LA FRANCE PITTORESQUE
10 janvier 1738 : première représentation
de la Métromanie, en partie inspirée
de la supercherie de Desforges-Maillard
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Publié le mercredi 9 janvier 2013, par Redaction
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Cette comédie est placée immédiatement après les chefs-d’œuvre de Molière, et c’est le seul ouvrage de Piron qui porte l’empreinte du génie.

Il est peu de comédies où l’on trouve autant de finesse et de naturel dans le dialogue, d’aisance et de perfection dans les vers, et de vrai comique dans toutes les situations ; où les caractères soient mieux soutenus, où l’intérêt toujours vif et toujours nouveau, augmente de scène en scène jusqu’à la fin ; en un mot, où tous les ressorts de la comédie soient plus heureusement employés ; il fallait, non seulement de l’esprit, mais les plus grandes ressources du génie, pour entreprendre un pareil sujet, et y réussir.

Le succès de la Métromanie sera constamment le même jusque dans la postérité la plus reculée, parce qu’il est et sera toujours indépendant, quoi qu’en ait dit la critique, de la petite anecdote de mademoiselle de la Vigne, cette dixième Muse prétendue, dont le sexe, quand elle eut laissé tomber le masque, déconcerta beaucoup ceux qui s’étaient passionnés pour elle, et l’avoient parfumée de l’encens du Pinde et de Cythère.

Mademoiselle de la Vigne est en effet le nom sous lequel un Breton, nommé Desforges-Maillard, se déguisa longtemps, et sous lequel il envoyait régulièrement tous les mois ses productions poétiques au Mercure. A la faveur de son sexe, il reçut les hommages les plus galants et les déclarations les plus tendres. Mademoiselle de la Vigne devint une dixième Muse ; l’enchantement ne cessa que lorsque Desforges-Maillard vint à Paris montrer à ses soupirants sa longue barbe.

Cette admirable pièce fut d’abord rejetée par les comédiens ; elle éprouva les plus ridicules difficultés pour être reçue, et il fallut enfin un ordre du ministre pour la faire jouer. Après le brillant succès dont elle fut suivie, on ne daigna pas l’inscrire sur le répertoire, et elle demeura oubliée pendant dix ans : cet affront, fait au bon goût plutôt qu’à Piron, était la suite des cabales excitées par des auteurs jaloux de l’éclat de son triomphe, qui blessait leur orgueil.

Au sortir de la représentation de sa pièce, Piron, suivant son usage, entra au café Procope, avec un très bel habit richement galonné. On n’était pas accoutumé à le voir si superbement vêtu ; tout le monde lui fit compliment. L’abbé Desfontaines, qui était présent, voulut plaisanter Piron ; et soulevant, avec une feinte admiration, la basque de l’habit, pour en faire mieux remarquer la richesse : Quel habit, s’écria-t-il, pour un tel homme ! Piron soulevant à sort tour le rabat de l’abbé : Quel homme, s’écria-t-il- à son tour, pour un tel habit !

Au mois de janvier 1751, un entrepreneur fit donner la Métromanie sur le théâtre de Toulouse, et le premier capitoul en fut excessivement choqué. Voici comment on conte, ou comment on brode cette anecdote, dont le fond est vrai.

Ce magistrat manda l’entrepreneur, lui fit une verte réprimande, et lui demanda quel était l’auteur de cette comédie. « M. Piron. — Faites-le-moi venir demain. —Monseigneur, il est à Paris.— Bien lui en prend ; mais je vous défends de donner sa pièce. Tâchez, monsieur, de faire un meilleur choix. La dernière fois vous jouiez l’Avare, comédie de mauvais exemple, dans laquelle un fils vole son père. De qui est cet Avare ?— De Molière, monseigneur.— Eh ! est-il ici, ce Molière ? Je lui apprendrai à avoir des mœurs et à les respecter. Est-il ici ?— Non, monseigneur, il y a soixante-quatorze ou soixante-quinze ans qu’il est mort. — Tant mieux ; mais, mon petit monsieur, choisissez mieux les comédies que vous jouez ici. Ne sauriez-vous représenter que des pièces d’auteurs obscurs ? Plus de Molière ni de Piron, s’il vous plaît. Tâchez de nous donner des comédies que tout le monde connaisse. »

L’entrepreneur, soutenu de toute la ville, ne voulut pas obéir à M. le capitoul ; il présenta requête au parlement, qui ordonna, par arrêt, que la Métromanie serait représentée, nonobstant et malgré l’opposition de messieurs les capitouls. Elle fut donc reprise, donna beaucoup d’argent à l’entrepreneur et de grands ridicules aux capitouls. C’étaient des battements de pieds et de mains interminables, à ces endroits :

Monsieur le capitoul , vous avez des vertiges ;
Apprenez qu’une pièce d’éclat
Ennoblit bien autant que le capitoulat ;

et aux autres endroits qui faisaient épigramme dans cette circonstance.

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