LA FRANCE PITTORESQUE
10 juin 1793 : naissance du
Muséum d’histoire naturelle (Paris)
(D’après « Éphémérides universelles, ou Tableau religieux, politique,
littéraire, scientifique et anecdotique, etc. » (Tome 6), édition de 1834)
Publié le vendredi 10 juin 2022, par Redaction
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C’est par la comparaison seule des objets qu’on apprend à les connaître, et pour les comparer exactement, il faut les voir ensemble. Nul autre moyen ne peut suppléer à celui-là pour dissiper les doutes et rectifier les erreurs qui naissent d’une observation trop souvent incomplète de la nature. Aussi le défaut de cabinets a-t-il été mis avec raison parmi les causes qui ont le plus entravé la marche de l’histoire naturelle chez les anciens, et la fondation de ces établissements parmi celles qui ont contribué de la manière la plus efficace aux progrès de la science dans les temps modernes.

Les botanistes furent les premiers à en sentir le besoin. La science des végétaux n’avait pas été aussi avancée que la zoologie par les anciens. En effet, l’histoire des animaux d’Aristote est un véritable chef-d’œuvre ; mais celle des plantes par Théophraste, quoique bonne, n’a pas à beaucoup près le même mérite. La botanique d’ailleurs ne fut jamais traitée dans l’antiquité que sous le rapport médical ; depuis Pline jusqu’à la fin du Moyen Age, elle n’eut pas d’autre objet. On s’inquiétait même peu de constater les espèces dont on parlait, et de les rendre reconnaissables par des descriptions soignées.

Logo du Muséum, datant de la Révolution

Logo du Muséum, datant de la Révolution

Aussi, à la renaissance des lettres, les botanistes, trouvant peu de ressource dans l’étude des anciens, furent obligés de recourir, plus tôt que les zoologistes, au véritable et unique moyen de perfectionner la science, c’est-à-dire à l’observation directe de la nature. Cette observation leur présentait d’ailleurs moins d’embarras, parce qu’il est infiniment plus facile de recueillir des plantes dans un jardin, que des animaux dans des ménageries ou dans des cabinets. C’est donc par des jardins de botanique que commencèrent en Europe les collections des produits de la nature, et telle fut aussi l’origine de celle que la France est si fière aujourd’hui de posséder.

En 1626, à la sollicitation d’Hérouard, Louis XIII autorisa, par lettres patentes, la fondation à Paris d’un jardin de botanique, dont il donna la surintendance au premier médecin de la cour et à ses successeurs, avec pouvoir de nommer un intendant. La mort d’Hérouard et d’autres circonstances empêchèrent l’exécution de ces lettres.

L’origine de l’établissement date donc réellement de l’année 1635, époque où fut rendu à cet effet un édit qui instituait Bouvard surintendant et Guy de la Brosse intendant, laissant à la nomination du premier trois places de professeurs, pour faire la démonstration de l’intérieur des plantes et de tous les médicaments, et pour travailler à la composition de toutes sortes de drogues, par voie simple et chimique, attendu qu’on n’enseignait point les opérations de pharmacie dans les écoles de médecine. Le parlement enregistra cet édit le 15 mai, malgré l’opposition de la Faculté, qui demandait qu’on lui remît le choix des professeurs, et surtout que la chimie ne fût point enseignée. Tels furent les humbles commencements d’une institution qui devait tant grandir un jour, et prendre de si vastes développements.

Le nouvel établissement fut ouvert en 1640, sous le nom de Jardin royal des herbes médicinales. Guy de la Brosse, qu’on en peut considérer comme le véritable fondateur, le fit prospérer par un zèle et une activité infatigables. A sa mort, les querelles de Bouvard et de Vautier, qui le remplacèrent, firent tomber tout en décadence, abandonner la culture des plantes, et négliger les leçons. Vautier fut néanmoins utile en substituant un cours d’anatomie à celui qui avait pour destination de faire connaître les vertus médicinales attribuées aux végétaux.

Vallot, qui lui succéda en 1652, prit au jardin un véritable intérêt, stimulé sans doute par la célébrité que celui de Gaston d’Orléans, situé à Blois, avait acquise par les travaux de Morison. Sous son administration, à la mort du prince, un peintre fut attaché à l’établissement, pour ajouter chaque année un certain nombre de dessins à ceux que l’habile artiste Robert avait exécutés pour Gaston, et dont le roi avait fait l’acquisition. C’est ainsi que commença la magnifique collection de figures de plantes et d’animaux, qui, continuée depuis sans interruption, fait encore aujourd’hui un des plus beaux ornements du Muséum.

Vallot étant mort en 1671, Colbert retira la surintendance du Jardin au premier médecin de la cour, lui laissa seulement le titre d’intendant, régla les détails de l’administration, et donna aux professeurs, auparavant révocables au caprice du chef, des brevets qui rendaient leurs places fixes. Dès lors l’établissement commença à prendre quelque importance, et les goûts plus ou moins exclusifs des directeurs purent seuls entraver sa marche progressive. Ainsi, Daquin, successeur de Vallot, en 1672, ne favorisa que l’anatomie. Fagon, au contraire, qui le remplaça en 1683, et pour qui le titre de surintendant fut rétabli momentanément, à cause de la considération dont il jouissait, fit marcher d’un pas égal l’anatomie, la botanique et la chimie.

A sa mort, en 1718, une déclaration du roi détacha l’administration du Jardin de la place de premier médecin. Cependant Chirac fut nommé intendant. Cet homme impérieux ne prenait aucun intérêt aux sciences naturelles ; il détourna les fonds de l’établissement pour des destinations étrangères, et n’encouragea que l’enseignement de l’anatomie et de la chimie. Aussi une décadence générale s’ensuivit-elle, malgré le zèle des deux Jussieu, dont les soins accrurent beaucoup le droguier, qu’on commençait à appeler Cabinet d’histoire naturelle.

En 1732, à la mort de Chirac, l’administration du Jardin échappa pour toujours aux médecins du roi. Cisternay Dufay, qui en devint l’intendant, consacra sa vie entière à le relever et à le faire fleurir. Il répara les désordres introduits par ses prédécesseurs, et lorsqu’en 1739 il sentit les atteintes mortelles de la petite vérole, il demanda Buffon pour successeur.

La baleine dans l'ancienne galerie d'anatomie comparée du Muséum. Estampe de 1830

La baleine dans l’ancienne galerie d’anatomie comparée du Muséum. Estampe de 1830

Buffon n’était point encore connu comme naturaliste. Sa nomination le détermina à s’attacher d’une manière spéciale à l’histoire naturelle, et il mit sa gloire à rendre l’établissement qu’il dirigeait, et qui prit alors le nom de Jardin du Roi, digne en tout de la destination qui lui avait été donnée. « Ce grand homme, a dit Deleuze, en répandant universellement le goût de l’histoire naturelle par ses immortels écrits, voulut donner à ceux dont il avait enflammé le zèle la facilité d’étudier les objets qu’il avait si bien peints. Il conçut en même temps et le plan de son Histoire naturelle et celui de l’agrandissement, ou plutôt de la création du Muséum. Il médita ce plan pendant plusieurs années, parce qu’il voulait que les diverses parties formassent un ensemble, et que toutes fussent susceptibles de perfectionnements successifs.

« Ce ne fut qu’après s’être assuré les moyens de réaliser ses projets qu’il en commença l’exécution. Dès lors, aucun obstacle ne fut capable de l’arrêter, aucun travail ne put lasser sa patience. Son entreprise fut couronnée du succès le plus éclatant, et, sur la fin de sa vie, il eut lieu de s’applaudir des sacrifices qu’il avait faits. Le Jardin et le Cabinet du Roi furent avec raison cités comme son ouvrage, comme la plus belle institution » qu’on eût jamais formée pour le progrès des sciences, comme un point central où devaient se rendre, de diverses contrées, tous ceux qui se livrent à l’étude de la nature. »

En 1788 mourut Buffon, et le marquis de La Billarderie, qui lui succéda, ne prit pas moins à cœur la prospérité du Jardin du Roi. Il ne négligea rien pour favoriser l’enseignement et entretenir l’ordre qui existait. Mais son. peu de crédit ne lui permit pas d’exécuter tout ce qu’il aurait désiré de faire. L’embarras des finances obligea de réduire les dépenses, qu’il aurait fallu accroître pour maintenir le régime suivi au temps de Buffon ; et d’ailleurs l’établissement était devenu trop considérable, pour que ce régime même pût continuer à lui convenir.

Le marquis de La Billarderie ayant quitté la France en 1702, Bernardin de Saint-Pierre accepta la direction du Jardin du Roi. Cet écrivain distingué, qui possédait à un si haut degré le talent de peindre la nature et d’émouvoir le cœur, n’avait ni assez de notions exactes dans les sciences, ni assez d’énergie de caractère, ni assez de connaissance des hommes et des choses, pour être d’un grand secours à l’établissement dans des temps si difficiles et si orageux. C’est cependant à lui qu’on doit la création de la ménagerie.

Enfin parut, en 1793, la loi de la Convention nationale, qui supprima la place d’intendant, désigna l’établissement sous le nom de Muséum d’histoire naturelle, le consacra à l’enseignement de la science de la nature, dans toute son étendue, et créa douze professeurs, chargés chacun des détails de l’administration dans la partie qui leur était confiée. Cette nouvelle organisation, en détruisant le système antérieur de centralisation, qui avait plus nui que servi jusqu’alors, fut la cause des immenses et rapides progrès que l’établissement a faits depuis.

Aujourd’hui, la beauté du Jardin et la richesse des collections en font un monument magnifique, de même que l’étendue donnée à l’enseignement l’a vivifié et rendu d’une utilité générale. Si la France s’en glorifie à juste titre, les étrangers l’admirent sans jalousie ; car il est également avantageux aux hommes de toutes les nations, par les facilités qu’il offre aux savants et les ressources immenses qu’il procure à l’agriculture et à l’économie rurale.

« Une autre considération, dit Deleuze, ne sera pas sans intérêt aux yeux de ceux pour qui le spectacle de l’harmonie sociale et de la félicité domestique n’est pas moins touchant que » celui de la nature. Au milieu de l’agitation d’une grande ville, c’est vraiment une belle chose qu’un établissement où sont réunies cinquante familles vivant en paix, contentes de leur sort, attachées au lieu qu’elles habitent pour la vie, et s’enorgueillissant de sa prospérité, soumises volontairement à une hiérarchie, qui maintient l’ordre sans blesser l’amour propre, étrangères aux rivalités de professions comme aux dissensions politiques, et bénissant à la fois le gouvernement qui les protège et l’administration qui les régit.

« Les savants qui se livrent aux recherches les plus difficiles, aux théories les plus élevées, pour pénétrer les secrets de la nature, rapprochent d’eux les ouvriers, et ceux-ci, s’éclairant parle reflet des connaissances qui les environnent, jouissent des résultats des travaux qu’on leur fait exécuter. »

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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