LA FRANCE PITTORESQUE
Justice paternelle du roi
saint Louis au XIIIe siècle
(D’après « Faits mémorables de l’Histoire de France », paru en 1844)
Publié le dimanche 9 mai 2021, par Redaction
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Un des plus remarquables côtés du caractère de saint Louis, c’est sans contredit ce profond sentiment d’équité qui fut la règle constante de toute sa vie. Rien de plus élevé, rien de plus pur que cette âme dévouée au bien, au bon droit, sans autre aiguillon que le devoir.
 

On peut trouver, dans l’histoire de la France, un règne brillant d’un plus vif éclat ; mais il n’en est point dont le récit offre autant que celui-ci des exemples parfaits de justice et de loyauté. Dans les grandes aussi bien que dans les plus médiocres circonstances, qu’il ait à juger les querelles qui arment les barons anglais contre leur roi ou les différends des bourgeois de Paris, saint Louis montre une égale sincérité de cœur, une semblable impartialité, et ses propres intérêts même ne peuvent altérer cette pieuse candeur, qui puise sa force dans les inspirations de la foi.

Chez la plupart des princes, l’illustration est pour ainsi dire inséparable des gloires du champ de bataille ou des splendeurs de la royauté ; jamais, au contraire, saint Louis ne paraît plus admirable que lorsqu’on pénètre dans l’intimité de son existence : il tire de lui seul une grandeur particulière qu’on ne retrouve qu’à de bien rares intervalles dans les pages de notre histoire.

Le roi saint Louis

Le roi saint Louis

Sa valeur n’était pas dégénérée de celle de ses prédécesseurs, les exploits de Taillebourg en font foi ; mais, au-dessus des succès militaires, il estimait le bonheur de son peuple. Les paroles qu’il adressa à son fils durant une dangereuse maladie qu’il fit à Fontainebleau, où il se plaisait à passer de longues retraites dans le recueillement et la prière, révèlent la tendre inquiétude que lui inspirait le repos de la France : « Beau fils, dit-il au jeune prince, je te prie que tu te fasses aimer du peuple de ton royaume ; car vraiment j’aimerois mieux qu’un Escot (Écossais) vînt d’Écosse et gouvernât le peuple du royaume bien et loyalement, que tu le gouvernasses mal apertement. »

Cette constante sollicitude n’est pas exprimée avec moins de force dans les dernières instructions qu’il donna à son fils, Philippe le Hardi, au moment où, mourant sous les murs de Tunis, il remit entre ses mains les destinées du royaume de France : « Aie le cœur doux et pitoyable pour les pauvres, les chétifs, les malheureux, et les réconforte en aide autant que tu pourras. Maintiens les bonnes coutumes du royaume et détruis les mauvaises... Sois loyal et roide pour tenir justice et droit à tes sujets, et soutiens la querelle du pauvre jusqu’à ce que la vérité soit éclaircie... Et si tu entends que tu tiennes nulle chose à tort, ou de ton temps ou du temps de tes prédécesseurs, fais-le de suite rendre, bien que la chose soit considérable, ou en terre, ou en deniers, ou en autre chose. »

Pour rendre la véritable expression de cette grande figure, dont nous essayons de réunir les traits divers, nous ne pouvons mieux faire que d’emprunter au naïf biographe de Louis IX, à Joinville, le récit des assises populaires tenues par le saint roi sous les hautes verdures de Vincennes, ou dans le jardin de son palais de Paris.

« Maintes fois il advint qu’en été il alloit s’asseoir au bois de Vincennes après la messe, et se accostoit (s’appuyait) à un chêne, et nous faisoit asseoir autour de lui ; et tous ceux qui avoient affaire venoient lui parler sans empêchement d’huissier ni d’autres. Et lors il leur demandoit de sa bouche : Y a-t-il ici quelqu’un qui ait partie (procès) ? Et ceux qui avoient partie se levoient, et lors il disoit : Taisez-vous tous, et on vous expédiera l’un après l’autre. Et lors il appeloit monseigneur Pierre de Fontaines et monseigneur Geoffroy de Villette, et disoit à l’un d’eux : Expédiez-moi cette partie. Et, quand il voyoit quelque chose à amender dans le discours de ceux qui parloient pour autrui, lui-même il l’amendoit de sa bouche.

« Je le vis aucune fois en été que pour expédier ses gens il venoit au jardin de Paris vêtu d’une cotte de camelot, d’un surtout de tiretaine (laine) sans manches, d’un manteau de cendal (taffetas) autour du cou, moult bien peigné et sans coiffe, et un chapel de paon blanc sur la teste, et faisoit étendre un tapis pour nous seoir autour de lui. Et tout le peuple qui avoit affaire par-devant lui se tenoit debout autour de lui, et lors il les faisoit expédier en la manière que je vous ai dit devant au bois de Vincennes. »

Cette justice paternelle, sans gardes ni huissiers, si simple dans ses formes, n’excluait cependant pas à l’occasion la fermeté, et saint Louis se sentait alors d’autant plus fort qu’il ne cédait qu’aux plus impérieuses convictions. Enguerrand de Coucy, chef de la maison de Coucy, qui avait pris pour devise ces fières paroles : Je ne suis roi, ne duc, prince, ne comte aussi ; je suis le sire de Coucy, avait fait pendre trois jeunes gens nobles qui, dans l’ardeur de la chasse, étaient venus tuer du gibier sur ses terres. Aussitôt que le roi de France eut appris cette exécution faite à la hâte, il cita devant lui le sire de Coucy, le fit arrêter, conduire à la tour du Louvre et comparaître devant sa cour pour rendre compte de cette violence.

L’accusé, dont la famille était alliée à toutes les maisons souveraines, et même à celle de France, demandait la preuve en combat singulier, et sa prétention était appuyée par le duc de Bourgogne, les comtes de Champagne, de Bar, de Soissons, qui s’étaient rendus auprès du roi pour défendre leur parent et leur ami. Mais le roi se refusa à cette épreuve, qui le plus souvent donnait gain de cause à l’épée la mieux trempée plutôt qu’au bon droit. « Au fait des pauvres, des églises et des personnes dont il faut avoir pitié, l’on ne doit pas aller avant par gage de bataille, répondait-il à leurs instances, car on ne trouveroit pas facilement aucuns qui voulussent combattre pour de telles personnes contre les barons du royaume. » Malgré toutes les sollicitations, la justice eut son cours régulier. Le sire de Coucy, privé du droit de haute justice et de chasse, fut condamné à une amende de douze mille livres et à de nombreuses expiations.

Saint Louis rendant la justice

Saint Louis rendant la justice

Ce jugement par voie de droit excita de violents murmures parmi les barons, qui le considéraient comme une atteinte à leur indépendance politique et à leur liberté personnelle. L’un d’eux même, Jean Thourot, châtelain de Noyon, qui avait pris vivement la défense du sire de Coucy, osa dire ironiquement au roi : « Si j’avois été le roi, j’aurois fait pendre tous les barons ; car, un premier pas de fait, le second ne coûte plus rien. — Certainement je ne ferai pas pendre mes barons, reprit sévèrement le roi, mais je les châtierai s’ils méfont. » Cette énergie, si différente de la douceur habituelle de saint Louis, ajoute encore, il nous semble, à l’éclat de ce caractère, qui fut la gloire du Moyen Age.

Inflexible envers les autres, il ne l’était pas moins envers lui-même ; tourmenté par des scrupules de conscience sur le droit qu’il pouvait avoir de conserver les provinces conquises sur l’Angleterre durant les règnes précédents, après d’attentives consultations il se résolut à les rendre, avec un désintéressement que la politique a pu condamner, mais que cependant on est obligé d’admirer.

Nous insistons sur cette équité naturelle, sur ces qualités supérieures aux passions ordinaires du cœur humain, parce que ce sont elles surtout qui font de saint Louis « l’homme modèle du Moyen Age, en qui on ne sait lequel plus admirer, a dit Chateaubriand, du chevalier, du clerc, du patriarche, du roi et de l’homme. »

Sa piété si vive, si profonde, que chacun, les prestres mesmes, désiroient suivre sa vie, n’obscurcit jamais cette pure raison, qui recherchait avant tout la vérité et la préférait à toutes choses ; obligé de défendre contre le pape les droits de l’église de France, il le fit avec fermeté. Sa célèbre ordonnance connue sous le nom de Pragmatique Sanction, qui posa les premières bases des libertés de l’église gallicane, témoigne de son indépendance vis-à-vis du Saint-Siège. Quand bien même, comme l’a prétendu, et sur de fortes présomptions, Ch. Lenormand, on ne devrait pas attribuer cette énergique protestation contre les empiétements de la cour de Rome à Louis IX, l’accord avec lequel les historiens font remonter jusqu’à lui cet acte important serait encore un indirect hommage rendu à sa raison et à l’ascendant de sa vertu.

Quel prince pouvait en effet mieux juger ces délicates questions que celui dont le cœur semble dégagé de toute préoccupation mondaine et personnelle ? En qui pouvait-on avoir plus de confiance qu’en ce saint roi, qui, dans l’ardeur de sa foi, écrivait à sa fille pour dernier adieu : « Chère fille, la mesure par laquelle nous devons aimer Dieu, c’est de l’aimer sans mesure. »

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