LA FRANCE PITTORESQUE
Alphonse de Lamartine,
garde du corps de Louis XVIII
(D’après « Le Figaro littéraire », paru en 1906)
Publié le lundi 15 février 2016, par Redaction
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En 1812, Lamartine a vingt-deux ans il est beau comme un jeune dieu ; son front rayonne encore du reflet de ses amours napolitaines. Il vit auprès de ses parents à Milly. « Chasses, chevaux, chiens, courses de châteaux en châteaux, liaisons légères avec de jeunes femmes, reines poétiques de ces réunions » ; voilà ses occupations. Sa mère, qui nous les révèle, s’inquiète de cette oisiveté. Que faire pour l’en tirer ?
 

Napoléon règne et les Lamartine sont les ennemis irréductibles du nouveau régime. Leur hostilité est telle que le père du poète, qui fut capitaine de cavalerie au régiment Dauphin, fournit trois remplaçants, bien que son patrimoine fût des plus modestes, pour que son fils échappât à la conscription. Lorsque parut le décret sur la création des gardes d’honneur, il était si précis que le jeune Alphonse ne pouvait manquer d’y être incorporé, si son père, de concert avec le préfet de Saône-et-Loire, M. de Ronjoux, ne se fût avisé de le faire nommer, le 6 mai 1812, maire de Milly, bien qu’il n’eût pas atteint l’âge légal requis pour exercer ces fonctions municipales.

Alphonse de Lamartine

Alphonse de Lamartine

Cet expédient n’assurait pas l’avenir du jeune homme ; la rentrée des Bourbons permit à M. de Lamartine de solliciter du roi une place pour ce fils demeuré fidèle à sa cause et c’est comme garde du corps qu’il servit la Restauration.

Cet épisode de la vie du poète est assez mal connu ; il mérite toutefois qu’on s’y arrête ; rien n’est indifférent de l’existence de Lamartine, surtout ce qui a trait à la formation de son caractère dans le moment où il vient de perdre Graziella et où il va aimer Elvire.

Le premier soin de Louis XVIII, après les Cent-Jours, fut de réorganiser les gardes du corps de la Maison du Roi, à peu près sur le même pied où ils étaient avant la Révolution. Ce corps d’élite, qui se composait de quatre compagnies, portant le nom de leurs capitaines : le duc d’Havré, le duc de Grammont, le duc de Noailles, le duc de Luxembourg, dont le chef, le major-général, avait le rang de maréchal, commandant en chef, dont les capitaines avaient rang de généraux, les lieutenants de colonels et les simples gardes de lieutenants, était cantonné, suivant que les compagnies étaient « de guet ou de quartier » ou n’étaient pas de service, soit à la caserne du quai d’Orsay, soit à Beauvais, à Versailles ou à Saint-Germain.

Les conditions pour y être admis étaient sévères. Il fallait produire des certificats de moralité, justifier d’une taille de 5 pieds 6 pouces (1 m. 787) et fournir un engagement des parents les obligeant à verser au futur garde une pension de 600 francs. Il fallait, en outre, être agréé, après des formalités sans nombre, du capitaine et de l’état-major. Ce fut dans la compagnie du duc de Noailles — l’ancienne compagnie écossaise —, celle qui se distinguait par la bandoulière bleue, que Lamartine fut incorporé.

Le poète dit dans ses Souvenirs que c’est à sa belle taille, à sa prestance, à son élégance, qu’il dut de bénéficier d’être immatriculé après un premier échec. Croyons-le sur parole. Les démarches de son père y furent bien pour quelque chose ; mais il est certain que lorsqu’il parut devant ses nouveaux chefs, dans la brillante tenue des gardes : casque à chenille noire et haut plumet blanc, tunique bleu de roi à galons et à aiguillettes d’argent, culotte blanche, longues bottes à l’écuyère, ils ne durent pas regretter d’avoir accepté cette élégante recrue.

A peine incorporé, il fut dirigé sur Beauvais ; il y arriva entre le 12 et le 26 juillet 1814. Lamartine nous a laissé, dans quelques lettres datées de Beauvais, ses impressions sur un séjour qui ne paraît guère l’avoir séduit. La première impression est déplorable. « Au milieu d’une plaine, écrit-il à Aymon de Virieu, la nature a creusé une espèce d’entonnoir, où les hommes ont élevé une espèce de ville. C’est là Beauvais, c’est le séjour humide et malsain que le ciel m’a choisi ! C’est là que je souffre déjà d’un cruel mal de poitrine, pour y avoir respiré l’air mouillé d’hier au soir. » Tout au long de sa correspondance, il gémit sur sa santé et sur la fièvre qui ne le quitte pas. Son moral était surtout malade.

Il fut logé chez un épicier (et non chez un boulanger ainsi qu’il l’a écrit), M. Durand, Grand’Rue-Saint-Martin, n° 1261, dans une maison qui n’existe plus et dans un quartier proche des murs et de la route de Calais. De la fenêtre de sa chambre, il voit la campagne et les pentes plantées de vignes du mont Capron. Son logement se composait d’une « fort bonne chambre », c’est lui-même qui le dit, et il ajoute (faut-il l’en croire ?) qu’on y accédait par une échelle.

Les gardes du corps qui revenaient à Beauvais y avaient laissé, avant 1789, une fort mauvaise réputation. On n’avait pas perdu le souvenir de l’étrange bagarre qu’ils avaient provoquée au théâtre, en chargeant, l’épée à la main, les gens du parterre désireux qu’ils se découvrissent, en tuant un des spectateurs et en en blessant plusieurs.

A peine arrivés, ils reprirent les traditions anciennes. Ils avaient fait écrire sur la porte d’un café ces mots : « Hôtel privilégié des gardes du corps », et interdisaient à tout autre qu’à eux d’entrer dans l’estaminet. Si, d’aventure un client plus hardi osait s’y faire servir, ils portaient incontinent sur la place et le consommateur et les consommations. Un passant ne salue-t-il pas le détachement, l’officier qui le commande le poursuit jusque dans l’intérieur d’une maison où il s’est réfugié ; ils renouvellent au théâtre les scènes d’autrefois en exigeant que tous les spectateurs applaudissent aux passages politiques de la Partie de chasse de Henri IV ; inventant mille arrogances pour molester les bourgeois, particulièrement ceux chez qui ils logeaient.

Il ne semble pas que Lamartine ait pris sa part de toutes ces turbulences. Sa correspondance est muette sur ce point, et rien, dans les documents administratifs, ne vient rompre ce mutisme.

Quel était donc son genre de vie ? Il vécut assez à l’écart, prenant ses repas — ses repas du matin au moins — chez un boulanger du voisinage, vraisemblablement un certain Joseph Beretti. La hautaine mélancolie qui fut la marque distinctive de son caractère et aussi certaine pénurie d’argent dont il se montra toujours très gêné, l’écartaient des assemblées bruyantes et des fréquentations dispendieuses.

Il s’adonna tout d’abord aux exigences de son métier. Il étudia les éléments de l’instruction de la cavalerie, se montra assidu aux exercices sur le terrain de manœuvres ; devint à ceux du manège de première force, et « la charge en douze temps » lui fut un badinage. Son sous-lieutenant, dans la 5e brigade à laquelle il appartint, M. le comte de Brenay, et son maréchal des logis, M. Dumonthiers, se déclarent fort satisfaits de lui. Mais le service d’un garde du corps qui n’est pas de guet n’est guère absorbant ; ses relations dans la ville se restreignent à la fréquentation assez espacée de Lagier de Vaugelas, de Le Sens de Folleville et d’Alphonse d’Agoult. Il entretient, il est vrai, une correspondance assez active avec Virieu et Fréminville, qui sont gardes à Versailles. C’est insuffisant à remplir une existence.

De quoi s’occupe-t-il donc ? De ce qui fut l’objet de toute sa vie la poésie et l’amour. « Je cherche à devenir amoureux, écrit-il un jour à Virieu, mais toutes les femmes sont si laides ! » Il ébauche cependant quelques romans. Un jour, il se déclare « presque amoureux » de la fille d’un charpentier, son voisin ; un autre jour, c’est la jeune fille qui sert sa table solitaire qui l’émeut ; mais il la respecte « comme une sœur, tant il y avait de candeur et d’innocence dans sa physionomie. » Enfin, c’est d’une enfant qu’il tombe épris ; il est vrai de dire que cette enfant ressemblait trait pour trait à sa mère. Cette mère est la femme d’un garde du corps et le roman ne fut qu’ébauché.

Ne pouvant aimer, Lamartine rêva. Un livre sous le bras, il rôde dans la campagne, fréquentant de préférence les sentiers tracés à travers les vignes du mont Capron. Un saule lui inspire une « petite romance » ; assis à l’ombre d’un arbre, il écrit quelques-uns de ces vers descriptifs où il excella et qui prirent place plus tard dans ses recueils.

Le 27 août, il quitta Beauvais, pour prendre le « guet » aux Tuileries ; il y demeura, jusqu’à la fin de novembre, date à laquelle il part « en semestre » pour Milly. En février 1815, il est à Paris où il assiste à la première chute de la Restauration ; il accompagna le Roi jusqu’à Béthune ; mais il refusa d’émigrer avec lui. Pendant les Cent-Jours, il fuit jusqu’en Suisse la conscription napoléonienne qui le guette et ne quitte son asile qu’au lendemain de Waterloo. A la fin de 1815, il donna sa démission.

Alfred de Vigny, qui fut son contemporain, tira de ses années de service, qu’il ne fit pas de meilleur cœur que Lamartine, ce livre immortel qui s’appelle Servitude et Grandeur militaire : l’influence de son passage aux gardes fut nulle sur l’esprit de Lamartine ; tel il entra au service, tel il en sortit. Il traversa cette époque, généralement décisive avec un transcendental détachement, n’en conservant d’autre souvenir « qu’un pied presque écrasé par son cheval » et le « titre stérile de chevalier de Saint-Louis ».

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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