LA FRANCE PITTORESQUE
5 mars 1473 : assassinat de Jean V,
dernier des comtes d’Armagnac
ayant joui des droits régaliens
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Publié le dimanche 3 mars 2013, par Redaction
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Jean V, le dernier des princes souverains d’Armagnac, comte de Fezenzac, de Rodez, etc., vicomte de Loumagne, fils de Jean IV, comte d’Armagnac, et d’Isabelle de Navarre, naquit vers l’an 1420.

Son père étant mort en 1450, il lui succéda dans la principauté d’Armagnac, et devint bientôt après éperdument amoureux d’Isabelle, la plus jeune de ses sœurs, dont la beauté était célèbre, et eut d’elle deux enfants. Cet inceste lui attira l’excommunication du pape, et l’indignation de Charles VII, roi de France. Ce roi lui députa des gens de confiance, pour le ramener à son devoir, et lui assurer que s’il renonçait à cette union illégitime, il obtiendrait son absolution ; le comte d’Armagnac promit d’y renoncer et fut absous ; mais sa passion était trop vive ; au lieu de vaincre, il voulut la légitimer par un mariage : il mit dans ses intérêts deux ecclésiastiques en dignité : Antoine de Cambrai, réfédentaire du pape, depuis maître des requêtes et évêque d’Alet, et Jean de Volterre, notaire apostolique, fabriquèrent de fausses lettres du pape qui portaient dispense et autorisation au frère d’épouser sa sœur.

Jean V, comte d'Armagnac

Jean V, comte d’Armagnac

En vertu de cette pièce, un chapelain leur donna la bénédiction nuptiale. Le pape excommunia une seconde fois les deux prétendus époux ; le roi de France envoya de nouveau auprès d’eux, à Lectoure, où ils faisaient leur résidence, leurs propres parents, pour les porter à rompre cette union scandaleuse ; mais les démarches du roi de France ne firent pas plus d’effet que l’excommunication du pape, et un troisième enfant naquit de ce mariage incestueux. Le comte d’Armagnac, au lieu d’adoucir l’esprit de Charles VII, l’irrita en faisant nommer à l’archevêché d’Auch le bâtard de Lescun, au préjudice de Philippe de Lévis, que ce roi protégeait.

Charles VII alors ne garda plus de ménagement ; il envoya une armée de vingt-quatre mille hommes, qui, vers la fin de mai 1455, mit le siège devant Lectoure : cette ville fut prise ; on saisit les biens du comte d’Armagnac, qui, avec sa sœur, s’était évadé et réfugié dans les Etats du roi d’Aragon ; il fut cité l’année suivante au parlement de Paris ; il y comparut, subit interrogatoire, fut emprisonné, parvint à s’échapper ; mais le parlement continua ses procédures ; et le 15 mai 1460, le comte d’Armagnac fut condamné au bannissement, et tous ses biens furent confisqués au profit du roi.

Dans cet état de dénuement, il s’adressa au pape, et se rendit à Rome en mendiant son pain. Pie II lui imposa une pénitence rigoureuse, lui donna l’absolution, et écrivit au roi de France pour lui demander la grâce du comte pénitent. Charles VII fut inflexible ; mais après sa mort, Louis XI, qui lui succéda, rappela en 1461 le comte, et le rétablit dans tous ses domaines, droits et prérogatives.

Le comte d’Armagnac, peu sensible à ce bienfait, prit bientôt les armes contre le roi dans la guerre civile, appelée du bien public. Louis XI défendit à tous les nobles et autres de le suivre à la guerre. La paix étant faite, le comte jura avec serment, le 5 novembre 1465, de servir le roi, envers et contre tous, même contre son propre frère, le duc de Normandie ; mais ce serment fut bientôt violé. Il entretint des intelligences avec les ennemis de la France, et se lia avec le duc de Bourgogne contre le roi, qui chargea, en 1469, Antoine de Chabannes, comte de Dammartin, d’assiéger Lectoure, et de saisir les biens du comte. Celui-ci prit la fuite, laissa ses terres sans défense, et sortit du royaume.

Charles, frère et ennemi du roi, étant duc de Guyenne, rétablit le comte d’Armagnac dans ses biens, accrut ses dignités, et le nomma son lieutenant-général ; le comte en profita, et conquit à main armée, ses anciennes propriétés et plusieurs autres qui ne lui avaient jamais appartenu. Cet état de prospérité ne fut pas de longue durée. Le duc de Guyenne mourut, le 28 mai 1472, empoisonné, dit-on, par les ordres du roi son frère, et par la main de l’abbé de Saint-Jean-d’Angely. Dépourvu de cet appui, le comte d’Armagnac se vit assiéger dans Lectoure par une armée de quarante mille hommes, commandée par Pierre de Bourbon et par Jean Geoffroy, cardinal et archevêque d’Alby. La famine et la faiblesse de ses troupes, l’obligèrent à demander une capitulation le 15 juin 1472 ; il s’engageait à rendre la place, à céder tous ses domaines, à condition que le roi lui ferait une pension de douze mille livres. Pierre de Bourbon entra dans Lectoure, y mit garnison, et congédia son armée.

Au mois d’octobre suivant, le comte d’Armagnac, auquel la violation des serments ne coûtait rien, s’était ménagé des intelligences dans Lectoure ; il engagea le cadet d’Albret à surprendre cette ville : elle fut prise, et Pierre de Bourbon et autres seigneurs y furent faits prisonniers. A celte nouvelle, Louis XI irrité, convoqua toute la noblesse du Languedoc, pour aller de nouveau assiéger Lectoure. Au mois de janvier 1475, l’archevêque d’Albi, qui commandait l’armée du roi, commença le siège de cette place ; le comte d’Armagnac s’y défendit avec la plus grande valeur, et soutint pendant plus de deux mois tous les efforts de l’armée royale. L’archevêque, voyant le peu de succès du siège, fit au comte des propositions avantageuses : elles furent acceptées.

La capitulation fut signée, et pour la rendre plus solennelle et plus solide, les deux contractants, se méfiant avec raison l’un de l’autre, communièrent ensemble, et reçurent chacun la moitié d’une même hostie consacrée. La ville fut rendue ; tout annonçait la cessation des hostilités, lorsque le lendemain, le comte d’Armagnac, étant dans sa chambre avec son épouse légitime Jeanne de Foix, vit entrer Guillaume de Montfaucon, accompagné d’un gendarme et d’un franc-archer, vêtu et armé d’une manière effrayante.

Après quelques saluts et paroles amicales, Montfaucon fait signe au franc-archer : celui-ci tire aussitôt son épée et perce le comte de plusieurs coups, aux yeux de sa femme. Son corps est traîné dans la cour, le palais est au pillage ; les femmes du comte échappent avec peine aux violences des soldats ; tous les habitans de Lectoure, à l’exception de quatre hommes et de trois femmes, sont massacrés ; les maisons et les églises de celte ville, tout devient la proie des flammes.

La comtesse fut conduite prisonnière au château de Buzet : elle y avoua sa grossesse, et plusieurs gentilshommes vinrent quelques temps après dans sa prison, et la forcèrent d’avaler un breuvage qui la fit avorter et mourir. Le cadet d’Albret, qui avait surpris Lectoure, eut la tête tranchée. Cet événement tragique combla de joie Louis XI, qui récompensa le franc-archer ayant assassiné le comte d’Armagnac, en lui donnant une tasse d’argent pleine d’écus, et en le plaçant parmi ses gardes. Quant à Isabelle, sœur de ce comte, après avoir reçu plusieurs domaines de son frère, elle se fit religieuse dans le couvent du Mont-Sion, à Barcelone ; mais il paraît qu’elle épousa dans la suite, malgré ses vœux, Gaston de Lyon, sieur de Besaudun.

Charles, comte d’Armagnac, frère de Jean V, quoiqu’il ne fut pas complice de son frère, éprouva la même persécution : il fut pris, enfermé à la Bastille, où il resta quinze ans, et n’en sortit qu’à la mort de Louis XI. Jacques d’Armagnac, duc de Nemours, leur cousin, fut pris, conduit à la Bastille, condamné à mort, et décapité en 1477. Louis XI ordonna que ses enfants fussent placés sous l’échafaud, afin que le sang de leur père rejaillit sur eux.

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