LA FRANCE PITTORESQUE
24 mai 1816 : mort de l’acteur
et dramaturge Grandmesnil
(Jean-Baptiste Fauchard dit)
(D’après « Éphémérides universelles, ou Tableau religieux, politique,
littéraire, scientifique et anecdotique, présentant, pour chaque jour
de l’année, un extrait des annales de toutes les nations
et de tous les règnes, depuis les temps historiques
jusqu’à nos jours » (Tome 5) édition de 1834
et « Dictionnaire encyclopédique de la France »
(par Philippe Le Bas) Tome 9 paru en 1843)
Publié le lundi 24 mai 2021, par Redaction
Imprimer cet article
Fils du célèbre premier chirurgien-dentiste en France Pierre Fauchard — qui avait acquis en 1734 le château de Grand-Mesnil à Bures-sur-Yvette en région parisienne — et d’une soeur de l’acteur Duchemin père, Jean-Baptiste Fauchard reçoit une éducation distinguée et vient tardivement au théâtre, après une carrière estimable d’avocat, profession qui ne lui plaisait cependant que médiocrement et qu’il délaisse en 1771 après s’être prononcé contre le parlement Maupeou
 

Né à Paris le 19 mars 1737, Grandmesnil fut d’abord avocat au parlement de Paris, où il plaida quelques causes remarquables, et notamment celle de Ramponneau contre un cabaretier de la Courtille, dont Voltaire ne dédaigne pas d’entretenir ses lecteurs. Ensuite il fut pourvu du titre de conseiller de l’amirauté. S’étant prononcé vivement contre le parlement Maupeou, et, à cette même époque, ayant eu quelques discussions avec sa famille, il quitta brusquement la France.

Parent assez proche du comédien Duchemin, il aimait le théâtre depuis l’enfance, et alla y monter à Bruxelles, avant de s’engager successivement sur les théâtres de Flandre, de Bordeaux et de Marseille. La réputation de bon acteur qu’il s’était faite en province fut portée jusqu’à Paris. Il se présenta, en 1789, aux sociétaires de la Comédie-Française, qui l’accueillirent favorablement, et débuta, en 1790, par le rôle d’Arnolfe dans l’École des femmes.

Jean-Baptiste Fauchard dit Grandmesnil, dans le personnage d'Harpagon

Jean-Baptiste Fauchard dit Grandmesnil,
dans le personnage d’Harpagon

Il plut à tout le monde par la finesse de son jeu et l’intelligence pleine de goût et de profondeur avec laquelle il rendait les conceptions de Molière. Il possédait une chaleur communicative et un regard très vif. Les rôles où il excellait et qu’il remplissait le plus ordinairement, étaient ceux qu’on appelle rôles à manteaux. Ainsi, il était parfait dans Harpagon de l’Avare — avec sa haute taille, sa maigreur et son sens des mimiques —, dans Orgon du Tartufe et Chrysale des Femmes savantes.

Grandmesnil fut nommé sociétaire de la Comédie-Française en février 1792, celle-ci étant fermée le 3 septembre 1793 par ordre du Comité de salut public. Lors de l’établissement du nouveau Théâtre-Français le 31 mai 1799, il prit également place parmi les sociétaires, et se retira le 1er avril 1811 avec une assez belle fortune. Dans les dernières années de son service, il était devenu faible de corps, d’une excessive maigreur, et ses moyens physiques le trahissant, il y suppléait par des cris aigres et beaucoup de gestes.

Il fut de ce petit nombre d’acteurs qui entretinrent des relations avec la bonne société, et qui durent un accueil favorable dans le monde à leur bonne réputation et à la distinction de leur esprit et de leurs manières. On prétend qu’il était avare ; plusieurs personnes dignes de foi assurent que c’est une calomnie. Peut-être la petite anecdote suivante a-t-elle donné faussement lieu à cette allégation. Baptiste Cadet, excellent comédien, faisait rire aux larmes dans l’usurier des Etourdis, en épargnant une prise de tabac. Voici, disait-il, ce qui lui avait donné l’idée de mettre ce lazzi plaisant dans la délicieuse comédie de M. Andrieux :

Grandmesnil dans le rôle d'Harpagon en 1790

Grandmesnil dans le rôle d’Harpagon en 1790

Grandmesnil s’était procuré d’un très bon tabac, mis en provision par un illustre personnage. Harpagon n’était pas généreux comme Sganarelle du Festin de Pierre, qui présentait sa tabatière à droite, à gauche, en avant, en arrière ; et pour ménager son divin tabac, il n’ouvrait jamais devant personne la boîte d’or qui le renfermait. Mais Grandmesnil portait une seconde tabatière en carton remplie de tabac commun, et il permettait que :

« Gens de tonte façon, connus on non connus,
« Pour y prendre leur part fussent les bienvenus. »

Un jour d’assemblée des comédiens, Grandmesnil, discutant vivement, se trompa de poche, ouvrit par mégarde sa boîte d’or, et tenait déjà une pincée de sa poudre favorite, lorsque Baptiste Cadet plongea vite ses énormes doigts dans le magasin précieux et y laissa un vide considérable. Grandmesnil s’arrête tout court dans sa discussion, lance un regard sévère à Baptiste, marmotte entre ses dents : A-t-on jamais vu prendre du tabac d’une manière aussi sotte ? Et, se privant de la prise qu’il tenait encore lui-même, il la remit dans sa boîte pour combler le déficit.

Ayant de l’esprit, du savoir-vivre et de l’instruction, Grandmesnil fut nommé, après sa retraite et sous l’Empire, membre de la quatrième classe de l’Institut, professeur de déclamation au Conservatoire et, par ordonnance royale de Louis XVIII, fut admis à l’Académie des beaux-arts, faveur dont il ne put jouir que pendant quelques semaines puisqu’il mourut d’une fièvre nerveuse le 24 mai de cette même année. On pense que sa dernière heure fut hâtée par le saisissement de colère et de douleur qu’il éprouva en voyant son département et sa terre de Grandmesnil envahis par les troupes alliées.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE