LA FRANCE PITTORESQUE
De nos sociétés dites « modernes »
(Éditorial du 28 août 2013 paru dans le N° 43 de
La France pittoresque - 2e semestre 2013)
Publié le mardi 17 septembre 2013, par Redaction
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Dénonçant en 1904 dans Le Mois littéraire et pittoresque une société que d’aucuns, parmi les hygiénistes, voudraient aseptiser au-delà de toute mesure, Jean Rameau, pseudonyme du poète et romancier Laurent Labaigt, invite ses concitoyens à se délecter avec lui des recommandations les plus incongrues : « Savez-vous ce qu’une Commission du Conseil municipal de Paris recommande de faire, quand on veut ramasser une épingle ? »

N° 43 de La France pittoresque (2e semestre 2013)

N° 43 de La France pittoresque (2e semestre 2013)

« Pour la récupération des épingles d’acier, il conviendrait d’opérer exclusivement par le procédé de l’aimant. Cette récupération, qu’il est recommandable de faire le plus tôt possible après la chute des épingles, doit avoir lieu sur les parquets ou les tapis avant leur balayage », peut-on lire alors dans un compte-rendu officiel. Et notre boute-en-train de renchérir : « Quand on voulait ramasser une épingle, naguère, il suffisait de se baisser, d’écarter délicatement le pouce de l’index, et de prendre la susdite épingle entre ce pouce et cet index. Etions-nous assez ignorants ! Nous ne savions pas que l’épingle, ayant traîné sur le tapis, pouvait avoir recueilli des microbes, d’innombrables et variés microbes, lesquels, accrochés là comme des naufragés sur une vergue, étaient tout prêts à fondre sur nous et à nous accabler des maladies les plus mortelles. » La Commission ne stipulant pas ce qu’il advient de l’épingle une fois accrochée à l’aimant, Jean Rameau se gausse : « Faudra-t-il prendre l’épingle avec des gants ? Sans doute. Mais que faire ensuite de ces gants ? Les brûler ? Oui, certes, la mesure s’impose. Mais que voilà une épingle dont la récupération coûtera cher ! » Puis de rappeler que des docteurs affirmaient combien « nous jonglions avec la mort toutes les fois que nous touchions des sous, des pièces ou des billets de banque. Combien de microbes doivent grouiller dans les cheveux de la Semeuse ! Que ce bacilles sont en embuscade dans les chiffons bleus et rose de la Banque de France ! Eloignez-vous de ces horreurs si vous tenez à vivre et ne recevez des billets de mille qu’au bout de vos pincettes. »

Stigmatisée avec humour voici un siècle, la peur du microbe, lequel n’est en somme que le corollaire de la vie, gouverne cependant encore nos sociétés « modernes ». N’est-ce pas chose singulière dans un monde qui par ailleurs semble ne guère s’émouvoir des conséquences, pourtant inexorables, du cataclysme nucléaire majeur survenu voici deux ans et compromettant l’existence même de l’ensemble des espèces se partageant la planète ?

Valéry VIGAN
Directeur de la publication
La France pittoresque

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