LA FRANCE PITTORESQUE
5 mai 1664 : fête donnée
à Versailles par Louis XIV
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Publié le samedi 4 mai 2013, par Redaction
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De toutes les fêtes qui signalèrent le commencement du règne de Louis XIV, celle de Versailles, en 1664, fut la plus brillante par sa magnificence et les plaisirs de l’esprit qui, se mêlant à la splendeur de ces divertissements, y ajoutaient un goût et des grâces dont aucune fête n’avait encore été embellie. Versailles, qui ne devint la résidence ordinaire du roi qu’en 1682, commençait à être un séjour délicieux, sans approcher de la grandeur dont il fut depuis.

Le 5 mai, le roi y vint avec la cour, composée de six cents personnes, qui furent défrayées avec leur suite, aussi bien que tous ceux qui servirent aux apprêts de ces enchantements. Il ne manqua à ces fêtes que des monuments construits exprès pour les donner, tels qu’en élevèrent les Grecs et les Romains ; mais la promptitude avec laquelle on construisit des théâtres, des amphithéâtres, des portiques, ornés avec autant de magnificence que de goût, était une merveille qui ajoutait à l’illusion, et qui, diversifiée depuis en mille manières, augmentait encore le charme de ces spectacles.

Il y eut d’abord une espèce de carrousel. Ceux qui devaient concourir, parurent le premier jour, comme dans une revue ; ils étaient précédés de hérauts d’armes, de pages, d’écuyers, qui portaient leurs devises et leurs boucliers ; et sur ces boucliers étaient écrits en lettrés d’or des vers composés par Perigni et pat Benserade. Ce dernier surtout, avait un talent singulier pour ces pièces galantes, dans lesquelles il faisait toujours des allusions délicates et piquantes aux caractères des personnes, aux personnages de l’antiquité ou de la fable qu’on représentait, et aux passions qui animaient la cour. Le roi représentait Roger : tous les diamants de la couronne brillaient sur son habit et sur le cheval qu’il montait. Les reines et trois cents dames, sous des arcs de triomphe, voyaient cette entrée.

La cavalcade était suivie d’un char doré, de dix-huit pieds de haut, de quinze de large, de vingt-quatre de long, représentant le char du soleil, les quatre âges d’or, d’argent, d’airain et de fer, les signes célestes, les saisons, les heures suivaient à pied ce char : tout était caractérisé. Des bergers portaient les pièces de la barrière, qu’on ajustait au son des trompettes, auxquelles succédaient, par intervalles, les musettes et les violons. Quelques personnages qui suivaient le char d’Apollon, vinrent d’abord réciter aux reines des vers convenables au lieu, au temps, au roi et aux dames.

Les courses finies, et la nuit venue, quatre mille gros flambeaux éclairèrent l’espace où se donnaient les fêtes. Des tables y furent servies par deux cents personnages, qui représentaient les saisons, les faunes, les sylvains, les dryades, avec des pasteurs, des vendangeurs, des moissonneurs. Pan et Diane avançaient sur une montagne mouvante, et en descendirent pour faire poser sur les tables ce que les campagnes et les forêts produisent de plus délicieux ; derrière les tables en demi-cercle, s’éleva tout d’un coup un théâtre chargé de concertants. Les arcades qui entouraient la table et le théâtre, étaient ornées de cinq cents girandoles vertes et d’argent, qui portaient des bougies ; et une balustrade dorée fermait cette vaste enceinte.

Ces fêtes, si supérieures à celles qu’on invente dans les romans, durèrent sept jours. Le roi remporta quatre fois le prix des jeux, et laissa disputer ensuite aux autres chevaliers les prix qu’il avait gagnés, et qu’il leur abandonnait.

La comédie de la Princesse d’Elide, quoiqu’elle ne soit pas une des meilleures de Molière , fut un des plus agréables ornements de ces jeux, par une infinité d’allégories fines sur les mœurs du temps, et par des à-propos qui font l’agrément de ces fêtes, mais qui sont perdus pour la postérité. On y joua aussi le Mariage forcé ; mais ce qu’il y eut de véritablement admirable, ce fut la première représentation des trois premiers actes du Tartuffe ; le roi voulut voir ce chef-d’œuvre, avant même qu’il fût achevé.

La principale gloire de ces amusements qui perfectionnaient en France le goût, la politesse et les talents, venait de ce qu’ils ne dérobaient rien aux travaux continuels du monarque. Sans ces travaux, il n’aurait su que tenir une cour, il n’aurait pas su régner ; et si les plaisirs magnifiques de cette cour avaient insulté à la misère du peuple, ils n’eussent été qu’odieux ; mais le même homme qui avait donné ces fêtes, avait donné du pain au peuple dans la disette de 1662.

Il avait fait venir des grains, que les riches achetèrent à vil prix, et dont il fit des dons aux pauvres familles, à la porte du Louvre : il avait remis au peuple trois millions de tailles : nulle partie de l’administration intérieure n’était négligée. Son gouvernement était respecté au dehors : le roi d’Espagne, obligé de lui céder la préférence ; le pape forcé de lui faire satisfaction ; Dunkerque ajouté à la France par un marché glorieux à l’acquéreur, et honteux pour le vendeur ; enfin, toutes ses démarches, depuis qu’il tenait les rênes de l’empire, avaient été ou nobles ou utiles : il était beau après cela de donner des fêtes.

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