LA FRANCE PITTORESQUE
Omelette (L’) : spécialité culinaire
diversement appréciée
(D’après « Le Nouvelliste illustré », paru en 1899)
Publié le vendredi 17 juin 2016, par Redaction
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Si la Grèce et la Rome antique semblent ne pas avoir connu l’omelette, celle-ci fut vulgarisée en Europe au Moyen Age : prisée par Descartes, elle fut fatale à Condorcet...
 

Cet amalgame culinaire a toujours été incompatible avec le tempérament du peuple anglais, qui aime le naturel jusqu’à la crudité, nous explique en 1899 un chroniqueur du Nouvelliste illustré, qui ajoute que la complexion de l’Allemand lui donne l’appétit de toutes les combinaisons expérimentales, et que c’est à lui que nous devons l’omelette de luxe : au rhum, aux confitures ou aux pruneaux.

L’Espagnol, nous affirme-t-on encore, en use sobrement. Il est d’avis, comme les Africains du Congo, qu’avec de la patience, d’un œuf on obtient un poulet, sans dépense de nourriture. L’omelette, dans les pays favorisés, étant du gaspillage, y devient un crime ! ajoute notre journaliste.

La cuisine héroïque des Grecs, au siège de Troie, comportait à peine l’usage des œufs cuits sous la cendre. Homère ne parle pas d’omelette. Les Romains l’ont-ils connue ? On peut en douter, parce qu’il n’existe en latin aucun nom technique correspondant à cette préparation spéciale.

Dans les fouilles de Pompéi et d’Herculanum, on a exhumé des milliers d’ustensiles de ménage, mais rien qui ressemble à une poêle à frire. Cependant Lucullus a dû manger des omelettes superfines d’œufs exotiques d’autruches, de faisans, de cygnes, de cailles, d’ortolans, etc.

L’omelette a été vulgarisée au Moyen Age, en Europe, par les instituts monastiques. On se perd en conjectures sur l’étymologie du mot omelette. Brillat-Savarin, l’homme aux explications, ne s’en occupe qu’au point de vue gastronomique.

L’omelette a été illustrée par Descartes. Le grand homme ne se permettait qu’une sorte de ragoût, mais il est vrai qu’il se le permettait souvent, et qu’une longue expérience lui avait appris à le préférer aux mets les plus exquis ; c’était une omelette d’œufs couvés huit ou dix jours. « Ce nombre, dit le biographe de Descartes, est essentiel pour la bonté de l’omelette ; plus ou moins de jour, elle serait détestable. »

L’histoire de l’omelette a une page dramatique : en 1794, Condorcet, proscrit, déguisé, errait aux environs de Paris, à la recherche d’un asile. Arrivé à Bourg-la-Reine, il commanda une petite omelette pour son souper. « Combien d’œufs ? » demanda l’hôtesse. L’illustre académicien savait le nombre des étoiles du firmament, mais il ignorait la quantité d’œufs nécessaire à la confection d’une omelette.

A tout hasard, il répondit : douze. Devenu suspect par cette bévue, il fut arrêté, écroué au corps de garde, et le lendemain matin on le trouva mort. Il s’était empoisonné.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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