LA FRANCE PITTORESQUE
3 janvier 1677 : première représentation
de la Phèdre de Pradon
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Publié le mercredi 2 janvier 2013, par Redaction
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« On se souvient encore, dit l’abbé Dubos, qu’une cabale, composée de plusieurs autres, dans lesquelles entraient des personnes également considérables par leur esprit et par le rang qu’elles tenaient dans le monde, avaient conspiré pour élever la Phèdre de Pradon, et pour humilier celle de Racine. La conjuration du marquis de Bedmar, contre la république de Venise, ne fut pas conduite avec plus d’artifice, ni suivie avec plus d’activité.

« Qu’opéra cependant cette conjuration ? Elle fit aller un peu plus de monde à la tragédie de Pradon, qu’il n’y en aurait été par le motif seul de voir comment le concurrent de Racine avait traité le même sujet que ce poète ingénieux ; mais cette fameuse conspiration ne put pas empêcher le public d’admirer la Phèdre de Racine après la quatrième représentation. Quand le succès de ces deux tragédies semblait égal à compter le nombre des personnes qui prenaient des billets à l’hôtel de Guénégaud et à l’hôtel de Bourgogne, on voyait bien qu’il ne l’était pas, dès qu’on écoutait le sentiment de ceux qui sortaient de ces hôtels, où deux troupes séparées jouaient alors la Comédie française. Au bout du mois, cette ombre d’égalité disparut, et l’hôtel de Guénégaud, où l’on représentait la pièce de Pradon, devint désert. »

On a peine à concevoir aujourd’hui comment des hommes de sens et des femmes d’un esprit supérieur, telles que Madame de Sévigné et Madame Deshoulières, ont pu se flatter un instant d’opposer avec succès un auteur tel que Pradon au plus grand de nos poètes. L’étonnement augmentera encore, s’il se peut, quand on aura lu quelques vers de cette Phèdre dont le plan est aussi absurde que le style en est ridicule. Nous choisirons de préférence des morceaux dont les idées sont à peu près les mêmes dans les deux poètes.

Idas dit à Hippolyte que Thésée est descendu aux enfers. Hippolyte répond (Acte I, scène 1) :

Quoi ! tu ne rougis pas d’une telle faiblesse !
Prétends-tu m’éblouir des fables de la Grèce ?
Peux-tu croire un mensonge ? Ah ! ces illusions
Sont d’un peuple grossier les vaines visions !
(...)
Peut-il, enorgueilli d’une race divine,
Dans les bras de Pluton enlever Proserpine ?
Traverser le Cocyte avec Pirythoüs ?
Bien qu’ils soient des héros, Idas, c’est un abus.
Quoiqu’au-dessus de nous, ils sont ce que nous sommes.
Et comme nous enfin, les héros sont des hommes.

Dans la seconde scène de l’acte suivant, le même Hippolyte dit :

A mon âge Thésée avait purgé la terre
De cent monstres cruels qui lui faisaient la guerre ;
Et dès les premiers coups qui partaient de ses mains,
Attachent à son bras le repos des humains.
Qu’ai-je fait jusqu’ici qu’errant et solitaire
Entendre en soupirant les hauts faits de mon père ?
(...)
La chasse seule alors eut pour moi des attraits :
De monstres à mon tour je purgeai nos forêts ;
Et j’ai perdu des coups qui méritaient peut-être
D’accabler des tyrans qui m’auraient fait connaître.
(...)
Mon nom à peine écrit sur l’écorce des arbres,
N’est point encor gravé sur l’airain ou les marbres ;
Et le nom d’Hippolyte et ses plus grands exploits
Sont connus seulement aux échos de nos bois...

Dans la sixième scène du quatrième acte, Thésée s’adresse ainsi à Neptune :

Et toi, Neptune, et toi, dont la race divine,
De Thésée ennoblit le sang et l’origine,
Plongeant ce sang impur dans l’abîme des eaux,
Donne ce monstre en proie à des monstres nouveaux.
Et vous, dieux, qui là-haut faites trembler la terre,
Lancez sur ce perfide un éclat de tonnerre.
Ma gloire est votre ouvrage ; il la veut outrager,
Et c’est bien moins à vous qu’à moi à les venger.

Ceux qui voudront pousser plus loin la comparaison, n’ont qu’à lire les deux récits de la mort d’Hippolyte. Celui de Pradon commence ainsi :

Sur son char il monte avec adresse.
Ses superbes chevaux dont il sait la vitesse,
De leurs hennissements font retentir les airs,
Et parlant de la main devancent les éclairs.
Je cours à toute bride...

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