LA FRANCE PITTORESQUE
25 avril 1814 : mort du littérateur
Mercier, auteur du célèbre Tableau de Paris
(D’après « Biographie universelle, ancienne
et moderne » (tome 28), paru en 1821)
Publié le dimanche 24 avril 2016, par Redaction
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L’auteur du Tableau de Paris disait dans la préface de ce livre : « J’ose croire que, dans cent ans, on reviendra à mon Tableau... » Quand l’ouvrage parut, il fit fureur, surtout en province et dans les pays étrangers. Il fut traduit dans presque toutes les langues. Certains passages tiennent de la caricature : on aurait ainsi une idée aussi fausse de la capitale et de ses habitants, que lorsque ceux-ci croyaient « que les Anglais mangent la viande toute crue ; qu’on ne voit que des gens qui se noient dans la Tamise, et qu’un étranger ne saurait traverser la ville sans être assommé à coups de poing. » (Tableau de Paris, chap. XIX)

Le célèbre critique La Harpe est ainsi très sévère avec cette œuvre de Mercier : « Tout ce qu’il y a de bon et de raisonnable dans ce livre a déjà été dit cent fois avant Mercier, et souvent beaucoup mieux : c’est un mélange d’absurdité, de vérités utiles, de paradoxes extravagants, de bouffissure, d’éloquence et de mauvais goût. »

Mercier se nommait lui-même le premier livrier de France ; il avait quelques droits à ce titre, car, depuis l’âge de vingt ans jusqu’à sa mort, il composa plus de cinquante volumes. Il se regardait de bonne foi comme le premier écrivain et le penseur le plus profond qui eût jamais existé. Dans son ouvrage intitulé Néologie ou Vocabulaire de mots nouveaux, à renouveler ou pris dans des acceptions nouvelles (1801), il écrit : « Nous avons beaucoup de livres, et le livre nous manque ; ce livre que je conçois et qui pourrait nous tenir lieu de tous les autres. ».

Louis-Sébastien Mercier

Louis-Sébastien Mercier

Il débuta d’abord par des poésies ; mais bientôt, par une bizarrerie de son caractère, il prit en haine les poètes et les vers ; dès lors il devint le champion le plus passionné de la prose. On jugera de son étonnante facilité en lisant la liste de ses productions, qu’il classe lui-même ainsi : Romans, Politique, Histoire, Morale ou Philosophie, Littérature, Barreau, Pièces historiques, Drames, Comédies, Féeries, Polémique, Journaux, Discours académiques, Dialogues, Poésies et Traductions.

Quand on parcourt cette longue nomenclature, on ne peut deviner quels instants Mercier donnait à d’autres occupations ; il fut cependant tour à tour professeur de rhétorique, avocat, membre de la Convention — dans le jugement de Louis XVI, il se prononça contre la peine de mort, et vota pour la détention perpétuelle —, du conseil des Cinq-Cents — il s’y opposa au décret qui décernait à Descartes les honneurs du Panthéon —, contrôleur de la caisse des loteries — comme il avait écrit contre les loteries, on lui reprocha d’avoir accepté cette place. « Depuis quand, répondit-il, n’est-il plus permis de vivre aux dépens de l’ennemi ? » —, membre de l’Institut et professeur d’histoire à l’École centrale.

Il fit paraître en 1781 les deux premiers volumes du Tableau de Paris. Informé que quelques personnes étaient soupçonnées pour cet ouvrage, il alla trouver Jean-Charles-Pierre Lenoir, le lieutenant général de police de Paris depuis 1774, et lui dit fièrement : « Ne cherchez plus l’auteur, c’est moi. »

Il partit alors pour la Suisse, regrettant qu’un arrêt du parlement ne lui procurât pas cette célébrité dont il était si avide. Pendant son séjour, il vit le fameux Lavater — théologien suisse qui s’était fait connaître quelques années plus tôt pour son ouvrage sur la physiognomonie —, et soumit son visage aux observations de ce physionomiste, dont il se croyait sûr de n’être point connu. Lavater, dont la sagacité avait sans doute été éclairée par des rapports préalables, adressa au voyageur des paroles dont son amour-propre dut être satisfait, et finit par lui dire qu’à son air spirituel on ne pouvait méconnaître l’auteur du Tableau de Paris. Ce fut à Neufchâtel que Mercier acheva cet ouvrage.

Il était membre de l’Institut depuis la formation de ce dernier : à la séance du 3 juillet 1799, il lisait un fragment sur Caton d’Utique, dont la longueur fatiguait l’assemblée, impatiente d’entendre une nouvelle ode de Lebrun. Le président l’invita à céder la parole à ce poète ; il refusa, et la séance fut levée au milieu des éclats de rire et des murmures. Depuis cette époque, Mercier fut moins assidu aux séances ; mais il ne cessa pas de chercher à fixer sur lui l’attention par des articles dans les journaux, par l’annonce des ouvrages auxquels il travaillait sans relâche, et par l’habitude de pérorer dans les cafés avec une bonhomie plaisante.

Louis-Sébastien Mercier n’aimait point le gouvernement de Napoléon, et lorsqu’il vit sa chute prochaine, on l’entendit dire plusieurs fois qu’il voulait voir comment cela finirait, et qu’il ne vivait plus que par curiosité. Son vœu fut rempli : né à Paris le 6 juin 1740, il vécut jusqu’au 25 avril 1814, Napoléon ayant abdiqué le 6 avril précédent.

Dans ses discours politiques, comme dans presque tous ouvrages, il prédit ou défendit la Révolution. Voici ce qu’il dit dans la préface de son ouvrage intitulé L’An 2440, rêve s’il en fut jamais (1771) : « C’est dans ce livre que j’ai mis au jour et sans équivoque une prédiction qui embrassait tous les changements possibles, depuis la destruction des parlements... jusqu’à l’adoption des chapeaux ronds. Je suis donc le véritable prophète de la révolution, et je le dis sans orgueil ».

Mercier avait de la chaleur, de la facilité, de l’éloquence même, mais son effort continuel pour être original, créateur, nuisit au mérite de ses écrits. Son caractère était doux, humain ; son commerce facile, malgré l’excès de son amour-propre.

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