LA FRANCE PITTORESQUE
Usage (De l’) des vitres
pour obturer les fenêtres
(D’après « Musée universel », paru en 1873)
Publié le mardi 12 février 2013, par Redaction
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Pendant des siècles, les maisons de nos ancêtres furent totalement privées, non seulement de carreaux, mais aussi de fenêtres, et, même alors que des baies vinrent percer peu à peu les façades de leurs habitations, il s’écoula bien des années encore avant que l’usage des vitres se généralisât
 

A l’époque gallo-romaine, les demeures des riches, construites dans le style romain, prenaient jour à peu près uniquement par la cour intérieure ou atrium. Ce mode excluait toute idée de croisée. Nous ne parlons pas des demeures des pauvres. Celles-là étaient de misérables huttes qui n’avaient de lumière à recevoir que par l’entrée.

Ne pas avoir de fenêtres ! Y pensez-vous ? Ignorer l’usage des vitres, ces transparentes cloisons qui nous abritent si excellemment de l’air extérieur, en laissant pénétrer jusqu’à nous cette chose délicieuse et gaie par-dessus toutes : la lumière ! Combien de temps dura cette obscurité ? On ne peut le dire au juste ; toujours est-il que les fenêtres ne commencèrent à paraître en France que vers l’époque carolingienne, et que, jusqu’au milieu du XVe siècle, les vitres furent pour nos pères un véritable objet de luxe.

Fenêtre Renaissance ornant la maison de La Boétie, à Sarlat

Fenêtre Renaissance ornant la maison
de La Boétie, à Sarlat

On les remplaçait alors tantôt par des volets de bois, tantôt par de la toile cirée ou du papier huilé, comme en témoigne ce passage des « comptes de l’argenterie des rois de France », daté de 1454 : « Deux aunes de toile cirée dont a été fait un châssis, mis en la chambre du retrait de la dite dame reine au château de Melun. » Et cet autre : « Quatre châssis de bois à tendre le papier pour les fenêtres de la dite chambre..., et huile à les oindre pour être plus clairs. »

Un écrivain sacré, Lactance, a fait, le premier, mention des vitres au IVe siècle. Il dit quelque part que nôtre âme voit et distingue les objets par les yeux du corps « comme par des fenêtres garnies de verre ». Dans les auteurs anciens, il n’est question pour fermer les baies des croisées que de pierres blanches et diaphanes dites pierres spéculaires. Sans doute veulent-ils désigner ainsi les feuilles de talc qui sont encore très usitées au XIXe siècle, comme carreaux, dans certaines parties de la Russie.

Les Romains se servaient encore d’un autre produit naturel, une sorte de coquille nacrée, pour clore leurs rares fenêtres et garnir les châssis des litières des patriciennes et des courtisanes.

Les savants, presque réduits à de simples conjectures sur cette matière, ont vaillamment discuté jadis afin de décider si les Romains employaient ou non le verre, pour carreaux. Sans doute, ils discuteraient encore, si, par un rare à-propos, Pompéi ne se fût avisé, pour trancher la question, d’exhiber de ses ruines plusieurs carreaux de verre antique.

On peut juger suffisamment par son épaisseur, et aussi par la disposition des bulles d’air dont il est piqueté, que ce verre à vitre n’a pas été soufflé d’après la méthode actuellement en usage, mais coulé comme nous faisons pour nos glaces. Selon toute probabilité, l’ouvrier plaçait sur une pierre polie et saupoudrée de fine argile un cadre rectangulaire de la dimension désirée. Il y versait ensuite le verre fondu à l’aide d’une cuiller en bronze. Le verre s’étalant à la surface de la pierre venait s’arrêter aux parois du cadre, et l’ouvrier aplanissait cette pâte avec des palettes.

D’après un récit du moine Théophile, cité tout au long par Sauzay dans sa Verrerie, il est hors de doute que le soufflage du verre était connu en France dès le XIIIe siècle. Pourtant, au XVe siècle encore, les vitres étaient rares, comme nous l’avons déjà montré, même dans les palais des rois. En 1413, la duchesse de Berry s’étant rendue au château de Montpensier, les comptes du receveur général de l’Auvergne portent la note de châssis faits à cette occasion pour les fenêtres dudit château, afin, y est-il dit, de les clore de toiles cirées « par défaut de verrerie ».

Plus d’un siècle après, en 1567, il est fort curieux de voir l’intendant du duc de Northumberland proposer de démonter les vitres du château de Sa Seigneurie pour les mettre à l’abri du vent pendant son absence. « Et parce que dans les grands vents, dit-il, les vitres de ce château et des autres châteaux et maisons se détériorent et se perdent, il serait bon que toutes les vitres de chaque fenêtre fussent démontées et mises en sûreté lorsque Sa Seigneurie part, après avoir séjourné dans l’un des susdits châteaux et maisons, et pendant son absence ou celle des autres personnages y demeurant ; et si, à quelque moment, Sa Seigneurie ou d’autres séjournaient à quelqu’un desdits endroits, on pourrait les remettre sans qu’il en coûtât beaucoup à Sa Seigneurie, tandis qu’à présent le dégât sera très coûteux et demandera de grandes réparations. »

En Ecosse, le verre à vitre fut encore très rare pendant le XVIIe siècle. Jusqu’en 1661, le palais du roi n’eut des vitres qu’aux étages supérieurs ; les fenêtres du rez-de-chaussée étaient fermées par des volets de bois qu’on ouvrait de temps en temps pour donner de l’air.

Les premiers statuts de la communauté de vitriers de Paris datent du règne de Louis XI. Un détail curieux que Sauzay nous apprend, détail qui montre assez combien l’usage des vitres est moderne, c’est qu’à la fin du XVIIIe siècle, il existait non seulement dans les petites villes de province, mais à Paris même une corporation de châssissiers dont la profession consistait uniquement à garnir les fenêtres de morceaux de papier huilé.

Le mastic était alors d’un usage fort restreint. Beaucoup de carreaux s’encastraient encore dans un cadre de plomb, et on se contentait, pour fixer les autres dans le bois, de quelques pointes et de bandes de papier collé. Parmi les matières les plus aptes à remplacer le verre, il convient encore de nommer la corne. Longtemps elle a fourni des feuilles transparentes aux châssis de nos croisées, aussi bien qu’à ceux de nos lanternes.

A bord des vaisseaux de l’État, des feuilles de corne tenaient lieu autrefois de ces glaces épaisses par où le jour pénètre maintenant dans les faux-ponts. A certaines époques, on s’est servi aussi de parchemin tendu en manière de vitre. Au Moyen Age, les fenêtres se fermaient avec des étoffes fines enduites de cire.

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