LA FRANCE PITTORESQUE
Jeux de balle, de pelote et de paume
au fil des siècles
(D’après « Le Petit Journal : supplément du dimanche », paru en 1907)
Publié le lundi 28 novembre 2022, par Redaction
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Les sports de souplesse, de force et d’adresse que sont les jeux de balle, de pelote et de paume sont, peut-on dire, de véritables jeux de France, car s’il est vrai que le tennis nous vient d’Angleterre, où il était déjà en faveur au XVIe siècle, il n’est pas moins certain que, chez nous, on jouait à la paume de temps immémorial
 

Ce n’est point à dire, cependant, que ces jeux soient nés sur notre sol. La balle, au contraire, est aussi vieille que le monde. Hérodote en attribue l’invention au peuple lydien. Au temps d’Homère (VIIIe siècle avant J.-C.), ce jeu était fort en usage puisque, au VIe et au VIIIe livre de l’Odyssée, le poète montre ses héros s’y divertissant.

Les Grecs et les Romains connurent non seulement la balle, mais encore le ballon. Martial décrit un jeu de ballon dans lequel les joueurs se livraient de véritables combats pour se saisir de la balle, se l’arrachant des mains, se poussant les uns les autres, se donnant des coups de pied et des coups de poing et se renversant par terre... Nous joueurs de football n’ont rien inventé.

Jeu de balle à la raquette (jeu de paume)

Jeu de balle à la raquette (jeu de paume)

Bref, la balle fut en grande faveur chez tous les peuples, en Europe comme en Asie. Les opulents patriciens de Rome avaient, dans leurs palais et leurs villas, de grands espaces découverts consacrés au jeu de paume. La plupart des rois de France, prenaient plaisir à ce jeu. Charles IX, Henri III y jouaient avec leurs courtisans et leurs mignons.

Les femmes elles-mêmes s’y montraient expertes, s’il faut en croire ce passage des Annales du Hainaut de Vinchant : « Durant le séjour de trois semaines que Philippe le Bon, duc de Bourgogne, fit à Paris, en 1429, il y vint une jeune fille de vingt-huit ans, appelée vulgairement Margot du Hainaut. Icelle provoqua au jeu de paulmes tous joueurs avec ses habits de femme ; elle jouait de l’avant-main, de l’arrière, très puissamment, très malicieusement et très habillement. A raison de quoi elle fut en grand bruit en France ; elle estoit choyée de seigneurs et petits compagnons. Elle retourna en son pays avec la bonne somme de deniers qu’elle gagna... »

Le mot balle n’existait pas alors dans le sens où il est employé aujourd’hui. Ce divertissement était désigné sous le nom de jeu de paume en France et de jeu d’éteuf dans nos provinces septentrionales. C’est ce dernier nom qui désigna primitivement la balle ; et, dans les vieilles cités de Picardie, de Flandre, d’Artois et de Hainaut, il y eut jadis plus d’un cabaret qui porta pour enseigne : A l’Eteuf d’argent.

En bon Barnais qu’il était, Henri IV aimait la paume ; il y était, paraît-il, d’une force peu commune ; et c’était le divertissement le plus répandu à la cour, de son temps. Faut-il ajouter que Napoléon Ier, lui aussi, tenait ce jeu en grande estime et qu’il employa parfois ses rares loisirs à y jouer, avec ses officiers, aux Tuileries et à la Malmaison ?...

Jusqu’au XVe siècle, on jouait à la balle avec la paume de la main. De là le nom de paume qu’avait pris ce jeu. La raquette fit son apparition à cette époque. Guillaume Coquillart, un poète du milieu de ce siècle, parle de cet instrument :

Se semblent raquettes cousues
Pour frapper au loin un esteuf.

Cent ans plus tard, le lawn-tennis passait le détroit, et, tout de suite, le jeu de balle à la raquette trouvait en France grande faveur. Le frivole XVIIIe siècle aimait ce divertissement que l’abbé Delille a décrit dans son poème de la Conversation :

La balle, dans ce jeu, volant de main en main,
Court, tombe, se relève et reprend son chemin
(...)
Sans cesse allant, venant, revenant tour à tour,
Exacte à son départ, exacte à son retour,
Avec la même ardeur et par la même voie,
Chaque parti l’attend, l’arrête et la renvoie.

Aujourd’hui, le jeu de balle, sous toutes ses formes, n’a rien perdu de son antique faveur. Au contraire. Le pays basque a élevé son sport favori à la hauteur d’une institution. Les grands joueurs, les maîtres en l’art de manier cette longue corbeille creuse et recourbée qui s’appelle, de ce beau nom sonore, le « chistera », et dans laquelle ils reçoivent et renvoient la pelote avec une incroyable adresse, sont traités à l’égal des matadors célèbres dans les plazas espagnoles.

Jadis, ils se contentaient de la renommée qui portait leurs noms à travers le pays et même tra los montes, mais, à présent, ils sont devenus de véritables professionnels, et, comme tels, ils visent à la fortune. Les prix des luttes qui, autrefois se donnaient en nature, sont aujourd’hui de bon argent. Tels les acteurs en renom, les pelotari contractent de superbes engagements. Il en est même qui, appelés par les Basques émigrés en Amérique du Sud, où ils se sont enrichis, ont acquis là-bas de quoi vivre en paix le reste de leurs jours.

Quoi d’étonnant à cela ? Tout basque vient au monde joueur de pelote. Les officiers qui commandaient le bataillon des chasseurs basques, pendant les guerres de la Révolution, dans les Pyrénées, rapportaient que, après des courses et des ascensions folles à travers les montagnes, après qu’ils s’étaient battus comme des lions, soit aux Aldudes, soit à Baïgorry, soit encore au camp d’Espéguy, le premier soin de leurs hommes, en arrivant au bivouac, avant même de penser à la soupe, c’était de faire une partie de pelote...

Joueurs de pelote à chistera

Joueurs de pelote à chistera

Il n’est point de sport qui mette en pareil relief l’harmonie du corps humain. Le joueur de pelote accomplit, naturellement et sans recherche, des merveilles de souplesse. Tantôt il se ramasse sur lui-même, tantôt il se détend et paraît s’allonger avec des mouvements de félin, mais toujours il prend des poses plastiques qui rappellent les plus belles, les plus nobles, les plus gracieuses attitudes des statues d’athlètes de l’antiquité.

La paume était aussi en honneur en plus d’une région française. Quant à la balle, elle est la spécialité des villes du Nord et de la Belgique. Les joueurs se servent de gants un peu plus grands que la main, formés de plusieurs peaux superposées, et d’une balle petite, mais extrêmement dure, remplie de sable et de cailloux minuscules. Là aussi, les populations se passionnent pour ce divertissement populaire.

Les joueurs fameux sont également les enfants gâtés de la foule. On rapporte que, sous l’Empire, un joueur valenciennois, nommé Prosper, étant tombé à la conscription, ses admirateurs se cotisèrent pour lui acheter un remplaçant. Bien mieux, ils chargèrent un des peintres les plus célèbres de la ville de peindre le portrait de leur favori, afin que le musée municipal conservât à jamais le souvenir de cette illustration locale.

Les mineurs avaient un penchant tout spécial pour le jeu de balle. En parcourant les houillères du Nord pendant la saison d’été, on trouvait des parties de bal organisées dans tous les villages. La partie d’Anzin était renommée entre toutes, et il n’était fête ni « ducasse », dans le grand centre minier, sans quelque grande lutte franco-belge.

En 1906, le roi d’Angleterre, se trouvant en villégiature à Biarritz, assista à plusieurs parties de pelote basque, notamment à Sarre, le célèbre village de « Ramuntcho », et prit à ce jeu le plus vif plaisir. Les joueurs de balle d’Anzin, eux, n’eurent jamais la chance de jouer devant une tête couronnée ; mais, à défaut de ceux d’un roi, ils eurent naguère, et à plusieurs reprises, les suffrages d’un président de la République.

Thiers, en effet, lorsqu’il venait à Anzin prendre part au conseil de régie de la Compagnie des mines, ne manquait jamais d’assister aux luttes qui se déroulaient sur le « ballodrome » anzinois. Un jour de l’été 1873, comme les Belges avaient remporté la victoire, il voulut remettre lui-même la traditionnelle balle de vermeil au joueur qui avait décidé du gain de la journée, un brave Bruxellois nommé Amédée Dchandschutter. Aux applaudissements frénétiques des mineurs, qui couvraient la place, le joueur fut amené au balcon de l’Hôtel de ville, où le président de la République lui dit quelques paroles bien senties en lui remettant le prix de son adresse. Et l’excellent Amédée, tout ému, répondit : « Merci, monsieur le maire. » Il avait pris Thiers pour le maire d’Anzin.

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