LA FRANCE PITTORESQUE
Trois saules versaillais,
issus de celui qui ombrageait la
tombe de Napoléon à Sainte-Hélène
(D’après « Revue des études napoléoniennes », paru en 1923)
Publié le mercredi 9 février 2022, par Redaction
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Au commencement de février 1923, les Versaillais apprenaient avec surprise qu’un saule, bouture de celui qui ombrageait la tombe de l’Empereur à Sainte-Hélène, venait d’être abattu, 67 rue du Maréchal Foch (ancienne rue Duplessis). Si quelques curieux avaient alors conservé le souvenir de celui se trouvant au sein du jardin de la Préfecture, on pouvait assurer que ses frères — dont celui qui venait d’être abattu —, au nombre de deux, étaient déjà complètement oubliés de la génération du début du XXe siècle...
 

Esquissons à grands traits l’histoire des trois saules de Napoléon à Versailles. Il importe d’ailleurs là-dessus, de multiplier les documents que fournissent les archives des Yvelines, ou celles de Me Chevallier, successeur de Me Marcou, notaire à Versailles, et de Me Ragot, notaire à Paris.

C’est la petite histoire de la grande épopée : au mois d’octobre 1890, M. Couard, archiviste départemental, recevait de M. Drouville, ancien greffier d’instruction au Tribunal de la Seine, une lettre apportant la confirmation et lui expliquant l’origine des saules de Sainte-Hélène à Versailles. M. Couard a fait un résumé (dossier de la Commission des Antiquités et des Arts de Seine-et-Oise), de cette lettre : M. Drouville avait un frère ; celui-ci, « lieutenant de navire », est « le second qui ait touché à Sainte-Hélène ». Ce frère, « élève de MM. Polonceau et Lacroix, de Versailles, envoya à ses professeurs trois boutures du saule de Longwood », dont une fut plantée dans le jardin de l’Ecole Normale académique, fondée par ordonnance royale du 7 septembre 1831, dont le premier directeur fut M. Froussard (1er décembre 1831-15 octobre 1833).

Napoléon à Sainte-Hélène
Napoléon à Sainte-Hélène

M. Polonceau, ancien ingénieur en chef du département du Mont-Blanc, plus tard (1er août 1814) ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de Seine-et-Oise (Yvelines), professeur de mathématiques à l’École Normale de Versailles, choisit avec discernement le terrain convenable et planta pieusement la bouture de saule, qui devint le bel arbre du parc de la Préfecture. Dans une lettre écrite à son père, le lieutenant Drouville disait que, dans l’île de Sainte-Hélène, il avait été visé par trois fusils anglais, qui ne l’avaient pas atteint.

Tous ces renseignements ne fournissent malheureusement pas de date exacte ; mais comme l’École Normale ne fut installée qu’en décembre 1831, dans l’ancienne vénerie royale, il est certain que ce fut en 1832 que M. Drouville fit l’envoi des boutures de saule. En 1923, cependant que le saule de la Préfecture avait alors 91 ans, le greffier du Tribunal de la Seine croit se souvenir que les deux autres boutures ne réussirent pas bien.

L’histoire de la deuxième est connue : elle fut adressée au Potager de Versailles, elle réussit également, mais l’arbre, mal exposé, n’atteignit jamais les proportions grandioses de son frère de la Préfecture. Il est mort en 1895, et c’est grâce à M. Nanot, le distingué directeur de l’Ecole nationale d’horticulture, que nous pouvons en donner la place exacte : dans la partie rentrante touchant à l’ancien Grand Séminaire. C’est M. Lefèvre, chef de pratique qui, en 1895, abattit et débita le saule mort.

Mais la troisième bouture, qu’est-elle devenue ? L’histoire est à la fois et simple et obscure, et souvent les souvenirs sont confus. Malgré tout il n’est pas difficile de reconstituer la vie de la petite branche du saule légendaire.

Les immeubles portant les numéros 65, 67 et 69 (anciens 105, 107 et 109), de la rue Duplessis étaient la propriété du général baron Gourgaud. Celui-ci s’embarqua à Sainte-Hélène, le 14 mars 1818, à bord du Campden, pour revenir en Europe (Sainte-Hélène, journal inédit de 1815 à 1818, Mémoires du général Gourgaud). Mis à la retraite par la Restauration, il se maria, en 1822, avec Marthe Rœederer, fille du comte de l’Empire, dont il eut un fils le 26 mars 1823 : Louis-Marie Napoléon, baron Gourgaud. Sa femme mourut le 30 mars suivant. Devenu veuf, le général Gourgaud eut le désir légitime de revenir finir ses jours dans sa ville natale : Versailles.

Voici à titre documentaire son acte de baptême rédigé en l’église royale et paroissiale de, Notre-Dame. (Archives de l’état-civil de Versailles) : « L’an mil sept cent quatre-vingt-trois, le quinze novembre, Gaspard, né d’hier, fils d’Etienne-Marie Gourgaud, musicien ordinaire du Roi, et d’Hélène Gérard, son épouse, a été baptisé par nous soussigné curé, le parrain a été haut et puissant seigneur Messire Gaspard, baron de Burman, seigneur de Mathod, représenté par François-Eugène, fils d’Eustache Delcambre, musicien ordinaire du Roi, et la marraine, haute et puissante dame Anne-Barbe Scholt, épouse du parrain, représentée par Rose Gourgaud, sœur de l’enfant, qui ont signé avec le père. »

Le 23 mai 1829, Gaspard, baron Gourgaud, général de division, grand-croix de la Légion d’honneur, grand-croix de Saint-Georges des Deux-Siciles, etc., ancien aide de camp de l’Empereur Napoléon Ier, ancien président du Comité de l’artillerie, ancien pair de France, ancien représentant du peuple, ancien colonel de la première légion de la Garde nationale de Paris, s’est rendu adjudicataire, en l’audience des criées du Tribunal civil de première instance de la Seine, par l’intermédiaire de Me Vallée, avoué, d’un pavillon et d’un jardin situés rue Duplessis, n°107, provenant de la succession de François-Joseph Schmidt, décédé à Paris, le 10 juillet 1828, rue Saint-Pierre-Montmartre, n°5. Puis le 25 juin 1835, de l’immeuble situé rue Duplessis, n°109, au coin de la rue des Missionnaires, appartenant à Guillaume Bazin, pour la somme de 14180 fr. 45.

Image populaire de la tombe de Napoléon, avec la silhouette de l'Empereur se détachant des saules
Image populaire de la tombe de Napoléon,
avec la silhouette de l’Empereur se détachant des saules

La propriété située au n°107 (devenu 67) quitta la famille Gourgaud en 1903, et fut adjugée à Georges Dehenne, ingénieur, demeurant à Paris, rue Chazelles, n°45, le 24 novembre 1903. Le général baron Gourgaud est mort à Paris le 25 juillet 1852. L’ancien aide de camp de l’Empereur avait pour voisin Jean Polonceau, rentier, âgé de cinquante-cinq ans, frère du professeur de mathématiques de l’Ecole Normale de Versailles, qui habitait le numéro 112, avec sa femme, née Elizabeth Bellon, et leurs cinq enfants.

Son frère lui donna une des précieuses boutures, et il fut heureux de l’offrir au fidèle compagnon de l’Empereur, qui la planta dans sa propriété. Et ce serait cet arbre glorieux, fils de celui qui est entré dans la légende napoléonienne, plus impérissable que l’Histoire, qui avait poussé au pied de la tombe du plus illustre soldat du monde, qui venait de disparaître, en 1923 sous la hache des démolisseurs.

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