LA FRANCE PITTORESQUE
1er avril 1431 : mort du magistrat
Jean Jouvenel ou Juvénal des Ursins
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Publié le samedi 30 mars 2013, par Redaction
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Jean Juvénal des Ursins s’illustra par son caractère et par ses talents dans une époque de crime et d’anarchie. « Il était, dit Voltaire, de ce petit nombre d’hommes qui doivent leur vertu à leur conscience et à leur raison, et non aux opinions de leur siècle. » Issu d’une famille anglaise établie en Champagne, il naquit vers 1360, à Troyes, et se distingua de bonne heure comme avocat au barreau de Paris. Depuis les troubles des Maillotins (1382), cette ville avait perdu son administration municipale : lorsque Charles VI crut devoir rétablir la charge de prévôt des marchands (1388), il la confia au zèle de Juvénal.

Le nouveau magistrat ne tarda pas à se montrer digne de son titre. Il affranchit le cours de la Seine et de la Marne, gêné par les moulins dont les seigneurs encombraient ces deux rivières. Il défendit et sauva Noviant, que la maladie du roi laissait exposé au ressentiment des ducs de Berry et de Bourgogne. Ce dernier, furieux contre Juvénal, l’accusa d’avoir tenu des propos séditieux, et acheta les voix de trente témoins. Mais Juvénal, cité devant la justice royale, qui se tenait alors à Vincennes, s’y présenta, suivi de trois à quatre cents des habitants les plus notables, et confondit ses accusateurs. Le roi termina le débat par cette sentence : « Je vous d1s que le prévôt des marchands est prud’homme, et que ceux qui ont fait proposer contre lui sont mauvaises gens. » Puis il congédia Juvénal et son escorte, en lui disant : « Allez-vous-en, mon ami, et vous tous, bons bourgeois ». Au temps de Pâques, les faux témoins vinrent solliciter leur pardon, que Juvénal leur accorda en versant de généreuses larmes.

Invariable dans son attachement au parti du roi, Juvénal fut revêtu, en 1400, de la charge d’avocat général au parlement de Paris : il y défendit les prérogatives de la couronne contre les usurpations du saint Siège. Après l’assassinat du duc d’Orléans (1407), il fit déférer la régence à la reine, seul moyen d’apaiser le conflit des prétentions élevées par les princes. Le parlement avait condamné le duc de Lorraine au bannissement et à la confiscation de ses biens pour le punir d’avoir abattu les armes de France placées à Neufchâteau. Cependant le duc osa se montrer à Paris. Au moment où il arrivait au pied du trône, présenté par Jean sans Peur, Juvénal, député par la magistrature, venait réclamer le maintien de son arrêt.

Cette rencontre imprévue ne l’empêcha pas de remplir sa mission avec force. « Juvénal, lui dit le duc de Bourgogne, ce n’est pas la manière de faire. — Si, Monseigneur, reprit le courageux magistrat, il faut faire ce que la cour ordonne. » Puis il ajouta : « Que tous ceux qui sont bons et loyaux viennent avec moi, et que les autres restent avec M. de Lorraine. » Cette apostrophe produisit son effet. Le duc de Bourgogne lui-même vint se placer à côté de Juvénal, et le duc de Lorraine, demeuré seul, n’eut plus de refuge que dans la clémence de Charles VI.

Jean sans Peur, devenu maître de Paris, sacrifia sans réserve à la vengeance de ses partisans tous les Armagnacs qui n’avaient pu fuir. Taxé par les Cabochiens à une somme de deux mille écus, et captif jusqu’à ce qu’il l’eût payée, Juvénal, du fond de sa prison, conçut le dessein de délivrer la famille royale, et l’exécuta sans verser une goutte de sang. Peu de jours après il sauva le roi, que le duc de Bourgogne voulait enlever, sous prétexte de le mener à la chasse. Le dauphin Louis, ayant pris les rênes du gouvernement, récompensa les services de Juvénal en le nommant son chancelier, charge qu’on lui ôta bientôt pour la donner à un ministre moins intègre et moins désintéressé.

A la mort de Charles VI, ses biens furent confisqués par les Anglais ; mais il en recouvra presque aussitôt la jouissance, et fut nommé président au parlement, qui siégeait alors à Poitiers. L’un des enfants de ce grand homme porta le titre de chancelier ; l’autre, archevêque de Reims, écrivit une histoire de ces temps malheureux, où il y a, selon Voltaire, « plus de patriotisme et moins de superstition qu’on ne devait en attendre. »

La lignée de Juvénal est éteinte, mais son nom reste un des plus beaux de nos annales. Il rappelle l’énergie du courage civil au milieu des factions, et le sentiment de l’indépendance nationale sous l’oppression étrangère.

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