LA FRANCE PITTORESQUE
16 mai 1703 : mort de Charles Perrault
(D’après « Biographie universelle, ancienne
et moderne » (tome 32), édition de 1842)
Publié le mardi 16 mai 2023, par Redaction
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S’il est désormais connu pour les contes qu’il rédigea dans les dix dernières années de sa vie, il faut savoir que Charles Perrault contribua à la fondation de plusieurs académies, et fut le chef de file d’une querelle littéraire opposant auteurs « Classiques » et « Modernes »
 

Charles Perrault naquit à Paris le 12 janvier 1628. Sur les bancs du collège de Beauvais — collège de l’ancienne université de Paris —, il suivit des études littéraires : il était puissant dans la dispute, et le souvenir de ses succès d’argumentation scolastique fut peut-être ce qui l’excita le plus dans la suite à soutenir une thèse contre les anciens. Il faisait aussi des vers avec cette extrême facilité, indice trompeur d’un talent qui ne mûrit presque jamais.

A peine sorti de l’école, il trouva le burlesque à la mode. Un ami lui suggéra l’idée de traduire le sixième livre de l’Enéide à la manière de Scarron. Deux de ses frères, le médecin et le docteur de Sorbonne, voulurent s’associer à ce jeu d’esprit : ce fut le dernier qui fournit les trois vers suivants, cités par Voltaire et Marmontel comme des meilleurs du Virgile travesti, où plus d’un lecteur désappointé les a cherchés en vain :

J’aperçus l’ombre d’un cocher,
Qui, tenant l’ombre d’une brosse,
Nettoyait l’ombre d’un carrosse.

Ce sixième livre de l’Enéide, demeuré inédit, fut suivi des Murs de Troie, ou de l’Origine du burlesque, dont le premier chant, composé en commun par les trois frères, a été imprimé (1653), et dont le second, tout entier de Claude Perrault — médecin et architecte, frère de Charles —, existe manuscrit dans la bibliothèque de l’Arsenal. Apollon y est représenté comme l’inventeur du burlesque, à l’époque où bâtissant l’enceinte de Troie avec Neptune, il se trouvait dans la mauvaise compagnie des maçons et d’une tourbe d’autres ouvriers.

Charles Perrault songea enfin à suivre la profession de son père, à laquelle s’était déjà voué, mais sans succès, Pierre son frère aîné : sans autre préparation qu’une étude précipitée des Institutes, il fut admis à la licence et débuta par deux causes qui lui firent beaucoup d’honneur. Les espérances qu’autorisaient ces heureux essais furent moins puissantes sur lui que l’exemple de ce frère aîné, négligé dans son état, quoiqu’il ne manquât ni de talent, ni de connaissances. Il renonça donc volontiers à sa robe d’avocat pour les fonctions de commis de son frère Pierre, qui venait d’acheter la charge de receveur général des finances de Paris.

Charles Perrault

Charles Perrault

Ses loisirs le rendirent à la poésie ; son portrait d’Iris courut le monde, fut applaudi par le public et tourné en ridicule par Boileau ; son Dialogue de l’amour et de l’amitié plut tellement à Fouquet, que ce surintendant le fit écrire sur du vélin, orné de dorures et de peintures. Deux Odes, l’une sur la paix des Pyrénées, l’autre sur le mariage du roi, augmentèrent sa réputation.

En 1664, Colbert jeta les yeux sur lui pour la place de premier commis de la surintendance des bâtiments du roi. Charles Perrault usa noblement de la confiance du ministre et se regarda comme le représentant des gens de lettres et des artistes auprès du pouvoir. Colbert le désigna pour former avec le poète Jean Chapelain (1595-1674), le moraliste et homme d’Église Jacques Cassagne (1633-1679), et l’abbé Amable de Bourzeis (1606-1672), un comité de devises et de médailles, qui fut le berceau de l’académie des inscriptions et belles-lettres.

Les quatre écrivains étaient en outre chargés de rassembler des matériaux pour l’histoire du roi : et quelle histoire que celle où l’affaire de Fouquet aurait été écrite sous la dictée de Colbert et où l’on aurait lu cette singulière allocution de Louis XIV à quelques-uns de ses courtisans : « Je suis jeune, et les femmes ont ordinairement bien du pouvoir sur ceux de mon âge. Je vous ordonne à tous, que, si vous remarquez qu’une femme, quelle qu’elle puisse être, prenne empire sur moi, vous ayez à m’en avertir : je ne demande que vingt-quatre heures pour m’en débarrasser et vous donnerai contentement là-dessus ! »

L’académie de peinture, de sculpture et d’architecture et celle des sciences furent fondées d’après les mémoires dressés par Charles Perrault, devenu contrôleur général des bâtiments. Il sut adroitement faire valoir les talents de son frère le médecin, aux dessins duquel il assura la préférence sur tous ceux qu’avaient présentés les hommes de l’art. Lui-même il jugeait les productions de cette nature avec une justesse d’instinct qu’il ne retrouva pas quand il fut question d’apprécier des œuvres littéraires.

L’Académie française l’admit parmi ses membres le 22 novembre 1671, à la place de Jean de Montigny, évêque de Léon, et comme il passait pour avoir la pensée du ministre, cette compagnie accéda docilement à deux changements avantageux qu’il avait proposés, et qui, provoqués par tout autre que lui, eussent peut-être été repoussés par la force de l’usage, bien que cet usage ne fût pas encore ancien. L’Académie reçut donc un nouveau lustre par la publicité de quelques-unes de ses séances et par le mode du scrutin observé dans l’élection de ses membres : elle fut encore redevable à Perrault de son établissement au Louvre et des jetons qui lui furent assignés à titre de droits de présence.

Versificateur faible, mais varié dans ses sujets, Perrault se mêla souvent aux lectures que les académiciens faisaient de leurs ouvrages. Ne pouvant plus supporter le caractère difficile et chagrin de Colbert, las d’ailleurs d’un travail qui devenait trop pénible, il se retira de l’administration et put disposer de tous ses moments pour la littérature. Son poème du Siècle de Louis XIV, où perçait encore plus le désir de rabaisser l’antiquité que le besoin d’exalter l’époque contemporaine, ouvrit en 1687 une mémorable querelle. Racine, qui n’avait vu dans cette pièce que l’exagération d’un poète courtisan, complimenta l’auteur sur son paradoxe ingénieux, et ajouta que personne n’était dupe de ce jeu d’esprit. Perrault, piqué de cette supposition, écrivit pour ne laisser aucun doute sur ses opinions réelles.

Le Parallèle des anciens et des modernes (1688-96, 4 volumes in-12) apparut, au grand scandale de la plupart de ceux qui cultivaient les lettres. Ce livre, dont Bayle faisait beaucoup de cas, fut peu lu et par conséquent mal compris ; le style en était commun et la forme du dialogue ne sauvait pas de l’ennui. Le Président, l’Abbé, le Chevalier, voilà les trois interlocuteurs : le premier, défenseur des anciens, est un homme inepte qui n’a pas de réponse aux difficultés les plus simples ; dans le deuxième personnage, on reconnaît l’auteur lui-même ; quant au chevalier, c’est un bouffon qui abonde dans le sens de l’abbé et n’ouvre la bouche que pour faire ressortir la supériorité de raison de celui-ci.

On remarque dans ces dialogues des choses sensées en ce qui concerne les sciences et les arts ; mais il n’est pas besoin d’être enthousiaste de l’antiquité pour trouver étranges les critiques hasardées sur ses premiers écrivains. Perrault se montre presque toujours superficiel et préoccupé ; il parle un moment du merveilleux des croyances modernes : on croit qu’il va tracer une théorie qui sort naturellement de son sujet ; mais il s’arrête et laisse au siècle suivant les débats qui s’agitent encore sous les noms de doctrine classique et de doctrine romantique. Dans cette question, oiseuse au fond, de la supériorité des modernes sur les anciens, Perrault avait le désavantage de compter parmi ses adversaires les écrivains qui soutenaient le mieux la comparaison avec ceux de l’antiquité.

La Fontaine s’émut lui-même et déclara ses sentiments dans une épître en vers. Huet, dans une lettre, releva une partie des blasphèmes énoncés dans le Parallèle. Boileau, dont madame de Sévigné disait « qu’il n’était cruel qu’en vers », dirigea contre le même livre son Discours sur l’Ode et ses Réflexions sur Longin, où le détracteur des anciens est traité avec violence. Perrault répondit avec plus de politesse au Discours et à la huitième Réflexion : ces deux pièces ont été insérées dans l’édition de Boileau par Saint-Marc. Perrault soutenait à lui seul tout le poids de la dispute qu’il avait entamée et à laquelle se mêlèrent aussi des étrangers (Francius et Kortholt) : des grandes réputations littéraires, il n’avait rallié à son opinion que Fontenelle, et, si l’on veut, Saint-Evremond.

Nous rappelons en passant que c’est bien à Fontenelle et non à Perrault que se rapporte dans La Bruyère ce caractère de Cydias, « qui s’égale à Lucien et à Sénèque le tragique, se met au-dessus de Virgile et de Théocrite... uni de goût et d’intérêt avec les contempteurs d’Homère ». Boileau, emporté par son caractère irritable, avait souvent feint de ne pas saisir et même altéré quelquefois les expressions de son contradicteur : Perrault, à son tour, sortit un peu de sa modération ordinaire dans la préface d’une Apologie des femmes qu’il opposait à la dixième satire de Boileau. Le docteur Arnauld, leur ami commun, écrivit à Perrault une lettre où il défendait contre tous reproches le satirique inculpé. Cette lettre affecta Boileau si agréablement, qu’il devint facile de jeter des paroles de paix entre les deux adversaires.

La réconciliation s’opéra au mois d’août 1694, au moyen de l’entremise du médecin Dodart ; elle fut scellée par l’échange que les deux auteurs firent de leurs ouvrages. Lorsqu’à ce sujet Boileau disait : « Nous agissons comme les héros d’Homère, qui terminaient leurs combats en se comblant de présents », on peut croire qu’il voulait faire une maligne allusion aux armes de Diomède et de Glaucus. Quoi qu’il en soit, dans une lettre où il résume la dispute terminée, il mentionne avec estime plusieurs productions poétiques de Perrault, comme son poème sur la peinture, son épître à La Quintinie. Il eut la générosité de ne point parler du poème de Saint-Paulin, sur lequel il avait multiplié les sarcasmes.

Perrault réussissait dans les détails descriptifs ; mais il composait avec une malheureuse négligence et même il n’avait pas le sentiment de la poésie. Ses contes en vers de Griselidis, de Peau d’âne et des Souhaits ridicules, sont prolixement narrés. Perrault, retiré dans la rue du Faubourg-Saint-Jacques et occupé de l’éducation de ses deux fils, résista sans peine aux propositions de Colbert qui voulait le ramener auprès de lui. Begon, un parent de ce ministre et intendant des galères de Marseille, ayant rassemblé les portraits de cent deux personnages célèbres du XVIIe siècle, désira les faire graver et pria Perrault de rédiger les notices qui devaient accompagner chaque portrait. Celui-ci accepta volontiers une tâche qui tenait de près à la discussion qu’il avait soutenue, et il fit paraître les Eloges des hommes illustres du XVIIe siècle (1696-1701, 2 volumes).

L’auteur a réduit tous ses articles à la mesure uniforme d’une feuille et s’est borné à l’exposition la plus simple des faits. Cet ouvrage est recommandable par une grande impartialité et par les recherches les plus exactes. On a peine à concevoir aujourd’hui que l’auteur se crût obligé de s’excuser dans un discours préliminaire d’avoir mêlé à des princes et à des cardinaux les artistes qui s’étaient placés au premier rang. Les jésuites, à leur tour, virent de mauvais œil qu’Arnauld et Pascal eussent place dans ce recueil, et ils obtinrent du censeur qu’il exigeât la suppression des deux noms qui les importunaient : elle eut lieu dans la plupart des exemplaires de la première édition. Dans la deuxième édition, les articles Thomassin et Ducange, substitués d’abord à Pascal et Arnauld, furent retranchés.

En 1697, notre académicien publia, sous le nom de Perrault d’Armancourt, son fils encore enfant, des Contes des fées, dédiés à Mademoiselle (nièce de Louis XIV) : rien n’est plus connu que ces récits naïfs qui amusèrent notre bas âge et dont nos théâtres ont fait souvent leur profit. Perrault mourut à Paris le 16 mai 1703.

Pour en savoir plus :
Retrouvez l’émission Au cœur de l’Histoire du 20 mars 2018, par Franck Ferrand
https://youtu.be/iWjkYwigNdI

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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