LA FRANCE PITTORESQUE
5 mai 1788 : insurrection du parlement
de Paris contre l’autorité royale
et investissement du palais
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Publié le samedi 4 mai 2013, par Redaction
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L’avant-veille de ce jour fameux, le parlement de Paris ayant été instruit du grand coup que préparaient de Lamoignon, garde des Sceaux, et l’archevêque de Toulouse, principal ministre, avait pris l’arrêté suivant :

« La cour, toutes les chambres assemblées, les pairs y séant, avertie par la notoriété publique et par un concours de circonstances suffisamment connues, des coups qui menacent la nation, en frappant la magistrature ; considérant que les entreprises des ministres sur la magistrature, ont évidemment pour cause le parti qu’a pris la cour de résister à deux impôts désastreux, de se reconnaître incompétente en matière de subsides, de solliciter la convocation des Etats-généraux, et de réclamer la liberté individuelle des citoyens ; que les mêmes entreprises ne peuvent par conséquent avoir d’autre objet que de couvrir, s’il est possible, sans recourir aux Etats-généraux, les anciennes dissipations, par des moyens dont la cour ne serait pas le témoin sans en être l’obstacle, son devoir l’obligeant d’opposer, avec une confiance inébranlable, l’autorité des lois à la parole du roi, la foi publique et l’hypothèque assignée sur les impôts, à tous les plans qui pourraient compromettre les droits ou les engagements de la nation ;

 » Considérant enfin, que le système de la seule volonté, clairement exprimé dans les différentes réponses surprises au seigneur roi, annonce de la part des ministres, le funeste projet d’anéantir les principes de la monarchie, et ne laisse à la nation d’autre ressource qu’une déclaration précise par la cour des maximes qu’elle est chargée de maintenir, et des sentiments qu’elle ne cessera de professer, déclare :

« Que la France est une monarchie gouvernée par le roi, suivant les lois ;

« Que de ces lois, plusieurs qui sont fondamentales, embrassent et concernent le droit de la maison régnante au trône, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, à l’exclusion des filles et de leurs descendants ; le droit de la nation d’accorder librement des subsides par l’organe des Etats-généraux, régulièrement convoqués et composés ; les coutumes et les capitulations des provinces ; l’inamovibilité des magistrats ; le droit des cours de vérifier dans chaque province les volontés du roi, et de n’en ordonner l’enregistrement, qu’autant qu’elles sont conformes aux lois constitutives de la province, ainsi qu’aux lois fondamentales de l’Etat ; le droit de chaque citoyen de n’être jamais traduit en aucune manière par devant d’autres que ses juges naturels, qui sont ceux que la loi lui désigne, et le droit, sans lequel tous les autres sont inutiles, celui de n’être arrêté par quelque ordre que ce soit, que pour être remis sans délai entre les mains des juges compétents : proteste, ladite cour, contre toute atteinte qui serait portée aux principes ci-dessus exprimés, etc. ; et dans le cas où la force, en dispersant la cour, la réduirait à l’impuissance de maintenir, par elle-même, les principes contenus au présent arrêté, ladite cour déclare qu’elle en remet, dès à présent, le dépôt »nviolable entre les mains du roi, de son auguste famille, des pairs du royaume, des Etats-généraux, et de chacun des ordres réunis ou séparés qui forment la nation.

« Ordonne en outre ladite cour, que le présent arrêté sera, par le procureur-général du roi, envoyé aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être lu, publié et enregistré. »

Le lendemain, cet arrêté fut cassé par le conseil d’Etat ; et il fut expédié deux lettres de cachet, l’une contre Duval-d’Esprémesnil — ce dernier s’était procuré, à force d’argent, une épreuve des édits qui étaient sous presse à l’imprimerie royale, et qui devaient être subitement présentés le même jour à tous les parlements du royaume, pour éviter leur coalition —, l’autre contre Goislard de Montsabert ; mais comme tous les deux en avaient été prévenus, ils se sauvèrent au palais, comme dans un asile inviolable et sacré.

Le parlement s’assemble (le 5 mai), et après avoir mandé tous les pairs, « il déclare qu’il a mis et met Duval et Goislard, et tous autres magistrats sous la sauvegarde du roi et de la loi, et arrête que M. le premier président, deux de MM. les présidents et quatre de MM. les conseillers, se transporteront sur-le-champ à Versailles, à l’effet de représenter au roi l’excès des malheurs qui menacent la nation, et le supplier d’écouter, dans sa sagesse, d’autres conseils que ceux qui sont prêts d’entraîner l’autorité légitime et la liberté publique dans un abîme dont il deviendrait peut-être impossible au zèle des magistrats de les tirer. »

Le parlement resta toujours assemblé en attendant le retour de la députation. Il y avait alors dans l’assemblée un grand nombre de ducs et pairs, soit laïques, soit ecclésiastiques ; parmi ces derniers, on distinguait l’archevêque de Reims, l’évêque de Chalons et l’archevêque de Paris ; dans la soirée, la grand’chambre et le parquet furent remplis par les personnes les plus distinguées de la capitale, la grand’salle et les corridors par la foule des curieux.

Pendant qu’on attendait avec impatience la députation envoyée à Versailles, tout-à-coup arrivent les gardes-françaises, ayant les sapeurs à leur tête ; ils étaient suivis des gardes-suisses : le palais est investi, les portes de la grand’chambre et jusqu’aux moindres issues, tout est gardé par des factionnaires, la baïonnette au bout du fusil, et il ne fut plus permis à personne de sortir du palais ; quelques femmes obtinrent avec grande peine, leur liberté, par l’entremise des officiers de leur connaissance.

D’Agout, capitaine aux gardes-françaises, se présenta à la porte de la grand’chambre, qui lui fut ouverte, après qu’il eut menacé de faire agir les sapeurs ; il lut un ordre du roi, adressé au maréchal de Biron, pour demander Duval et Goislard : le cri général de l’assemblée fut « qu’ils étaient tous Duval et Goislard, et que la force seule pourrait les arracher du sein de la cour. » D’Agout dit qu’il allait prendre de nouvelles instructions.

Sur les trois heures après minuit arriva la députation de Versailles, qui n’apportait rien de satisfaisant. Le roi avait refusé de la recevoir. Le maréchal de Biron ne voulant pas prendre sur lui d’enlever à force ouverte les deux magistrats, avait dépêché un nouveau courrier à Versailles, pour demander les derniers ordres du roi ; ils arrivèrent à onze heures du matin, et d’Agout étant rentré dans la grand’chambre, il fallut qu’à la fin d’Esprémesnil et Goislard se remissent entre ses mains.

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