Pierre de Boissat, gentilhomme du Dauphiné, fut un des quarante premiers académiciens, dont le cardinal de Richelieu composa l’Académie française à sa naissance Il fut appelé, dès son enfance, Boissat l’Esprit ; mais son nom serait aujourd’hui parfaitement ignoré, sans la grande et fâcheuse affaire qu’il eut à Grenoble, la réparation que la noblesse de Dauphiné exigea pour lui, et le soin qu’il prit de la faire agréer à l’Académie française.
En 1636, Boissat, étant à Grenoble, se trouva pour son malheur à un bal que donnait le comte de Saulx, lieutenant de roi. en Dauphiné. Boissat était déguisé en femme ; et à la faveur du masque, il se permit de tenir à la comtesse de Saulx, des propos dont elle s’offensa, et dont elle se vengea en employant la violence, pour faire à Boissat la plus cruelle injure qu’un homme de cœur pût recevoir.
La vengeance que Boissat jura solennellement de tirer d’un tel affront s’adressait naturellement au comte de Saulx, soit qu’il fût complice ou non de la violence de sa femme. Boissat s’était fait un nom par son adresse et par sa valeur dans les combats singuliers. La noblesse du pays, qui voyait, d’un côté, le commandant de la province, de l’autre, un brave homme cruellement outragé, intervint dans cette affaire, rendit impossible toute voie de fait, évalua le point d’honneur, régla toutes les opérations respectives, et les fit exécuter en sa présence.
L’acte en fut dressé authentiquement le 25 février 1638, et signé de soixante-quatre gentilshommes des meilleures maisons de la province. Boissat en envoya copie à l’Académie, et voulut avoir son avis sur cet accommodement. Conrart, secrétaire, lui répondit :
« Nous avons appris avec contentement combien vos intérêts ont été chers à Messieurs de la noblesse du Dauphiné, et avec, quel soin ils vous ont procuré la satisfaction que vous avez reçue. Toute la compagnie trouvait votre ressentiment légitime : mais si le mal était grand, il faut avouer aussi que le remède qu’on y a apporté est extraordinaire ; et il semble que vous ne l’eussiez pu refuser sans vous faire tort à vous-même, et sans offenser ceux qui vous l’ont préparé avec tant de sagesse et de jugement : elle croit donc que vous avez eu raison de déférer aux avis et à la prudence de ces Messieurs, et que vous ne pouviez avoir de plus sûres et de plus illustres cautions de la réparation de votre honneur, que tant de personnes à qui il est plus précieux que leur propre vie, qui en connaissent parfaitement les lois.... Enfin, Monsieur, elle estime qu’un gentilhomtne ne peut être traité plus glorieusement que vous l’avez été par tous ceux de votre profession, qui, dans cet accommodement, ne paraissent pas moins vos protecteurs que vos juges. »
II est assez remarquable que ce soit précisément dans le temps où la noblesse du Dauphiné travaillait à cette conciliation, à cette transaction sur le point d’honneur, que Corneille ait fait entendre ces vers dans le Cid :
Les satisfactions n’apaisent point une âme : Qui les reçoit a tort, qui les fait se diffame ; Et de pareils accords l’effet le plus commun Est de déshonorer deux hommes au lieu d’un. |
Depuis cette aventure, Boissat ne reparut plus à Paris ni à la Cour. Vienne (en Dauphiné) fut pour lui un tombeau où il s’ensevelit ; il poussa la dévotion à l’excès, portant la barbe longue et les cheveux négligés, toujours couvert d’habits grossiers, faisant des missions et des pèlerinages, prêchant tous les jours la populace.
En 1656, Christine, reine de Suède, passant à Vienne, comme on savait que Boissat lui était connu par ses poésies, les principaux habitants le prièrent de se mettre à leur tête et de la harangue. Il y consentit, mais sans rien changer à son extérieur ; et pour tout compliment, il n’entretint la reines que des jugements de Dieu et du mépris du monde. La reine, étonnée, dit tout haut : « Quel est donc ce capucin qu’on me donne pour Boissat ? »
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