LA FRANCE PITTORESQUE
24 mars 1707 : enlèvement
du marquis de Béringhem
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Publié le vendredi 22 mars 2013, par Redaction
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On ne doit pas attribuer, comme le fait Voltaire, au découragement général, à l’extrême confiance des alliés, et à la prise de Lille, qui n’était pas encore assiégée, l’audacieuse témérité d’un aventurier qui s’était mis en tête d’enlever Monseigneur ou le général de l’armée de Flandres.

Le trait est de la plus grande singularité. Le nommé Quintem, français de nation, après avoir été valet du prince de Conti, avait quitté la France pour entrer dans la musique de l’électeur de Bavière. Il s’était ensuite engagé au service de l’Empereur, et il était parvenu jusqu’au grade de colonel. Quintem partit d’Ath avec trente hommes qui avaient obtenu des passeports sous divers prétextes ; ils entrèrent en France par trois routes différentes, et se rendirent, pour l’exécution de leur dessein, dix dans la forêt de Chantilly, dix à Saint-Ouen, et dix à Sèves.

Le 24 mars, entre huit et neuf heures du soir, un des dix qui occupaient le chemin de Versailles, ayant reconnu un carrosse du roi, tira un coup de pistolet, suivant le signal convenu, et courut à toute bride pour rejoindre les neuf autres, qui étaient en embuscade en deçà du pont de Sèves, du côté de Paris. Les commis du pont, qui avaient entendu le coup de pistolet, avaient fermé la barrière ; ils arrêtèrent le cavalier qui se présentait pour la passer ; et s’apercevant de son embarras, ils le remirent entre les mains d’un brigadier de la prévôté.

Bientôt après le carrosse arriva au lieu de l’embuscade ; Quintem, qui était de cette troupe, fit arrêter un palefrenier qui portait un flambeau, mit la tête à la portière, et dit d’un ton d’assurance et d’honnêteté, au marquis de Beringhem, premier écuyer du roi, qui se trouvait seul dans le carrosse, qu’il l’arrêtait par ordre exprès de Sa Majesté ; et le prenant par le bras, il le fit monter sur le cheval d’un second palefrenier qui suivait la voiture. Il congédia le cocher, en lui disant qu’il ne s’inquiétât de rien, que tout se faisait par ordre du roi. Il prit ensuite la route du bois de Boulogne ; il le traversa, et se rendit à toute bride à Saint-Ouen, où une chaise de poste l’attendait. Il y monta avec son prisonnier, et donna ordre à sa troupe de se séparer et de gagner la route de Flandre, qu’il prit lui-même.

Louis XIV, informé du fait à dix heures du soir, fit sur-le-champ expédier des ordres pour qu’on gardât les passages sur les routes de la Normandie, d’Allemagne et de Flandres. Quintem était à peine sorti de la forêt de Senlis, qu’il entendit sonner le tocsin dans plusieurs villages ; cependant, sur ce que lui représenta Béringhem qu’il était extraordinairement fatigué, il eut la complaisance de s’arrêter près de trois heures près de Compiègne, pour le laisser prendre un peu de repos. Il continua ensuite sa route jusqu’à la petite ville du Ham, en Picardie. Mais à peine en était-il sorti que, sur les ordres de la cour, le marquis de Canisy, qui commandait dans la place, le fit poursuivre par un détachement du régiment de Livry, qui l’atteignit à une demi-lieue de la ville.

Quintem, prisonnier à son tour, fut conduit à Versailles, et le roi remit son sort à la discrétion de son écuyer, qui fut lui-même assez généreux pour lui pardonner. Cet évènement ne manqua pas d’être chansonné, témoins les couplets qui suivent :

AUX ALLIÉS
Air : de Joconde

Vous n’avez pris que Béringhem,
Cette prise est légère.
Il était un coup bien plus grand,
Et vous deviez le faire :
C’était d’enlever Chamillard ;
O la belle défaite !
Ce coup vous eût, sans nul hasard,
Assuré la retraite.
Mais ce coup, à vos intérêts,
Eût été trop contraire ;
Vous le croyez à vos projets
Ici trop nécessaire :
Instruits combien de tels benêts
Nous causent de dommage,
Vous l’avez laissé tout exprès
Pour finir son ouvrage.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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