LA FRANCE PITTORESQUE
27 avril 1702 : mort de Jean Bart,
corsaire émérite
(D’après « Encyclopédie du dix-neuvième siècle. Répertoire universel
des sciences, des lettres et des arts » (Tome 4), paru en 1838)
Publié le lundi 26 avril 2021, par Redaction
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D’une intrépidité sans pareille, il sert quelque temps dans la marine hollandaise sous les ordres du célèbre Ruyter avant de regagner la France lorsque la guerre éclate contre la Hollande et, qu’instruit de ses exploits, Louis XIV ne recoure à ses services et lui accorde bientôt des lettres de noblesse
 

Né à Dunkerque le 21 octobre 1650, mort dans la même ville le 27 avril 1702, Jean Bart est, sinon le plus illustre, du moins le plus populaire des marins français. On s’est demandé plusieurs fois si sa famille était ou non originaire de France ; quelques-uns ont prétendu qu’elle était sortie de la Basse-Saxe, et l’on alléguait à l’appui de cette opinion l’orthographe allemande du nom de Barth ; car c’est ainsi qu’on l’a longtemps écrit. Mais nous devons dire que les lettres du célèbre marin, ainsi que celles de divers membres de sa famille que nous avons eues sous les yeux, attestent qu’ils écrivaient leur nom sans h.

Tant qu’il ne fut que le plus intrépide de nos corsaires, Jean Bart signa « Jan Bart », en se servant pour écrire son prénom de l’orthographe flamande ; mais lorsqu’il eut été nommé au grade de chef d’escadre, il signa simplement : Le chef Bart. Au reste, cette question de nationalité semble bien oiseuse : le nom de Jean Bart a été pendant trop longtemps la terreur des ennemis de la France pour n’être pas devenu, en tout cas, éminemment français.

Jean Bart (Musée de la Marine)

Jean Bart (Musée de la Marine)

Le père de notre héros, Camille Bart, pêcheur en temps de paix, commandeur de corsaires dunkerquois en temps de guerre, accoutuma de bonne heure son fils au métier de marin ; aussi, lorsqu’il fut mort de blessures reçues en combattant, Jean Bart, quoique tout jeune encore, s’enrôla dans la marine hollandaise, et s’embarqua comme mousse sur le vaisseau que commandait le célèbre Ruyter, le plus grand homme de mer de cette époque. Bientôt il eut franchi les grades subalternes. Mais la guerre ayant éclaté, en 1671, entre la France et la Hollande, il revint à Dunkerque, malgré les offres séduisantes qu’on lui adressait, et fut placé par des armateurs de sa ville natale à bord d’un corsaire qui, grâce à lui, fit une croisière heureuse et revint au port avec de nombreuses prises.

Sur sa part, Jean Bart put armer une goélette de deux canons et de trente-six hommes d’équipage, avec laquelle il se remit bientôt en mer. A sa sortie du port, il rencontra une corvette ennemie de dix-huit canons montée par un équipage double du sien ; malgré cette supériorité, la corvette fut enlevée à l’abordage en quelques minutes. Ce fut là le début de Jean Bart comme chef de corsaire. L’année suivante, en 1676, ayant croisé dans la Baltique sur un vaisseau de dix canons, il s’empara d’une seconde corvette ; et, malgré les efforts de deux vaisseaux convoyeurs, tous deux supérieurs en force, et dont l’un tomba en son pouvoir, il se rendit maître de plusieurs navires marchands richement chargés.

Les armateurs de Dunkerque se fiant en son étoile, mirent sous ses ordres une flottille de cinq petits vaisseaux, avec laquelle il fit une croisière aussi rapide que brillante sur les côtes de la Hollande : un mois après être sorti du port, il y rentrait traînant en triomphe à sa suite dix-sept voiles prisonnières. Un combat qu’il soutint peu après sur la Palme, de dix-huit canons, contre le vaisseau hollandais le Neptune de trente-six, qu’il enleva à l’abordage, lui valut de la part de Louis XIV une médaille et une chaîne d’or. Jean Bart remercia le roi à sa manière, en prenant encore à l’abordage le vaisseau le Shedam, trois fois supérieur au Dauphin, qu’il montait. Dans ce combat, Jean Bart, couvert de blessures lui-même, tua d’un coup de sabre le capitaine hollandais. Il ne termina cette glorieuse croisière qu’après s’être emparé de trois corsaires d’Ostende, qu’après avoir coulé, échoué ou brûlé un grand nombre de bâtiments espagnols ou hollandais.

La paix vint mettre un terme à ses courses et à ses succès ; mais enfin le roi, sollicité par Vauban, qui voulut se faire le protecteur ou plutôt l’ami de l’intrépide marin, l’attacha à la marine royale avec le grade de lieutenant de vaisseau, et lui confia pour première mission celle de châtier les corsaires de Salé, qui avaient insulté le pavillon de la France. Les Saletins furent bientôt mis à la raison ; Jean Bart leur reprit plusieurs bâtiments capturés, leur enleva une corvette de seize canons, montée par un équipage nombreux, et divers autres navires de moindre importance. Les forbans se voyant poursuivis si chaudement demandèrent la paix.

Mais la guerre qui éclata en 1683 entre la France et l’Espagne vint offrir à Jean Bart une nouvelle et plus riche moisson de gloire. Lorsque la flotte française, sous les ordres de d’Amblimont, reçut l’ordre d’aller attaquer la flotte ennemie dans la baie de Cadix, il prit une part brillante à l’action, reçut une grave blessure à la cuisse, et s’empara de deux vaisseaux espagnols.

Nous passons sous silence quelques faits d’armes de moindre importance. En 1689, de concert avec Claude de Forbin (1656-1733), alors lieutenant de vaisseau avec lequel il eut une sorte de fraternité d’armes, il escortait un convoi de navires chargés de blé du Havre à Brest, lorsqu’à la hauteur de l’île de Wight, deux vaisseaux anglais, de cinquante canons, leur donnèrent la chasse. Jean Bart, malgré l’effrayante disproportion qui existait entre les deux bâtiments français et ceux qui les attaquaient, dédaigna de fuir, et peu s’en fallut même qu’il n’enlevât à l’abordage un des deux navires anglais. Néanmoins, écrasés par le feu des ennemis, les deux braves marins furent obligés de se rendre, après une résistance désespérée qui permit aux navires du convoi de s’échapper. Tel était le but que s’était proposé Jean Bart en prêtant le flanc à des adversaires aussi supérieurs en force.

Les Anglais se montrèrent peu généreux envers les deux prisonniers, qui, conduits à Plymouth, furent enfermés dans une chambre grillée, où on les traita fort mal. Aussi Jean Bart pensa-t-il tout d’abord à s’échapper. Il ne tarda pas à y parvenir : un matelot d’Ostende, son parent, lui procura une lime ; un chirurgien français qui les soignait, prisonnier comme eux, entra dans le complot, ainsi que les deux mousses qui les servaient ; ils se procurèrent une barque, et, par une nuit profonde, ils s’embarquèrent tous, et en quarante-huit heures arrivèrent sains et saufs à Saint-Malo.

Louis XIV éleva Jean Bart et Forbin au grade de capitaines de vaisseau le 20 juin 1689, avec une gratification de douze cents livres. Pendant les deux années suivantes, Jean Bart fit un mal énorme aux ennemis ; à chaque instant il sortait du port de Dunkerque, quoiqu’il fût bloqué par une flotte anglaise, et courait sus aux vaisseaux anglais et hollandais, dont il prit, brûla ou coula à fond un nombre considérable. L’audacieux marin osa même opérer une descente sur les côtes de l’Écosse, où il brûla le château de Wradington, coup de main qui répandit au loin la terreur.

Jean Bart à la Cour de Louis XIV

Jean Bart à la Cour de Louis XIV

En 1693, une flotte française, sous les ordres du maréchal de Tourville, croisait dans la Manche pour intercepter et enlever un riche convoi anglais et hollandais destiné pour Cadix, l’Italie et Smyrne. A sa sortie de Brest, Jean Bart s’étant trouvé séparé du gros de la flotte, rencontra six bâtiments de la compagnie hollandaise et les obligea, en peu de temps, à s’échouer à la côte et à s’incendier. Lorsqu’il rejoignit l’amiral français, les vaisseaux ennemis étaient en vue.

Jean Bart offre à Tourville d’aller reconnaître l’ennemi. Profitant de l’obscurité, il s’engage au milieu de la flotte anglo-hollandaise. On lui crie en anglais : « Qui vive ? — Fishermen ! » (pêcheurs), répond Jean Bart ; puis il vient tranquillement rendre compte à son amiral de ce qu’il a vu. Son rapport contribua beaucoup au gain de la bataille, où il se couvrit de gloire. Le maréchal Tourville vengea glorieusement par la victoire de Lagos la défaite de la Hogue ; quatre-vingt-sept navires du convoi et plusieurs vaisseaux de guerre furent pris ou brûlés ; la perte des alliés en cette circonstance fut estimée à plus de 25 000 000 de livres.

Bientôt Jean Bart eut à rendre à son pays un service plus utile et plus réel. A cette époque, une disette affreuse se faisait ressentir en France ; cent trente bâtiments apportaient les blés de la Pologne et du Danemark. Jean Bart reçoit l’ordre de prendre le commandement de six frégates et de deux flûtes et d’escorter ce convoi si précieux alors pour la France, et si impatiemment attendu. Il sort de Dunkerque à la fin de juin 1694, et, à quinze lieues du Texel, il a connaissance de huit vaisseaux de guerre hollandais, commandés par l’amiral Hide de Frise, et d’un nombre considérable de bâtiments marchands : c’était le convoi au-devant duquel il allait, et qui, capturé par une escadre ennemie, prenait le chemin des ports de Hollande.

Jean Bart fait immédiatement ses dispositions d’attaque. « Je me charge de l’amiral, dit-il aux capitaines qu’il avait sous ses ordres ; chargez-vous des autres ! » et il prit l’amiral, malgré ses cinquante-quatre canons et une résistance désespérée ; deux autres vaisseaux de guerre furent pris par ses frégates, et il ramena dans les ports de France tous les bâtiments du convoi : le blé en France éprouva une baisse incroyable de 27 livres par boisseau.

Le roi récompensa ce grand service par des lettres de noblesse conçues dans les termes les plus flatteurs, et permit à Jean Bart de placer une fleur de lis d’or dans les armes qu’il lui donna. On fit aussi frapper une médaille pour conserver la mémoire de cet événement. La lettre que Jean Bart écrivit au roi pour lui annoncer sa victoire est un modèle de simplicité héroïque. Ce fut son fils qui remit cette lettre à Louis XIV. « Êtes-vous monté à l’abordage, lui demanda le monarque ? — J’y suis monté avec mon père, répondit-il. —Vous êtes cependant bien jeune, ajouta le roi ; au reste, il n’est pas étonnant que le fils de Jean Bart soit brave de bonne heure » ; et il termina l’entretien en faisant remettre au jeune marin un brevet d’enseigne de vaisseau.

En août 1695, une flotte anglo-hollandaise de 112 voiles vint attaquer et bombarder la ville natale de notre héros. Jean Bart encouragea si bien les Dunkerquois et dirigea si habilement leurs efforts que les ennemis furent forcés à la retraite. Il devait commander la flotte destinée à couvrir le débarquement de Jacques II en Angleterre ; mais ce débarquement n’ayant pas eu lieu, Jean Bart s’en alla croiser dans les mers du Nord avec huit frégates, et ne tarda pas à s’emparer de cinq frégates et de cent dix bâtiments hollandais ; mais, attaqué par une flotte de treize vaisseaux, il brûla une partie de ses prises, chargea une de ses frégates de conduire le reste à Dunkerque, et manœuvra si bien, qu’après une chasse de plusieurs jours, il parvint à ramener sa division entière dans les ports de France.

Peu de temps après, au mois d’avril 1697, il reçut des mains mêmes du roi son brevet de chef d’escadre. « Vous avez bien fait, Sire ! » : tel fut l’unique remerciement qu’il fit à Louis XIV. « Il me parle grossièrement, disait le monarque, mais il sait agir bien noblement pour moi. » C’est à la fin de cette dernière campagne qu’on place l’épisode de ce capitaine anglais qui, ayant invité Jean Bart à déjeuner, lui annonça au dessert qu’il le faisait son prisonnier. Jean Bart saisissant une mèche allumée, s’élança vers la Sainte-Barbe, et menaça de faire sauter le vaisseau, si tous les Anglais ne se rendaient pas prisonniers eux-mêmes, ce qui fut fait.

Ce qui est plus certain que cette histoire, c’est sa réponse au prince de Conti, nommé roi de Pologne, et qu’il conduisait à Dantzig avec sept frégates. Une flotte ennemie est signalée, mais n’aperçoit pas la petite escadre. « S’ils nous avaient attaqués ils nous auraient pris, dit le prince au marin. — Non, répond celui-ci, non ; je vous en réponds ! — Mais comment auriez-vous fait ? — Je me serais fait sauter. » On assure que le prince de Conti, quoi qu’il s’en allât prendre possession du trône de Jean Sobieski, défendit à Jean Bart de recourir à ce moyen extrême, et voulut même changer de vaisseau.

Prisonnier en 1697, Jean Bart menace de faire sauter la frégate la Sainte-Barbe si tous les Anglais ne se rendent pas prisonniers eux-mêmes

Prisonnier en 1697, Jean Bart menace de faire sauter la frégate la Sainte-Barbe
si tous les Anglais ne se rendent pas prisonniers eux-mêmes

Ce fut la dernière campagne de notre héros. La paix de Ryswick (septembre-octobre 1697) vint le forcer à un repos qu’il n’avait guère connu. En 1702, la guerre de la succession d’Espagne ayant de nouveau mis l’Europe en feu, Jean Bart se donna tant de mouvement pour armer en diligence ce qu’il y avait de bâtiments dans le port de Dunkerque, qu’une pleurésie se déclara et vint l’emporter le 27 avril de cette même année, à l’âge de 51 ans. Louis XIV honora cette perte de ses regrets, et accorda à la veuve et aux enfants de l’intrépide marin une pension de deux mille livres.

Nous avons négligé plusieurs des anecdotes qu’on raconte sur Jean Bart ; elles sont assez connues. Cet homme de mer célèbre était doué de toutes les bonnes qualités. Un seul défaut les déparait, le relâchement de ses mœurs pendait les courts instants qu’il était à terre. De sa première femme, Nicole Gautier, il eut son fils François, mort vice-amiral ; sa seconde femme, Marie-Jacqueline Tugghe, lui donna quatre filles et deux fils. Un petit-fils de Jean Bart est mort en 1784 sans postérité, après avoir été chef d’escadre comme son aïeul et gouverneur de Saint-Domingue.

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