LA FRANCE PITTORESQUE
Badinguet : un surnom satirique
donné à l’empereur Napoléon III
(D’après « Le Musée de la conversation », paru en 1897)
Publié le vendredi 21 juin 2013, par Redaction
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Quelle est l’origine de ce sobriquet qu’on retrouve dans la correspondance de Gustave Flaubert et par lequel on essaya de ridiculiser l’empereur Napoléon III, l’impératrice Eugénie étant, elle, surnommée Badinguette ? C’est ce que nous allons essayer d’éclaircir...
 

Une légende assez généralement répandue, veut que Badinguet soit le nom de l’ouvrier maçon dont le prince Louis-Napoléon revêtit le costume lors de son évasion du fort de Ham (26 mai 1846). Il n’y a pas un mot de vrai dans cette histoire, ainsi que l’a démontré Hachet-Souplet dans un chapitre de son ouvrage intitulé Louis-Napoléon prisonnier au fort de Ham.

Caricature de Napoléon III, par James Tissot (1869)

Caricature de Napoléon III, par James Tissot (1869)

Dans les documents officiels relatifs à cette affaire et au procès qui s’en est suivi, on ne trouve effectivement aucune trace du soi-disant maçon Badinguet. On rencontre ce nom pour la première fois dans une caricature de Gavarni publiée par le Charivari, le 29 janvier 1840 (série des Étudiants de Paris). On y voit un étudiant qui abuse de la candeur d’une grisette en lui montrant un squelette accroché au mur et lui disant : « Tu ne la reconnais donc pas, Eugénie, l’ancienne à Badinguet ? Une belle blonde... qui aimait tant les meringues et qui faisait tant sa tête... Oui, Badinguet l’a fait monter pour 36 francs. »

D’après les frères Goncourt (Gavarni, l’Homme et l’OEuvre, 1873), Gavarni aurait forgé ce nom d’après celui d’un ami habitant les Landes, nommé Badingo. S’il est facile de faire justice de la légende de l’ouvrier maçon, il l’est beaucoup moins de comprendre par suite de quelles circonstances le nom de Badinguet, emprunté au dessin de Gavarni, est devenu le sobriquet populaire de l’empereur.

On a parlé vaguement d’un sculpteur en têtes de pipes qui aurait signé ses œuvres du nom de Badinguet. Ces pipes auraient rappelé la figure du prince-prétendant. C’est un fait qu’il s’agirait d’établir. Dans un vaudeville de Dumanoir et Brisebarre, représenté au Palais-Royal le 15 février 1841 : Madame Camus et sa demoiselle, il y a bien un personnage du nom de Badinguet, mais on ne peut trouver dans ce rôle aucune allusion applicable au prince Louis.

L’origine qui semble la plus naturelle nous est fournie par A. Morel dans son livre sur Napoléon III, sa vie, ses œuvres et ses opinions, publié en 1870. Le prisonnier avait obtenu, par une faveur exceptionnelle, la permission de se livrer à l’équitation dans la cour du château de Ham. Les soldats s’amusaient de ce spectacle, et l’auteur suppose qu’ils ne se privaient pas de laisser échapper quelques lazzis à son adresse.

« Il paraît, dit-il (p. 246), qu’ils lui donnaient entre eux le nom de Badinguet : or ce mot, en picard et en wallon, signifie quelque chose d’intermédiaire entre étourdi et badaud. Louis-Napoléon montra de l’humeur, se piqua, se plaignit, renonça enfin au cheval. »

Malheureusement, il est fort douteux que cette étymologie de Badinguet soit exacte. Il n’en est fait aucune mention ni dans le Dictionnaire étymologique de la langue wallonne, de Grandgagnage (1845), ni dans le Glossaire du patois picard, de l’abbé Corblet (1851).

Mais voici un petit fait, passé inaperçu, qui pourrait bien jeter quelque lumière sur le problème que nous cherchons à pénétrer. Dans une Lettre de Ham, publiée par la Revue de l’Empire en 1844, nous relevons le passage suivant (p. 257), au milieu d’une description du cabinet occupé par Louis-Napoléon : « Un paravent, couvert de lithographies du Charivari, forme une espèce d’hémicycle autour de la table. (...) Ici l’étude donne la main à la science comme l’esprit se récrée par les excentriques bouffonneries du crayon de Grandville et de Gavarni. »

Rappelons que le prince Louis, après sa tentative de Boulogne (6 août 1840), fut condamné à l’emprisonnement perpétuel, et interné, le 7 octobre suivant, dans la citadelle de Ham. N’est-on pas tout naturellement conduit à penser que le dessin de Gavarni, de publication récente, figurait sur le paravent, et que les gardiens du prince se sont amusés à lui appliquer un sobriquet qu’ils avaient chaque jour devant les yeux ? Ce ne peut être là une certitude, bien entendu, mais c’est assurément une hypothèse des plus acceptables.

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