LA FRANCE PITTORESQUE
28 avril 1789 : pillage
de la maison Réveillon
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Publié le samedi 27 avril 2013, par Redaction
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Tandis que la prochaine ouverture des Etats-Généraux agitait la France entière, une scène tumultueuse vint ensanglanter un coin de la capitale et fixer quelque temps l’attention. Soulevée par des bruits vagues et calomnieux, la populace détruisit de fond en comble l’un des plus beaux établissements de Paris, et menaça l’un de ses citoyens les plus recommandables.

Après quarante-huit ans de travaux, Jean-Baptiste Réveillon, seul artisan de sa fortune, était parvenu à fonder une manufacture de papiers peints, rivale des fabriques anglaises ; décorée du titre de Manufacture royale, sa maison, la Folie Titon, s’élevait dans le faubourg Saint-Antoine : plus de trois cents ouvriers y trouvaient de l’emploi, sous la surveillance paternelle d’un chef, dont le dernier hiver venait encore d’attester la bienfaisance.

Tel est l’homme qu’on accuse tout-à-coup d’avoir proposé dans une assemblée des mesures hostiles contre la classe laborieuse ; la rumeur se propage, des attroupements se forment, et le 27 avril, une première tentative est faite par une multitude effrénée, qui, promenant l’effigie du manufacturier, avait rendu contre lui, dans un simulacre de tribunal, sentence de mort et de confiscation. L’absence de Réveillon sauva sa tête ; trente gardes-françaises suffirent à repousser les assaillants.

Pillage de la Maison Réveillon

Pillage de la Maison Réveillon

Mais le lendemain les mêmes hommes revinrent, bien supérieurs en nombre et en audace. Après les avoir contenus pendant plusieurs heures, les trente soldats se vinent obligés de céder. En un instant la maison fut envahie : trois feux différents furent allumés ; les meubles, le linge, les registres, les voitures, les effets les plus précieux devinrent la proie des flammes. N’ayant plus rien à brûler, ces furieux se jetèrent sur les décorations intérieures des appartements, brisèrent les portes, les fenêtres, les boiseries, réduisirent en morceaux les glaces, les marbres de toutes les cheminées, enlevèrent jusqu’aux rampes de fer qui garnissaient les escaliers.

Quand le mal fut consommé, la force armée se présenta ; de nombreux détachements de gardes-françaises et de Suisses investirent la maison ; on somma les mutins de sortir, ils s’y refusèrent ; les soldats, insultés et blessés, reçurent enfin l’ordre de se défendre ; ils firent feu sur les toits et aux fenêtres ; une lutte terrible s’engagea jusque dans la maison : quatre ou cinq cents mutins y perdirent la vie. D’autres désordres eurent lieu le même jour près de la porte Saint-Antoine, où une bande de ces agitateurs arrêtait les passants, les forçait à crier vive le tiers-état, et leur demandait de l’argent ; ils ne se retirèrent que devant plusieurs bataillons de gardes-françaises, de Suisses et quelques pièces de canon.

Dès le commencement de cette fatale affaire, Réveillon avait été chercher un asile à la Bastille, où il demeura caché plusieurs jours. L’intérêt public le consola de son désastre, seul genre d’indemnité que lui ou sa famille ait jamais reçu pour une si grande perte. La journée du 28 avril, prélude de journées plus grandes et plus tragiques, avait un auteur et un motif. Tous les partis se renvoyèrent l’accusation, suivant leur tactique ordinaire. Les uns désignaient le duc d’Orléans, qui voulait, disait-on, influencer par la terreur les élections de la capitale. Les autres prétendaient au contraire que la cour cherchait dans le désordre un prétexte pour appeler et entretenir une armée entre Paris et Versailles.

Toutes ces explications, bonnes ou mauvaises, indiquaient bien la cause générale de l’émeute, mais non sa cause particulière, en tant qu’elle s’appliquait à Réveillon. Pourquoi cette victime avait-elle été choisie de préférence à toute autre ? A cet égard les conjectures prenaient plus de consistance. Un certain abbé Roy, débiteur de Réveillon, était en outre poursuivi par ce dernier comme faussaire. En sa qualité d’intrigant, l’abbé Roy devait être à la solde de toutes les puissances ; chargé par l’une d’elles d’organiser une émeute, il avait pu la diriger de manière à satisfaire son intérêt et sa vengeance.

Dans la journée du 28 avril, on le vit au milieu des groupes qui se portaient au faubourg Saint-Antoine. Plus tard, décrété d’ajournement personnel relativement au faux, il prit la fuite. Des reproches s’élevèrent contre l’autorité qui ne sut pas prévenir le ravage, et pour dénoncer le fait qu’aucune enquête ne fut menée visant à découvrir la vérité.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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