Premier médecin de Louis XIV de 1693 à la mort du roi, Guy Fagon, qui se distinguait par une connaissance approfondie de toutes les parties de la médecine, dont la méthode et l’éloquence naturelles charmaient tous ses auditeurs, et dont la modestie égalait le mérite, développa par ailleurs le jardin royal des plantes médicinales, futur Jardin des Plantes
Guy-Crescent Fagon naquit à Paris, au Jardin royal des Plantes, le 11 mai 1638, de Henri Fagon, médecin, et de Louise de la Brosse, nièce de Guy de la Brosse, médecin ordinaire de Louis XlII. En 1626 , Guy de la Brosse obtint un édit pour l’établissement d’un jardin des plantes à Paris, et fut nommé à cette intendance : il fit construire les bâtiments, et en fit l’ouverture, pour la première fois, en 1640. Il y rassembla par ses soins plus de deux mille plantes différentes en l’espace de dix ans. Tournefort parle avec éloge de Guy de la Brosse dans son Voyage du Levant.
Fagon perdit son père fort jeune. Son grand-oncle se chargea de son éducation, et l’éleva au jardin du roi. Ce fut là qu’il prit, presque en naissance, ce goût pour la médecine et la botanique, que l’exemple et les conseils de son grand-oncle ne firent que fortifier. Il fit ses études avec beaucoup de succès au collège de Sainte-Barbe, et s’étant livré entièrement à celle de la médecine, il fut bachelier en 1662 et fut reçu docteur le 9 décembre 1664.
Guy-Crescent Fagon. Gravure réalisée en 1695 d’après une peinture de Hyacinthe Rigaud |
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La même année, Vallot, premier médecin du roi et intendant du jardin royal, le nomma professeur de botanique. Fagon, charmé de ce choix, donna bientôt d’éclatantes preuves de son goût pour cette science ; il entreprit à ses frais, quoique avec une fortune médiocre, un voyage en Auvergne, en Languedoc, en Provence, dans les Alpes et dans les Pyrénées, et n’en revint qu’après avoir fait une collection abondante de plantes, que Vallot réunit à celles qu’il faisait venir de tous côtés, et dont, en 1665, il fit le catalogue.
Fagon eut la principale part à la rédaction de cet ouvrage qui parut sous le titre d’hortus regius, et qui renfermait plus de quatre mille plantes. Il fit précéder ce catalogue par un petit poème, Fontenelle s’exprimant ainsi dans l’éloge de Fagon au sujet de ce poème : « Ce concours de plantes qui de toutes les parties du monde sont venues à ce rendez-vous commun ; ces différents peuples végétaux, qui vivent sous le même climat ; le vaste empire de Flore, dont les richesses sont rassemblées dans cette espèce de Capitale ; les plantes les plus rares et les plus étrangères, telles que la Sensitive qui a plus d’âme et une âme plus fine que toutes les autres ; le soin du roi pour la santé de ses sujets, soin qui aurait seul suffi pour rendre la sienne infiniment précieuse et digne que toutes les plantes y travaillassent : tout cela fournit assez au poète, et d’ailleurs on est volontiers poète pour ce qu’on aime ».
Fagon ne s’en tint pas là : seul il suppléa aux fonctions de démonstrateur, de sous-démonstrateur et de professeur des principes des plantes : il y ajouta les recherches physiques sur la nature des animaux et des minéraux. Ses leçons étaient très suivies et méritaient de l’être. Aux soins particuliers qu’il prenait de former de jeunes botanistes, il joignait une facilité d’élocution, un ordre, une méthode et une éloquence naturelles qui charmaient tous ses auditeurs.
Il était doué d’une pénétration rare : Fontenelle rapporte l’anecdote suivante dans l’éloge de Fagon. « Un jour qu’il devait parler sur la thériaque, l’apothicaire qui était chargé d’apporter les drogues, lui en apporta une autre presque aussi composée sur laquelle il n’était point préparé. Il commença par se plaindre publiquement de la supercherie, car il avait lieu d’ailleurs de croire que c’en était une ; mais pour corriger l’apothicaire de lui faire de pareils tours, il se mit à parler sur la drogue qu’on lui présentait, comme il eût fait sur la thériaque, et fut si applaudi qu’il dut avoir beaucoup de reconnaissance pour la malignité qu’on avait eue.
« Ses leçons ne l’empêchaient pas d’exercer la médecine, et il l’exerçait avec tout le soin, toute l’application, tout le travail d’un homme fort avide de gain ; cependant il ne recevait jamais aucun paiement, malgré la modicité de sa fortune, non pas même de ces paiements déguisés sous la forme de présents, et qui font souvent une agréable violence aux plus désintéressés. Il ne se proposait que d’être utile, et de s’instruire pour l’être toujours davantage. »
La réputation de Fagon l’appela à la cour. Louis XIV le choisit en 1668 pour être médecin de la Dauphine ; quelques mois après, ce prince réunit à cette place celle de premier médecin de la reine. Après la mort de cette dernière et à la retraite de madame de Montespan, Fagon qui était aimé de madame de Maintenon, prit encore plus de faveur dans l’esprit du roi qui le nomma son premier médecin, le 16 novembre 1693. Ce choix fut applaudi à la cour et à la ville : Fagon réunissait toutes les qualités nécessaires pour occuper cette place ; esprit, fermeté, constance peu communes, grande facilité de s’exprimer, connaissance approfondie de toutes les parties de la médecine ; il y joignait un amour naturel pour le bien public, et cette innocence, cette intégrité de mœurs et cette piété vraie et sincère qui plus que les talents gagnent tous les esprits, et emportent même les suffrages de l’envie.
Ces excellentes qualités, et son zèle infatigable auprès du monarque lui acquirent toute sa confiance ; aucun courtisan n’eût autant de faveur que lui. Jamais il n’en usa pour lui ni pour les siens ; il la fit rejaillir en entier sur la faculté de médecine de Paris dont il soutint les privilèges, et sur le jardin du roi dont il eut toujours à cœur l’embellissement et l’augmentation. « Dès qu’il fut premier médecin, dit encore Fontenelle, il donna à la cour un spectacle rare et singulier, un exemple qui, non seulement n’y a pas été suivi, mais peut-être y a été blâmé ; il diminua beaucoup les revenus de sa charge. Il se retrancha ce que les autres médecins de la cour, ses subalternes, payaient pour leurs serments ; il abolit des tributs qu’il trouvait établis sur les nominations aux chaires royales de médecine dans les différentes universités, et sur les intendances des eaux minérales du royaume.
« Il se frustra lui-même de tout ce que lui avait préparé, avant qu’il fût en place, une avarice ingénieuse et inventive dont il pouvait assez innocemment recueillir le fruit ; et il ne voulut point que ce qui appartenait au mérite lui pût être disputé par l’argent, rival trop dangereux et trop accoutumé à vaincre. Le roi, en faisant la maison de M. le duc de Berry, donna à M. Fagon la charge de premier médecin de ce prince pour la vendre à qui il voudrait ; ce n’était pas une somme à mépriser, mais M Fagon ne se démentit pas. Il représenta qu’une place aussi importante ne devait pas être vénale, et la fit tomber à M. de la Carlière, qu’il en jugea le plus digne ».
Sa modestie égalait son mérite. A son élévation à la place de premier médecin, la faculté voulut députer vers lui pour le féliciter ; mais Fagon répondit qu’il était enfant de la faculté, et que de semblables députations ne devaient pas se faire vis-à-vis d’un confrère qui avait toujours été dévoué à l’ordre entier des médecins, et à chaque membre en particulier.
Ce fut 1694 que Fagon eut occasion de prouver à la faculté son attachement et son zèle. Il employa son crédit auprès du roi, et obtint la suppression de la chambre des médecins provinciaux, et la cassation de tous les arrêts du grand conseil rendus à sa faveur. Cette déclaration est du 10 mai 1694. Astruc, qui en rapporte le sens, dit : « c’est la loi sous laquelle on vit présentement, et c’est une loi très sage, sans laquelle Paris serait inondé de charlatans, et sous ce nom je comprends ces médecins sans aveu qui en font le métier. Ils ne s’y multiplient même que trop, malgré un règlement si précis ; par la facilité qu’on a de leur donner des permissions dont ils se prévalent, par l’indulgence des magistrats qui les tolèrent, par l’adresse qu’ils ont à s’insinuer par des intrigues obscures, et souvent honteuses auprès des grands qui les protègent ».
La faculté témoigna à Fagon sa reconnaissance. Elle décida le 16 avril 1695 que son portrait serait placé dans les écoles supérieures. Ce portrait peint par le célèbre Rigaud, fut gravé la même année par Edelink. On lit au bas de la gravure ces vers latins de Santeuil dont voici la traduction :
Louis cachait encore son choix, Que le public tout d’une voix, Pour premier médecin te nommait par avance. Quel destin est commis à ta vaste science ! C’est à toi d’assurer le salut de la France En conservant les jours du plus puissant des rois. |
Le 29 novembre de la même année, la faculté lui dédia la thèse, soutenue par Joseph Pitton de Tournefort, sous la présidence de Henri Enguehard, et qui avait pour titre : An ab exlege sanguinis circuitu, morbi ? Latonette, docteur de Sorbonne, célébra dans le même temps Fagon par une épître en beaux vers latins qu’il lui adressa.
Les faveurs de la cour ne purent faire oublier à Fagon le jardin du roi, dont il avait toujours fait ses délices. Il n’en remplissait plus lui-même les fonctions, mais il choisissait les sujets les plus propres à le représenter. La botanique lui doit Tournefort qu’il nomma en 1683 à cette chaire. Il l’avait fait venir à Paris sur sa réputation : il jugea bientôt que ses connaissances surpassaient encore sa renommée, et que Tournefort était l’homme qu’il lui fallait pour porter la botanique et le jardin des plantes à leur plus haut degré de splendeur. Ce fut dans cette intention qu’il inspira au roi le dessein de faire voyager en Amérique Surian, médecin chimiste de Marseille, Lignon et le père Plumer ; en Egypte Lippi, à la Nouvelle-France Sarrazin, au Pérou le père Fucillée, et d’envoyer Tournefort en Asie, en Égypte et dans la Grèce.
Guy-Crescent Fagon. Gravure du XIXe siècle d’Ambroise Tardieu |
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Quand les fonds destinés au jardin public manquaient dans des temps difficiles, Fagon y suppléait, et n’épargnait rien, soit pour conserver les plantes étrangères dans un climat peu favorable, soit pour en acquérir de nouvelles, dont le transport coûtait beaucoup : de plus il protégeait tous ceux qui avaient du goût pour la médecine et la botanique. Ce fut à lui que Sébastien Vaillant dut l’avancement de sa fortune ; il le fit nommer directeur du jardin, ensuite professeur et sous-démonstrateur des plantes, et lui fit avoir la place de garde du cabinet des drogues de Sa Majesté. Enfin ce fut sous Fagon que fut bâti le cabinet d’histoire naturelle.
Ce jardin, qu’il regardait comme le sien propre, fut l’objet de toutes ses complaisances. Il n’y nomma que des professeurs d’un mérite distingué, et l’on ne lui reprocha jamais de sacrifier le vrai talent ni à la protection, ni à l’intrigue.
Citons encore Fontenelle à propos de l’illustre médecin : « Fagon ne fit pas beaucoup de grâce aux empiriques. Ce n’est pas cependant qu’il rejetât tout ce qui s’appelle secrets ; au contraire, il en a fait acheter plusieurs au roi ; mais il voulait qu’ils fussent véritablement secrets ; c’est-à-dire inconnus jusque là et d’une utilité constante. Souvent il a fait voir à des gens qui croyaient posséder un trésor, que leur trésor était déjà public ; il leur montrait le livre où il était renfermé, car il avait une vaste lecture et une mémoire qui la mettait toute entière à profit.
« Aussi, ajoute Fontenelle, pour être parvenu à la première place, ne s’était-il nullement relâché du travail qui l’y avait élevé. Il voulait la mériter encore de plus en plus après l’avoir obtenue ; les fêtes, les spectacle, les divertissements de la cour, quoique souvent dignes de curiosité, ne lui causaient aucune distraction ; tout le temps où son devoir ne l’attachait pas auprès de la personne du roi, il l’employait ou à voir des malades ou à répondre à des consultations ou à étudier. Toutes les maladies de Versailles lui passaient par les mains, et sa maison ressemblait à ces temples de l’antiquité, où étaient en dépôt les ordonnances et les recettes qui convenaient aux maux différents.
« Il est vrai que les suffrages des courtisans en faveur de ceux qui sont en place sont assez équivoques, qu’on croyait faire sa cour de s’adresser au premier médecin ; qu’on s’en faisait même une espèce de loi ; mais heureusement pour les courtisans, ce premier médecin était aussi un grand médecin. Il avait besoin de l’être pour lui-même, il était né d’une très faible constitution, sujet à de grandes immondités, surtout à un asthme violent. Sa santé, ou plutôt sa vie ne se soutenait que par une extrême sobriété, par un régime presque superstitieux, et il pouvait donner pour preuve de son habileté, qu’il vivait. »
En 1699, l’Académie des sciences l’admit au nombre de ses honoraires. Ses travaux continuels affaiblirent sa santé, et il fut attaqué de la pierre, ce qui l’engagea à se faire faire l’opération, qu’il supporta avec un courage héroïque. Cette opération réussit, et Fagon fut rétabli en peu de temps.
A la mort de Louis XIV, le 1er septembre 1715, Louis Poirier ayant été nommé premier médecin, Fagon se retira au jardin royal, dont il avait conservé la surintendance. Il y mourut le 11 mars 1718, âgé de près de 80 ans. Son corps fut porté à Saint-Médard, et le 26 du même mois, la faculté lui fit faire le service funèbre qu’elle était dans l’usage de faire célébrer pour tous les docteurs.
Fagon laissa deux fils ; l’aîné Antoine Fagon fut évêque de Lombez en 1711, passa à l’évêché de Vannes en 1719, et mourut en 1746 ; le second, Louis Fagon, fut conseiller au parlement, maître des requêtes, conseiller d’État, intendant des finances, et mourut de la pierre au mois de mai 1744 sans avoir été marié.
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