil montait, et nulle voix dans les airs ne proclamait sa marche ; les toits des hauts édifices projetaient leur ombre sur les quais, et l’aiguille immobile oubliait de marquer les pas du temps.

Le peuple laborieux, les magistrats, les soldats, les artisans, s’arrêtaient ; des groupes se formaient au pied de la tour, et la foule inquiète demandait la cause de ce silence et de ce retard. La rumeur générale grossissait, quand vint à passer messire Pierre d’Orgemont, chancelier de France, qui matinalement cheminait sur sa mule pour aller conférer avec le roi. Sa présence apaisa les murmures ; la porte fut ouverte par son ordre, et deux des gardes qui l’accompagnaient entrèrent dans la tour.

Horloge du palais de la Cité après la restauration de 2012

Horloge du palais de la Cité après la restauration de 2012

Les marches résonnaient sous leurs pas, les murs faisaient retentir le fer de leur dagues, et personne ne venait à leur rencontre. Parvenus à la petite chambre de l’horloge, ils trouvèrent le savant vieillard étendu mort sur le plancher. Sa face était tournée du côté de la machine, morte comme lui, et sa main tenait encore la clef d’acier avec laquelle il avait commencé à la remonter la veille.

Sa dernière pensée, son dernier regard, son dernier soin, avaient été pour son chef-d’œuvre bien-aimé ; et quand il eut cessé de le soigner, de l’admirer et de vivre, le chef-d’œuvre s’arrêta. Les deux archers redescendirent ; ils portèrent cette nouvelle au chancelier qui la transmit au roi. On pourvut aux obsèques du savant, on lui donna un successeur. L’homme avait cessé pour jamais, et la machine reprit son cours ordinaire.

Note : L’horloge du palais de la Cité a été restaurée en 2012. Au fond d’origine, bleu semé de fleurs de lys, a été substitué un fond bleu semé d’un motif végétal. Ce motif végétal avait été une première fois été adopté en 1852, avant qu’une restauration au cours du XXe siècle ne privilégiât de nouveau les fleurs de lys originelles.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE