LA FRANCE PITTORESQUE
29 mai 1692 : bataille de La Hougue
et défaite de la flotte de Louis XIV
au large du Cotentin
(D’après « Histoire générale des temps modernes,
depuis la prise de Constantinople par les Turcs jusqu’à la fin
de la guerre d’Amérique » (Tome 2) édition de 1845
et « Nouveau dictionnaire historique des sièges et batailles mémorables,
et des combats maritimes les plus fameux, de toutes les peuples
du monde, anciens et modernes, jusqu’à nos jours » (Tome 3) paru en 1809)
Publié le lundi 29 mai 2023, par Redaction
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Tandis que Louis XIV combattait sur terre contre presque toutes les puissances de l’Europe, il prêtait les plus énergiques secours au roi Jacques II d’Angleterre détrôné par son gendre ; mais la bataille de La Hougue fut le premier échec que reçut sur la mer la puissance du Roi-Soleil
 

La première expédition maritime de la France en faveur du roi catholique Jacques II fut dirigée sur l’Irlande. Dans cette île où les catholiques formaient le plus grand nombre, la seule ville de Londonderry s’était déclarée pour le nouveau roi, son gendre Guillaume III — époux de Marie d’Angleterre, la fille de Jacques —, régnant depuis le 13 février 1689. Jacques II, après avoir reçu les adieux de Louis XIV, qui lui donna sa cuirasse, et lui dit en l’embrassant : Ce que je peux vous souhaiter de mieux, est de ne jamais vous revoir, s’embarqua à Brest sur une escadre française qui le porta à Kinsale, où il fut reçu par le vice-roi qui lui était resté fidèle (17 mars 1689).

En peu de temps il fut reconnu par toute l’Irlande. Au lieu de passer sur-le-champ en Écosse, où les montagnards du nord s’étaient soulevés en sa faveur, il perdit un temps précieux au siége de Londonderry, dont il ne put s’emparer, malgré les renforts qui lui furent envoyés de France. Le 12 mai 1689, le comte de Château-Renaud lui amena sept mille hommes, après avoir battu, près de la baie de Bantry, l’amiral anglais Herbert qui s’opposait à son passage.

Anne Hilarion de Costentin, comte de Tourville. Gravure (colorisée) de Charles Langlois (1789–1870) d'après un dessin de Fritz Millet et extraite du Plutarque français (1845)

Anne Hilarion de Costentin, comte de Tourville. Gravure (colorisée) de
Charles Langlois (1789–1870) d’après un dessin de Fritz Millet et extraite du Plutarque français (1845)

Bientôt après, un troisième secours partit encore de Brest, de Toulon et de Rochefort. Enfin, le 10 juillet 1690, Tourville, vice-amiral de France, remporta, à la hauteur de Dieppe, une victoire signalée sur les flottes réunies de l’Angleterre et de la Hollande.

Les Français eurent véritablement alors l’empire des mers, et pendant deux années ou n’y vit plus que leurs pavillons. Mais les revers de Jacques en Irlande rendaient inutiles les victoires de ses alliés. Après avoir échoué en 1689 au siège de Londonderry contre une garnison faible et mal approvisionnée, il eut à combattre, en 1690, Guillaume lui-même qui était descendu en Irlande avec le vieux duc de Schomberg, banni de France par la révocation de l’édit de Nantes. Les deux armées se trouvèrent en présence, le 11 juillet, à Drogheda, sur la Boyne, au nord de Dublin.

Les généraux de Jacques II lui conseillaient d’éviter la bataille, et d’attendre l’effet des promesses de Louis XIV qui devait envoyer une escadre dans le canal Saint-Georges, pour intercepter les convois qui entretenaient l’armée de Guillaume, et la détruire par la disette. Jacques devait encore considérer que ses troupes, moins nombreuses que celles de son adversaire, étaient surtout, à l’exception des régiments français, moins disciplinées et moins aguerries. Cependant il engagea l’action ; elle fut sanglante ; le courage des Français, la mort du comte de Schomberg, le bruit qui se répandit de celle même de Guillaume, dont un coup de canon avait effleuré l’épaule, firent pencher un moment la balance en faveur de Jacques.

Mais la supériorité des troupes anglaises, et les habiles dispositions de Guillaume, assurèrent enfin à ce prince une victoire complète. Après ce revers, Jacques II d’Angleterre, désespérant de sa cause, s’embarqua à Waterford, et retourna en France. Ses partisans, malgré sa désertion, ne perdirent point courage. Ils occupaient encore plusieurs villes en Irlande, entre autres Limerick, qui, pourvue d’une garnison nombreuse, soutint avec succès un premier siége que Guillaume III fut obligé de lever le 10 septembre 1690.

L’année suivante, la bataille de Kilkonnell ou d’Aghrim (22 juillet 1691), gagnée par les Anglais, décida du sort de l’Irlande. Limerick se rendit alors. La capitulation permit à tous les Irlandais qui voulaient rester fidèles à l’ancien roi de passer en France. Près de quinze mille hommes s’embarquèrent sur les vaisseaux de Château-Renaud, qui les transportèrent à Brest.

La bataille de La Hougue. Estampe (colorisée) de James Charles Armytage (1820–1897) d'après un tableau de Benjamin West (1738–1829)

La bataille de La Hougue. Estampe (colorisée) de James Charles Armytage (1820–1897)
d’après un tableau de Benjamin West (1738–1829)

Cependant Louis XIV tenta encore de changer la fortune de Jacques par une entreprise décisive. Il s’agissait de faire, avec vingt mille hommes, une descente en Angleterre. Ces troupes étaient rassemblées entre Cherbourg et La Hougue. Le vice-amiral Tourville et le comte d’Estrées, avec soixante-dix-neuf vaisseaux de guerre, devaient protéger le transport. La partie de la flotte que commandait le comte d’Estrées avait été équipée au port de Toulon. On attendait, pour mettre à la voile, qu’elle eût joint Tourville sur les côtes de Bretagne.

Les vents contraires ayant empêché l’escadre de d’Estrées de sortir de la Méditerranée, Louis XIV, impatient d’exécuter une expédition dont il attendait de grands résultats, ordonna à Tourville d’aller chercher l’ennemi, et de lui livrer bataille, quelque part qu’il le rencontrât. L’amiral exécuta la volonté du roi. Il attaqua, avec quarante-quatre vaisseaux seulement, les flottes réunies d’Angleterre et de Hollande, fortes de quatre-vingt-dix-neuf vaisseaux de ligne montés d’environ sept mille canons et de plus de quarante mille hommes.

Il s’avança ayant l’avantage du vent ; l’action s’engagea à huit heures du matin. Une canonnade terrible se fit entendre. Chacun des vaisseaux français fut assailli par deux ou trois vaisseaux ennemis ; l’amiral Tourville eut affaire à l’amiral anglais et à ses deux matelots, portant chacun cent canons ; il les repoussa si vivement qu’ils arrivèrent deux fois.

Le combat se soutint d’abord avec un égal avantage, malgré la supériorité des Anglais. Mais enfin les ennemis arrivèrent sur la ligne française, la morcelèrent, et la flotte de Tourville se trouva rejetée sur la côte du Cotentin et séparée dans plusieurs anses où un combat terrible fut encore livré. Dans la nuit, le vent étant devenu favorable, Tourville, dont les vaisseaux tiraient trop d’eau pour entrer dans les ports de la Manche, fit signal de regagner Saint-Malo ; vingt-deux y parvinrent, trois demeurèrent à Cherbourg ; sept se réfugièrent à Brest ; douze autres, poursuivis par l’amiral anglais Russell, s’échouèrent dans la rade de La Hougue : les capitaines en retirèrent les canons, les munitions et les agrès, et firent mettre le feu à la coque pour ne pas les laisser brûler par les Anglais.

Ainsi, Tourville s’inclina en ayant vaillamment combattu en ce 29 mai 1692, ayant soutenu pendant tout un jour un combat acharné contre des forces plus que doubles, ainsi que la satisfaction de ne voir aucun de ses vaisseaux amener leur pavillon. Le roi Jacques, à ce spectacle, perdit toute espérance de remonter sur le trône. La gloire de Tourville, loin de souffrir d’un revers qu’on ne pouvait imputer qu’à ses instructions, en reçut un nouvel éclat ; l’amiral Russell lui écrivit pour le féliciter sur la singulière valeur qu’il avait montrée en livrant et en soutenant avec tant d’intrépidité un combat si inégal ; et Louis XIV, juste appréciateur du mérite, honora son amiral vaincu du bâton de maréchal de France. Tourville est-il sauvé ? avait-il demandé en apprenant la perte de la bataille : car, pour des vaisseaux, on en peut trouver ; mais un officier comme lui, on ne le trouverait pas aisément.

La bataille de La Hougue. Tapisserie de 1705 attribuée à Hieronymus Le Clerc (actif entre 1677 et 1717)

La bataille de La Hougue. Tapisserie de 1705
attribuée à Hieronymus Le Clerc (actif entre 1677 et 1717)

La défaite de La Hougue fut le premier revers qu’éprouva sur mer la puissance de Louis XlV. Mais quelques historiens ont beaucoup exagéré pour la marine française les suites de cette journée : car, dès l’année suivante, Tourville se trouva à la tête d’une flotte nouvelle de soixante et onze vaisseaux, et prit sa revanche (27 juin 1693) entre Lagos et Cadix, sur le vice-amiral Rook, qui perdit quatre vaisseaux de guerre, et un grand convois marchand qu’il escortait.

De braves chefs d’escadres, Jean Bart, Duguay-Trouin, Pointis et Nesmond, furent encore, par leur audace et leurs succès, la terreur des Hollandais et des Anglais sur toutes les mers, depuis la bataille de La Hougue ; et l’on compta que, dans le cours de la guerre, 4200 bâtimens marchands, évalués à trente millions de sterlings, furent enlevés à l’Angleterre. Les alliés n’opposèrent aux heureux exploits de nos marins que quelques bombardements et quelques ravages sur les côtes de France. Saint-Malo (1693), Dunkerque, Brest, Le Havre, Dieppe (1694), Calais (1696), furent successivement attaqués. Le dommage ne fut considérable qu’à Dieppe, qui, n’étant alors bâtie qu’en bois, fut incendiée. La machine infernale qui devait réduire en cendres Saint-Malo, manqua son but, et le mal qu’elle fit ne fut point proportionné aux sommes immenses qu’elle avait coûtées à l’Angleterre.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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