LA FRANCE PITTORESQUE
Farces et farceurs du Premier Avril :
l’insolite et le comique à l’oeuvre
(D’après « L’Illustré du Petit Journal », paru en 1936)
Publié le mardi 1er avril 2014, par Redaction
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S’il y avait autrefois, dans tous les corps de métiers, des farces traditionnelles qui se renouvelaient chaque année le premier avril et dont les premières victimes étaient les apprentis, certains mystificateurs se faisaient également une joie, à titre personnel, d’abuser en ce jour de la crédulité de leur prochain, n’hésitant parfois pas à élaborer un scénario qui, pour original, n’en était pas moins d’un goût douteux...
 

Chez les menuisiers, on envoyait l’apprenti chercher « la varlope à renfler le bois », le « rabot à dents » ou « la mèche à trous carrés » ; chez les typographes, l’apprenti réclamait par tout l’atelier « la pierre à aiguiser le composteur ». Dans les casernes, il se trouvait toujours quelque naïf qu’on envoyait au bureau du chef demander « la corde à couper le vent » ou « la clef du champ des manœuvres ».

La basoche elle-même avait son habituel poisson d’avril. Ce jour-là, dans les études d’avoué, le maître-clerc appelait le saute-ruisseau et lui disait : « Mon garçon, tu vas aller au greffe du tribunal et tu feras remarquer au greffier que, dans le jugement Martin contre Dubois, on a oublié d’accorder à Martin le bénéfice de l’article 14 du Code pénal. C’est une erreur de copie. Tu le prieras de rectifier. Et, lui mettant un papier timbré quelconque entre les mains, il l’expédiait.

Le petit clerc s’en alla donc au tribunal et exposait sa réclamation au greffier. Celui-ci éclatait de rire : « Ah ! On a oublié l’article 14 du Code pénal ?... Eh bien ! Nous allons arranger cela. Tiens, mon garçon, voilà un code. Tu vas rectifier toi-même. » Et le jobard lisait à son grand effarement : Article 14. — Tout condamné à mort aura la tête tranchée. « C’est le 1er avril, mon ami, ajoutait le greffier en renvoyant le mystifié ; et tu l’as bien avalé, le poisson ! »

Au temps jadis, il était quelquefois dangereux de faire des farces. Grimod de la Reynière, le fameux gastronome dont la gloire balance celle de Brillat-Savarin, perpétuait toute l’année le 1er avril et faisait de mauvaises farces à tout le monde. Il n’épargnait même pas son père et sa mère. Si bien qu’un beau jour, ses victimes se révoltèrent. On obtint contre lui une lettre de cachet, et le plaisantin fut enfermé. Il trouva la farce amère, ce jour-là.

Dans l’histoire des mystifications, la palme revient aux farceurs des temps romantiques. Et c’est un fait curieux qu’ils aient été si nombreux à une époque où, par contraste, le pessimisme, la mélancolie régnaient dans la littérature, et où le théâtre ne donnait guère que les plus sombres drames. Il faudrait un volume pour relater toutes les mystifications imaginées par Henri Monnier, le père de Joseph Prudhomme.

Dessinateur de talent, écrivain plein de verve, Monnier était en même temps un excellent comédien. Il se grimait avec un art incomparable et savait imiter toutes les voix. Les concierges, les portiers, étaient ses victimes ordinaires. C’est lui qui servit de modèle à Eugène Sue pour la création de son type de Cabrion, le rapin facétieux des Mystères de Paris, dont les niches constamment renouvelées empoisonnaient l’existence de l’infortuné M. Pinelet

Romieu, qui finit dans la peau d’un grave fonctionnaire — il fut directeur des Beaux-Arts — avait commencé par être un terrible mystificateur. Au début de sa carrière, alors qu’il était sous-préfet de Louhans, il faillit se faire révoquer pour une affiche administrative qu’il avait fait apposer le 1er avril, et dans laquelle il déclarait la guerre aux hannetons de son arrondissement.

Vivier, le célèbre corniste, appelé un peu partout à jouer dans des concerts, semait les facéties sur sa route. Le 1er avril, il entrait dans la boutique d’un épicier, achetait douze bougies de douze marques différentes, les plantait sur le comptoir et les allumait, afin, disait-il, de choisir la meilleure, dont il voulait acheter cinq cents paquets. Puis, quand les douze bougies étaient consumées, il déclarait qu’aucune ne lui donnait satisfaction et qu’il continuerait à s’éclairer à l’huile.

Sapeck, le joyeux Sapeck, qui fit pendant des années la joie du Quartier latin, se promenait le 1er avril au Jardin du Luxembourg, menant en laisse un homard. C’est lui qui inventa la bonne farce, renouvelée depuis au pont d’Arcole par un quidam « qui n’a pas dit son nom et qu’on n’a pas revu », et qui consistait à barrer la rue avec une chaîne d’arpenteur et à arrêter la circulation.

Coiffé d’une casquette galonnée, il arriva un 1er avril sur le boulevard et tendit sa chaîne qu’un complice tenait à l’autre bout. « Que faites-vous là ? » lui dit un agent. « Je suis chargé par la Ville, répondit Sapeck, de dresser le cadastre des pavés du boulevard. » L’agent arrêta les voitures. Sapeck se mit à faire sur un carnet des calculs à n’en plus finir.

« Dites donc, cria-t-il à son complice, allez me chercher le fil centralisateur, je l’ai oublié. » Le camarade passa la chaîne à un curieux de bonne volonté. « Voulez-vous me tenir ça un instant ? Je vais revenir. » Des minutes s’écoulèrent. L’homme ne revenait pas. « L’animal ! disait Sapeck... Il va falloir que j’y aille moi-même. Monsieur l’agent, voulez-vous me remplacer une seconde, s’il vous plaît ? »

L’agent prit le bout de la chaîne. Sapeck s’éclipsa. Et l’agent et le gogo se regardaient comme deux augures, tandis que, tout le long du boulevard, les cochers, arrêtés, exhalaient leur courroux. Ceci se passait aux premiers âges de la IIIe République. Mais, depuis, assure-t-on, la mystification a quelque peu dégénéré. Les bonnes farces sont plus rares, cependant qu’il en est une datant de la première moitié du XXe siècle méritant d’être contée.

Elle met en scène un député qui vit un matin entrer dans son cabinet un homme à l’allure discrète, qui lui dit à brûle-pourpoint : « Monsieur le député, je suis chargé auprès de vous, par la Préfecture de police, d’une démarche fort délicate. Vous avez bien eu, il y a quelques mois, une petite amie d’une vingtaine d’années ? »

Le député eut un haut-le-corps.

— Monsieur !...

— Monsieur le député, reprit l’homme, je remplis une consigne. Excusez-moi, mais répondez-moi.

— Parlez... mais parlez plus bas.

— Eh bien ! Monsieur le député, vous savez qu’on vient de retrouver le corps d’une jeune fille coupé en morceaux. Nous avons tout lieu de croire qu’il s’agit de cette personne.

— Alors ?... fit le député, anxieux.

— Alors, je viens vous prier d’aller à la morgue la reconnaître.

— Mais...

— Croyez-moi, faites-le de bonne grâce, Monsieur le député, sinon, vous serez convoqué officiellement.

Par là-dessus, l’homme s’éclipsa ; et, dès qu’il fut sorti, le député sauta dans un taxi. A la morgue, quand il eut exposé au greffier l’objet de sa visite, celui-ci se mit à rire : « Vous êtes le sixième depuis ce matin, Monsieur, lui dit-il. Rentrez chez vous et regardez votre calendrier. Nous sommes le 1er avril. » Pour macabre qu’elle soit, voilà une mystification qui ne manque pas d’originalité.

En voici une autre dans le même genre, mais plus gaie, se déroulant également dans la première moitié du XXe siècle. Un certain nombre de Parisiens — et de Parisiennes — tous plus ou moins candidats au ruban rouge, reçurent une lettre sur papier officiel, « Cabinet du Ministre », les priant de se trouver au ministère de l’Instruction publique, tel jour à telle heure, pour affaire les concernant.

On n’hésite jamais à se rendre à l’appel d’un ministre, surtout quand on attend une distinction honorifique. Toutes les personnes ainsi convoquées furent exactes au rendez-vous. Elles se trouvèrent en même temps dans l’antichambre ministérielle, et se reconnurent, naturellement, car elles étaient toutes du Tout-Paris.

— Tiens ! cher ami, vous ici ?

— Mais oui, le ministre m’a convoqué.

— Moi aussi.

— Moi aussi.

— Moi aussi.

Il y avait là des hommes et des femmes de lettres, des artistes, des acteurs, des actrices ; tous un peu ébahis de se voir ainsi appelés en même temps et pour le même objet. Mais le plus étonné, ce fut le ministre, qui vit arriver tout ce monde alors qu’il n’avait convoqué personne. Il reçut cependant ses visiteurs avec bonne grâce et avec le sourire aux lèvres ; et il leur promit d’examiner leurs titres avec la plus complète bienveillance.

« Mesdames et Messieurs, dit-il en leur montrant le calendrier, nous sommes le 1er avril : on vous a mystifiés. Cela, du moins, m’a valu le plaisir de votre visite. Et, si vous m’en croyez, nous prendrons la chose avec bonne humeur. »

L’avis fut si bien écouté que les victimes de cette farce résolurent de se réunir dans un banquet et que l’un des écrivains qui se trouvait là tira de l’aventure un petit acte charmant qui s’appela L’Impromptu de la rue de Grenelle, et qui eut le plus vif succès.

Les mystifications du premier avril n’ont pas toujours un aussi heureux épilogue. Il est vrai qu’elles ne sont pas toujours spirituelles. Trop souvent, elles consistent à faire envoyer à celui qu’on veut mystifier, les marchandises les plus hétéroclites.

Au début du XXe siècle, un juge de simple police, qui avait condamné, peut-être un peu sévèrement, des jeunes gens pour manifestations dans la rue, vit arriver chez lui, en guise de représailles, toutes sortes de fournitures qu’il n’avait pas commandées : victuailles diverses, eaux minérales et purgatives, pianos et autres meubles ; quinze voitures de charbon s’alignèrent à sa porte ; puis vinrent des marchands de poudre à punaises, des fabricants de mort-aux-rats, des employés des pompes funèbres, et jusqu’à un embaumeur.

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