LA FRANCE PITTORESQUE
Que trouve-t-on sous le parasol,
ce « champignon de plage » ?
(D’après « Les Annales politiques et littéraires », paru en 1922)
Publié le lundi 2 juillet 2018, par Redaction
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Le parasol, c’est le champignon de plage, écrit au cœur de l’été 1922 un chroniqueur des Annales politiques et littéraires, qui entame un tour d’horizon cynique des vacanciers du bord de mer que l’on retrouve sous ces pousses éphémères vivant au rythme du soleil...
 

Contrairement à la plupart des champignons de la botanique, il pousse surtout les jours de sécheresse et de soleil. Plus la température est chaude, plus le soleil est ardent, plus il pousse de champignons-parasols au bord de la mer. Le parasol, c’est le cryptogame giganteus caniculaire.

Contrairement encore à la plupart des champignons, le parasol ne pousse pas spontanément. Il faut l’apporter, le piquer dans le sable et aider son ombrelle à s’épanouir. Le parasol, ou champignon de plage, est généralement blanchâtre et rayé de rouge. Cependant, on en rencontre qui sont écarlates et d’autres qui sont rayés de bleu.

Le parasol, ou champignon de plage, a ceci de commun avec le tournesol qu’il s’oriente toujours du côté du soleil. Les parasols, ou champignons de plages, sont semés tous les matins vers dix ou onze heures. Les cultivateurs de parasols les plantent dans le sable des plages au fur et à mesure des besoins de la consommation.

C’est à l’heure du bain, vers midi, et aussi le soir, vers cinq heures, que la culture des champignons-parasols devient principalement intensive. Les champignons-parasols sortent alors de terre avec la rapidité de leurs confrères des forêts un lendemain de forte pluie. La récolte des parasols se fait le soir, à l’heure où les baigneurs se précipitent au Casino.

Le champignon-parasol, n’étant point comestible, n’est pas, à proprement parler, vénéneux. Cependant, il abrite sous son chapeau des individus de sexes différents, qui profitent souvent de leur immobilité prolongée pour distiller le poison de la médisance. Une petite promenade à travers la forêt des champignons-parasols est, d’ailleurs, très instructive.

Les gens sont sans défiance sous les parasols. Ils se croient chez eux. Ils ne songent pas, la plupart du temps, que le parasol est une demeure à qui il ne reste que le toit, une maisonnette que le sage seul pourrait habiter sans danger. Chacune des petites coupoles aux rayures rouges est une habitation en plein air où les gens ordinairement les plus dissimulés paraissent se croire à l’abri de tous les regards indiscrets.

Aussi, quel plaisir pour l’observateur qu’une balade parmi les pentes succursales — ouvertes aux quatre vents — des chalets soigneusement clos et des villas mystérieuses ! Les gens s’y montrent ingénument tels qu’ils sont dans leur intérieur, et c’est comme si l’on regardait par de grandes fenêtres ouvertes dans d’innombrables intimités.

Parasol numéro 1. — Des gens chics, bien mis. Ils ont tous les deux les yeux accrochés dans l’azur du ciel. Ils n’ont pas échangé deux paroles depuis qu’ils sont là, — trois quarts d’heure. Chacun d’eux songe à quelque chose qui ne regarde pas l’autre. Et ils se trouvent bien sous ce parasol, parce que l’animation ambiante favorise leurs deux rêveries.

— Elle croit que je m’intéresse à ce qui se passe autour de nous et elle me laisse tranquille..., pense le monsieur.
— Il croit que je suis sur cette plage avec tous ces imbéciles et il me fiche la paix..., pense la dame.

Parasol numéro 2. — Classe moyenne. Un monsieur pas jeune et trois dames mûres. Le monsieur parle et les dames écoutent. Le monsieur est un causeur. Les dames écoutent avec respect l’érudition de dictionnaire du monsieur. Le monsieur tâche d’expliquer pourquoi la mer monte et descend. Malheureusement, parmi les trois dames mûres, il y en a une qui est une curieuse et qui l’embarrasse par ses questions. Bientôt, les trois dames, lasses d’écouter, se plongent dans leurs petites songeries respectives, se contentant de hocher un peu la tête chacune à son tour, pour ne pas décourager le causeur qui continue à égrener toutes les banalités et tous les lieux communs.

Parasol numéro 3. — Un flirt. Ils se regardent dans les yeux et se disent très bas des choses qui doivent être très gentilles, puisque chacun paraît reconnaissant à l’autre de les dire. Des jeunes mariés ? Une aventure ? On a le sentiment qu’on est indiscret et, ne pouvant pousser la porte, on passe.

Parasol numéro 4. — Un monsieur, sa femme, deux grandes filles au physique ingrat, à marier avec des petites dots. Parasol mélancolique et provincial. Silences interminables coupés par de courtes réflexions qui ne valaient pas la peine d’être prononcées. Ennui. Médiocrité. Souci de l’avenir.

Parasol numéro 5. — Un monsieur tout seul avec un journal qu’il lit de la première à la dernière ligne, sans lever les yeux, quelque événement qui se produise. Un journal n’étant pas si long à lire que ça, on suppose, au bout d’une heure, que le monsieur vient de le recommencer.

Parasol numéro 6. — Une volière. Deux vieilles dames bavardes, trois jeunes femmes et quatre jeunes filles caquetantes. Neuf personnes et neuf conversations. Une soirée chez des pies borgnes. Un raout chez des perruches sourdes. L’établissement du record de la vélocité chez les moulins à paroles. Trois sujets de conversations à la minute. Des exclamations. Des rires. Le mouvement perpétuel du langage humain. Du cliquetis. De l’argentin. Du bruit articulé, mais sans signification saisissable. De l’élocution mécanique. Des cascades d’éclats. Des jaillissements de syllabes. Quand il n’y en a plus, il y en a encore...

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