LA FRANCE PITTORESQUE
9 mai 1766 : supplice du comte
Thomas-Arthur de de Lally
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Publié le mercredi 8 mai 2013, par Redaction
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Né le 13 janvier 1702 à Romans-sur-Isère, de Girard de Lally, capitaine, sergent-major du régiment irlandais de Dillon au service du roi de France, et de Anne Marie de Bressac, Thomas Arthur de Lally est fait aide-major de ce même régiment en 1732, qui se couvre de gloire le 11 mai 1745, à la bataille de Fontenoy, dans les Pays-Bas autrichiens (actuelle Belgique actuelle) pendant la guerre de Succession d’Autriche.

Thomas-Arthur de Lally lors du siège de Pondichéry

Thomas-Arthur de Lally lors du siège de Pondichéry

La puissance anglaise en Inde, tenue en échec jusqu’en 1754, se développant rapidement et menaçant de ruiner celle de la France, Lally est nommé commissaire du roi, syndic de la compagnie des Indes et commandant général de tous les établissements français aux Indes orientales et désigné pour commander la Marine royale. Sa flotte quitte la France le 2 mai 1757 et arrive en vue de Pondichéry près d’un an plus tard, le 29 avril 1758.

Cette expédition est un échec : Lally capitule le 15 janvier 1761 après s’être défendu avec 1200 hommes contre 15 000 Anglais et Indiens. Il est conduit en Angleterre et, ayant obtenu, pour son malheur, la permission de repasser en France sur sa parole, il se présente à Fontainebleau, et offre de se rendre à la Bastille. Il écrit au duc de Choiseul : « J’apporte ici ma tête et mon innocence ; j’attends vos ordres. » Le duc de Choiseul, ministre de la guerre et des affaires étrangères, était généreux à l’excès, bienfaisant et juste ; la hauteur de son âme était égale à la grandeur de ses vues ; mais il fut obligé de céder aux clameurs de Paris.

Le comte de Lally, né avec un caractère violent, s’était fait un grand nombre d’ennemis par ses fougues indiscrètes, et surtout pour s’être élevé avec force contre les dilapidations énormes dont il avait été témoin dans les colonies. Le conseil entier de Pondichéry, une foule d’employés restés sans ressources, les directeurs de la compagnie des Indes qui voyaient leur grand établissement anéanti, les actionnaires tremblants pour leur fortune, des officiers irrités, tous se déchaînaient avec d’autant plus d’animosité contre Lally, qu’ils croyaient qu’en rendant Pondichéry, il avait gagné des millions.

L’accusé fut d’abord traduit au Châtelet, et ensuite au parlement. De trahison, il n’y en avait pas, puisque, s’il eût été d’intelligence avec les Anglais, s’il leur eût vendu Pondichéry, il serait resté parmi eux. Les Anglais, d’ailleurs, n’avaient garde d’acheter une place affamée qu’ils étaient sûrs de prendre, étant absolument maîtres de la terre et de la mer. De péculat, il n’y en avait pas davantage, puisqu’il ne fut jamais chargé ni de l’argent du roi, ni de celui de la compagnie ; mais des procédés durs et violents, des abus d’autorité, les juges en trouvèrent beaucoup dans les dépositions unanimes de ses ennemis.

Comme le procureur-général avait inséré dans sa plainte les termes de crime de haute trahison, de lèse-majesté, on refusa un conseil à l’accusé ; il n’eut pour défense d’autre secours que lui-même. Aussi emporté dans ses écrits qu’il l’avait été dans ses discours, il insulta tous ses nombreux adversaires dans ses mémoires : c’était se battre seul contre une armée ; il n’était guère possible que cette multitude ne l’accablât pas : tant les discours de toute une ville font impression sur les juges, lors même qu’ils croient être eu garde contre cette séduction ! Le malheureux comte de Lally, après cinquante ans de services, fut condamné à mort, à l’âge de soixante-huit ans.

Quand on lui prononça son arrêt, son indignation fut égale à sa surprise ; ayant, par hasard, à la main un compas qui lui avait servi à tracer des cartes géographiques dans sa prison, il s’en frappa vers le cœur ; le coup ne pénétra pas assez pour lui ôter la vie ; réservé à la perdre sur l’échafaud, on le traîna dans un tombereau de boue, ayant dans la bouche un large bâillon, qui débordant sur ses lèvres, et défigurant son visage, formait un spectacle affreux ; plusieurs de ses ennemis vinrent en jouir, et poussèrent l’atrocité jusqu’à l’insulter par des battements de mains.

« Le public craignait, écrit madame du Deffand à Horace Walpole, que Lally n’obtînt sa grâce, ou qu’on ne commuât sa peine : il voulait son supplice, et on a été content de tout ce qui l’a rendu plus ignominieux, du tombereau, des menottes, du bâillon. »

« Ah, madame, madame ! s’écrie Walpole, quelles horreurs me racontez-vous là. Qu’on ne dise jamais que les Anglais sont durs et féroces ! Véritablement ce sont les Français qui le sont. Oui, oui ! vous êtes des sauvages, des Iroquois, vous autres. On a bien massacré des gens chez nous ; mais a-t-on jamais vu battre des mains pendant qu’on mettait à mort un pauvre malheureux, un officier général, qui avait langui pendant deux ans en prison ; un homme enfin si sensible à l’honneur, qu’il n’avait pas voulu se sauver ; si touché de sa disgrâce, qu’il chercha à avaler les grilles de sa prison, plutôt que de se voir exposé à l’ignominie publique ; et c’est exactement cette honnête pudeur qui fait qu’on le traîne dans un tombereau, et qu’on lui met un bâillon à la bouche comme au dernier des scélérats. Mon Dieu, que je suis aise d’avoir quitté Paris avant cette horrible scène : je me serais fait déchirer, ou mettre à la Bastille ! »

Le comte de Lally laissa un fils, né d’un mariage secret : ce fils apprit en même temps sa naissance, la mort horrible de son père, et l’ordre qu’il lui donnait de venger sa mémoire ; forcé d’attendre sa majorité, tout ce temps fut employé à s’en rendre digne. L’arrêt fatal fut cassé en 1778, par le conseil d’Etat, qui chargea le parlement de Normandie de revoir le procès. Un neveu d’un employé de la compagnie des Indes (M. d’Eprémesnil) crut devoir au parlement de Paris, et à la mémoire de son oncle, qui lui avait prescrit le contraire, de se rendre partie dans un procès qui lui était étranger.

Le parlement de Rouen ayant admis son intervention, le conseil renvoya de nouveau le jugement au parlement de Bourgogne. Le célèbre comte de Lally-Tolendal défendit lui-même, dans tous les tribunaux, la cause de son père, avec une éloquence simple, noble et pathétique ; la piété filiale en a fait un jurisconsulte, et un des premiers orateurs de son siècle. Il a obtenu au tribunal de la France entière, la justice que lui avait refusée celui de Dijon.

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