LA FRANCE PITTORESQUE
Il fait le doux Dieu
dessus une pelle
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Publié le vendredi 24 juin 2022, par Redaction
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S’employait autrefois en parlant de quelqu’un qui affectait d’être tranquille, sage, et même qui faisait le suffisant
 

Il s’est conservé en Normandie dans cette variante : Il a l’air d’un petit bon Dieu sur une pelle, c’est-à-dire il se donne un air de modestie et de bonhomie. Variante que Frédéric Pluquet a rapportée, sans en expliquer l’origine, à la page 125 de son ouvrage intitulé Contes populaires, préjugés, patois, proverbes, etc., de l’arrondissement de Bayeux.

Le mot pelle semble être ici une altération de palle ou de paîle, vieux termes dont le premier désignait le linge bénit nommé corporal, que le prêtre étend sous le calice pour recevoir les miettes de la sainte hostie qui peuvent tomber quand il la rompt, et le second un autre linge, également bénit, que les fidèles tiennent sur leurs mains pour l’acte de la communion.

Objets liturgiques posés sur l'autel, lors de la célébration de l'Eucharistie
Objets liturgiques posés sur l’autel, lors de la célébration de l’Eucharistie

Cet acte, dans les premiers siècles du christianisme, n’avait pas lieu de la même manière qu’aujourd’hui. L’Eucharistie n’était point présentée à la bouche, mais à la main, que les hommes avaient nue et que les femmes avaient couverte du linge dit paîle dominical. La chose est bien marquée par le passage suivant d’une homélie attribuée à saint Augustin, et que les juges compétents croient être de saint Césaire : « Tous les hommes, lorsqu’ils doivent approcher de l’autel, lavent leurs mains, et les femmes présentent des linges blancs pour recevoir le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » On voit, en outre, dans le 36e et dans le 37e canon du concile tenu à Auxerre en 580, qu’il n’était pas permis à une femme de recevoir l’Eucharistie sur la main nue.

On dit aussi d’une personne qui affecte la modestie, la douceur, la dévotion, qu’elle a l’air de tenir le bon Dieu dans sa main : dicton où se trouve la même allusion que dans les précédents, d’une manière encore plus évidente. On dit encore : C’est un petit saint de bois sur une pelle. Pasquier et l’abbé Tuet, après lui, ont prétendu que sur une pelle a été introduit dans cette phrase par corruption de sous un poêle, dais portatif sous lequel on met le Saint Sacrement ou la statue de quelque saint pendant une procession.

Mais ils se sont trompés. Pelle est ici le même mot que paîle, synonyme de linge ou drap, comme on le voit dans cette phrase des Annales de saint Louis : « Et fist tantost parer le moustier de paîles de soie, etc. » (Edit. reg., p. 191.) Et dans ces vers tirés du roman manuscrit de Robert le Diable :

Devant lui par les rues tendent
Paîles, tapis et keutes pointes

La keute-pointe était une espèce de tapis en piqué.

On exposait autrefois les reliques et les statues des saints sur un paîle ou drap, ainsi que l’atteste ce vers du roman de Garin le Loherain : De seur (dessus) un drap a fait les sains tenir ; vers qui, dans quelques manuscrits, est remplacé par celui-ci, qu’a cité Paulin Paris : Le bras saint Estienne sor (sur) un paîle gésir.

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