LA FRANCE PITTORESQUE
Geoffroy de Sargines,
garde d’honneur du roi Saint-Louis
(D’après « La Semaine des familles », paru en 1880)
Publié le vendredi 25 juillet 2014, par Redaction
Imprimer cet article
Geoffroy de Sargines fut une des plus sympathiques figures de l’époque de saint Louis, en même temps qu’une des plus belles. Comme le bon Joinville il fut honoré de l’intime amitié et de la confiance du roi, et plusieurs fois chargé d’importantes et délicates missions. Ayant toujours été au labeur et à la peine, il est vraiment digne d’attirer l’attention des historiens qui l’ont généralement un peu laissé dans l’ombre.
 

En parlant de lui, nous rappellerons les principaux événements de la croisade. On ignore l’année et le lieu de sa naissance, mais on sait qu’il relevait du comte de Saint-Pol, Hugues de Châtillon, et que, jusqu’en 1236, il le servit loyalement. Ce seigneur lui accorda à cette époque de devenir l’homme lige du roi. Depuis lors, en effet, nous le voyons, dans les récits contemporains, attaché à la personne de saint Louis et tout occupé de son service.

Le roi de France avait choisi huit chevaliers pour lui servir de gardes d’honneur, comme on dirait aujourd’hui. Depuis longtemps leur courage était éprouvé et chacun d’eux « avait eu de beaux faits d’armes en deçà de la mer et au delà ». On les appelait ordinairement « bons chevaliers », nous apprend Joinville, et le premier d’entre ceux qu’il nomme, était ce Geoffroy de Sargines dont nous parlons. Ils étaient embarqués sur le vaisseau royal sur lequel flottait l’oriflamme.

Prise de Damiette en 1249

Prise de Damiette en 1249

Lors du débarquement des croisés devant Damiette, Louis IX, poussé par une extrême ardeur, ne voulait rien attendre, mais avait hâte de prendre possession de la terre infidèle : Sargines conseille d’abord la prudence, il veut retenir le roi ; mais celui-ci saute dans la mer tout armé, ayant de l’eau jusqu’aux aisselles, et se met à courir sus aux infidèles, avant même que les combattants fussent débarqués en nombre pour faire l’attaque avec plus de succès. Ne voyant pas alors ses avis écoutés, il suit le roi et combat avec vaillance à ses côtés.

Sargines et les « bons chevaliers » vivaient sous la lente du roi, conférant avec lui de tous les événements de quelque intérêt pour l’armée et le succès de la campagne. Ils donnaient chaque jour, ces « prud’hommes », la preuve de la sagesse de leurs conseils non moins que de la grandeur de leur courage.

Le caractère de Sargines et sa fidélité se montrèrent surtout au jour des revers et du malheur, lorsque, après plusieurs victoires, l’adversité vint fondre sur les croisés. Leur victoire à Mansourah fut presque immédiatement suivie de la maladie pestilentielle qui décima l’armée. Le roi donnait à tous le spectacle de tous les dévouements, et ne se ménagea pas plus en présence du terrible fléau qu’il n’avait fait au milieu des combats. Il visitait les malades, consolait et encourageait les mourants. « Laissez-moi faire mon devoir, répondait-il à ceux qui voulaient l’arrêter et l’obliger à se ménager lui-même. Je suis le roi et le père de tous ceux-là qui souffrent, et je dois aujourd’hui m’exposer pour ceux qui se sont toujours exposés pour moi. » L’exemple de ce dévouement réconfortait les malheureux atteints par le fléau, mais bientôt Louis lui-même en ressentit les atteintes et ne put plus sortir de sa tente.

Le conseil du roi veut obtenir une trêve, pour sûreté de laquelle il propose en otage le comte d’Anjou ou le comte de Poitiers ; mais le sultan Almoadam refuse et exige que ce soit Louisnbsp ;IX qui se livre lui-même comme garant du traité. En entendant cette rigueur, Sargines s’écrie avec indignation qu’il aimerait mieux que les Sarrasins les eussent tous tués ou pris, que de s’entendre reprocher d’avoir laissé le roi en gage. Les négociations se rompirent donc et la retraite commença dans ces tristes circonstances.

Le dévouement de Sargines parut alors grandir. Veillant sur le roi avec une sollicitude toute filiale, il cherchait à le défendre à la fois contre la maladie et contre les tentatives de ses ennemis. Les récits du temps parlent tous de ses soins et de sa vaillance. Saint Louis, tout malade, voulut néanmoins partir des derniers, et, quittant son corps d’armée qui devait marcher au milieu, il vint avec son fidèle chevalier se placer à l’arrière-garde que commandait Gaucher de Châtillon. Mais là il était en butte, plus que partout ailleurs, aux efforts des assaillants.

Geoffroy de Sargines courant sus aux Sarrasins et les chassant du roi (1250)

Geoffroy de Sargines courant sus aux Sarrasins et les chassant du roi (1250)

Ceux-ci redoublèrent d’ardeur, firent « moult morts et blessés », mais toujours se trouvèrent arrêtés par Châtillon et Sargines qui, frappant d’estoc et de taille, éloignaient et pourfendaient les Sarrasins d’auprès du roi. Saint Louis se plut à rendre lui-même ce témoignage que « Geoffroy le défendait, ainsi que le bon valet défend la coupe de son seigneur contre les mouches ; car toutes les fois que les Sarrasins l’approchaient, il prenait sa pique, qu’il avait mise entre lui et l’arçon de sa selle, et la mettait sous l’aisselle, et recommençait à leur courir sus et les chassait du roi. »

Ces efforts ne purent que lui sauver la vie. Car, arrivé au village prochain, il fut impossible de continuer : le saint roi dut être couché comme mort, on croyait qu’il allait trépasser, et peu d’instants après, malgré les plus grands efforts de tous les siens, il dut se rendre à Gemal-Eddin. On sait ce que fut celte captivité où saint Louis parut, aux yeux de tous, plus grand qu’au milieu de toutes les splendeurs de la cour de France.

Sargines partagea le sort de son maître. Et lorsque saint Louis, après avoir racheté la liberté de ses compagnons au prix de 400 000 besants d’or, et la sienne propre par l’abandon de sa première conquête, la ville de Damiette, se rendit en Palestine, pour reprendre son oeuvre de la délivrance des chrétiens, il avait toujours auprès de lui son loyal et fidèle serviteur. La nouvelle de la mort de la reine Blanche sa mère, régente du royaume pendant son absence, vint changer les desseins du roi, qui résolut de retourner en France. Il se sépara alors de Geoffroy, mais lui confia le gouvernement de la ville d’Acre, commandant à tous de lui obéir comme à leur seigneur. Pour assurer son autorité il le fit sénéchal du royaume et lui laissa cent chevaliers avec leur suite, déclarant se charger des dépenses nécessaires à leur entretien.

Dans ces nouvelles fonctions Geoffroy de Sargines ne fut pas seulement « le preux chevalier et hardi aux armes » que nous connaissons, il déploya des qualités supérieures de commandement et d’administration, et fut un grand et sévère justicier qui extermina les malfaiteurs par la rigueur de sa justice.

Il était toutefois le premier à s’incliner devant le roi, et en donna un exemple dans une circonstance mémorable. En 1259,il fut nomme « baile » ou bailli du royaume de Jérusalem. Celte charge auparavant avait été confiée à la famille des rois de Chypre, dont plusieurs membres la revendiquèrent. L’affaire fut aussitôt soumise en la cour des assises qui décida en faveur de Hugues de Chypre. Aussitôt ce jugement rendu, Geoffroy se dépouilla de sa qualité de baile et, le premier de tous, alla faire hommage à Hugues, entraînant à sa suite les barons et les bourgeois.

Depuis lors on voit ce preux chevalier tout entier à la garde et à la défense de son gouvernement. Les chroniques nous le montrent vigilant, toujours prêt à se porter au-devant des ennemis dont les incursions fréquentes troublaient la paix de ces régions. Plusieurs fois il fui blessé dans les combats qu’il livrait, et, si le succès ne favorisait pas toujours ses armes, il était, à l’exemple de son seigneur le roi de France, grand et respecté jusque dans ses défaites. Sargines tint ainsi son commandement pendant une quinzaine d’années et mourut en chrétien, le 11 avril 1269, laissant de nobles exemples et un nom sans tache.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE