LA FRANCE PITTORESQUE
Canicule : une signification détournée
(D’après « Les Annales politiques et littéraires », paru en 1893)
Publié le jeudi 25 juillet 2013, par Redaction
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La canicule actuelle est une fausse canicule ; ce n’est plus la canicule des anciens ; mais elle est restée cependant vraie en général. Nous voulons dire que la définition s’est faussée, mais comme elle représentait un fait exact dépendant surtout du mouvement du soleil, ce mouvement étant resté le même, les choses se passent encore aujourd’hui comme autrefois
 

L’origine de l’expression « canicule » remonte très haut, à plus de deux mille ans avant Jésus-Christ. Elle a son berceau en Egypte. Tout le monde connaît la constellation du Grand Chien, petite constellation située près d’Orion ; c’est là que se trouve une étoile admirable d’un grand éclat : Sirius.

Les Égyptiens avaient un grand faible pour Sirius, qu’ils appelaient Soth, ou Sothis ou Sirbâd. De là le nom moderne de Sirius. Or, autrefois, Sirius se levait et se couchait exactement quand le soleil se couchait et se levait en juin et juillet. Sirius appartenant à la constellation du Grand Chien (Canis), les jours compris entre ces levers et ces couchers concordants furent appelés Caniculaires. De là la canicule.

L’année civile des Égyptiens était égale à 365 jours, ce qui fait que chaque année réelle était trop courte d’un quart de jour. Tous les quatre ans, ces écarts faisaient rétrograder l’année d’un jour entier. Après 1400 ans, il y avait erreur d’une année entière. On ajoutait cette année aux précédentes. La constellation du Grand Chien, par suite de la réunion des équinoxes fait donc, par rapport aux levers solaires, un tour de ciel complet en 1460 ans.

La canicule parisienne. Illustration de couverture du Petit Journal du 9 septembre 1895

La canicule parisienne. Illustration de couverture du Petit Journal du 9 septembre 1895

C’est là le cycle caniculaire. Les 1460 années solaires faisaient 1461 années égyptiennes. Les fêtes civiles et religieuses se célébraient à jour fixe et après 1461 ans elles avaient accompli un cycle complet parcourant toutes les saisons. Le jour initial rétrogradant, les fêtes et les travaux des champs étaient continuellement changés de date. Les prêtres égyptiens possédaient seuls le secret des cycles caniculaires, ce qui leur permettait de rétablir la date des événements et de les prédire, au grand étonnement du commun des mortels. A vrai dire, c’était le chaos, les fêtes et les saisons se renouvelant à toutes les époques de l’année.

C’était surtout le Nil qui par ses débordements donnait aux Egyptiens la notion des jours caniculaires. Les grandes crues coïncidaient avec l’apparition au ciel de Sirius, c’est-à-dire au mois de juin. Pendant quarante jours, il fallait subir la canicule. Grandes chaleurs, maladies, fièvres. Elle n’était pas rassurante, la canicule des Egyptiens ! Aussi les recommandations pleuvaient. Il y a deux mille ans, on écoutait les conseils d’Hippocrate. Ne pas se baigner, peu manger, peu dormir, boire peu et frais, mais pas glacé, marcher lentement, ne se livrer à aucun travail, etc.

Aujourd’hui, le lever héliaque (moment où elle devient visible à l’Est au-dessus de l’horizon à l’aube) de Sirius a lieu en août. Sirius ne s’occupe plus du tout du mois de juillet. Nous traversons par conséquent une pseudo canicule. Mais encore une fois, à la définition près, faussée par les déplacements de la constellation du Grand Chien, la canicule subsiste et c’est bien en juillet-août que surviennent généralement les plus grandes chaleurs. Les conseils des Anciens peuvent dans certaines limites plus raisonnables, l’appliquer à la canicule moderne.

Il est curieux de voir persister encore de nos jours, après de nombreux siècles d’intervalle le préjugé des jours caniculaires, jours pleins de maléfices, disaient les sorciers du Moyen Age. Et non moins intéressant de voir se rattacher à cette vieille expression le rôle prédominant de l’étoile Sirius dont nous ne nous préoccupons plus guère aujourd’hui. Sirius est si loin ! Plus loin que ne le soupçonnaient les Egyptiens.

La lumière parcourt environ 300 000 kilomètres à la seconde et met 8 minutes pour nous arriver du soleil, elle met 16 ans pour parcourir la distance qui sépare Sirius de la Terre. Le diamètre de cette étoile est d’environ 2 400 000 km. On peut, certes, sous ce rapport imiter les Egyptiens et admirer un astre aussi gros et aussi étincelant. N’oublions plus les rapports qui existent entre l’étoile Sirius et la canicule.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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