LA FRANCE PITTORESQUE
29 décembre 1356 : l’empereur
Charles IV publie la bulle d’or
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Publié le jeudi 27 décembre 2012, par Redaction
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La bulle d’or (ainsi nommée en ce qu’elle est scellée d’un sceau d’or, dit bulla en mauvaise latinité, attaché avec des cordons de soie jaune et rouge et représentant d’un côté l’empereur assis sur son trône et de l’autre le capitole de Rome) a été, sauf quelques modif1cations, jusqu’à la destruction de l’empire d’Allemagne, au commencement du dix-neuvième siècle, la loi fondamentale et constitutive du corps Germanique.

Elle fut décrétée d’abord à Nuremberg, par l’empereur Charles IV, avec le concours des grands de l’empire, des dignitaires de l’église, et même des députés des villes impériales, admises pour la première fois à prendre un rang politique, puis complétée à Metz et promulguée en cour plénière.

« Le style de cette charte, ouvrage du jurisconsulte Bartole, se ressent bien, écrit Voltaire, de l’esprit du temps. Elle commence par une apostrophe à l’orgueil, à Satan, à la colère, à la luxure. Il y est dit que le nombre de sept électeurs, qu’elle fixe en l’honneur des sept chandeliers de l’Apocalypse, est nécessaire pour s’opposer aux sept péchés mortels. On y parle de la chute des anges, du paradis terrestre, de Pompée et de César. On assure que l’Allemagne est fondée sur les trois Vertus théologales comme sur la Trinité. »

La bulle d’or, également connue sous le nom de constitution carolienne, ne statue point sur les matières qui sont les objets des chartes modernes. Toute spéciale dans son but, elle néglige de régler les formes du gouvernement, les rapports entre les gouvernants et les gouvernés, les droits, les devoirs et les intérêts civils et politiques des peuples ; elle ne traite que du mode d’élection des empereurs, du nombre des fonctions, des privilèges, des prérogatives, du rang individuel des électeurs. A peine renferme-t-elle quelques dispositions sur des sujets d’ordre général, tels que l’exploitation des mines, la juridiction seigneuriale, le droit de battre monnaie, la condition des vassaux, mais elle prévient minutieusement des difficultés d’étiquette et de cérémonial.

La discussion des articles de la bulle d’or nous ferait sortir de nos limites ; nous dirons seulement que sept grands personnages, dont trois ecclésiastiques (les archevêques de Mayence, de Trèves et de Cologne) et quatre séculiers (le duc de Saxe, le roi de Bohême, le comte palatin du Rhin et le marquis de Brandebourg) étaient investis du droit d’élire ; qu’ils nommaient à la pluralité des voix, qu’ils étaient déclarés égaux aux rois, et qu’ils devaient tous exercer quelqu’une des grandes charges de l’empire.

La bulle d’or n’innova rien quant au nombre des électeurs. Primitivement tous les feudataires ecclésiastiques et séculiers étaient en possession d’élire l’empereur, comme le constate un vieux vers latin qu’on peut traduire ainsi : la volonté unanime des seigneurs et du clergé fait les empereurs, mais à la mort de l’empereur Frédéric II, les grands-officiers de sa maison, au nombre de sept, tous puissants seigneurs, et exerçant déjà l’emploi de recueillir et de compter les suffrages, s’arrogèrent exclusivement le droit d’élire. Ainsi une usurpation fut l’origine de la concentration du privilège de nommer l’empereur entre les mains des sept plus considérables dignitaires de l’empire : la pensée d’opposer un adversaire à chacun des péchés mortels ne put donc venir qu’après coup.

Peu de cérémonies furent plus imposantes et plus magnifiques que la cour plénière pendant laquelle fut promulguée la bulle d’or. Jamais prince ne parut environné de plus de splendeur que Charles IV, qui s’intitule caput orbis (tête du monde), et qui règle tout, dans sa constitution, de sa certaine science et pleine puissance, et cependant jamais prince ne fut plus méprisé et plus méprisable. « L’empereur Charles IV, dit un historien allemand, ayant apporté toutes les formalités nécessaires à cet édit pour en faire une loi fondamentale de l’empire, il commença à le faire exécuter par le service qu’il désira que les princes électeurs et autres officiers de la couronne lui .rendissent ; ce qui s’observa dans un festin magnifique qu’il -fit le lendemain. L’empereur et l’impératrice vêtus des ornements impériaux, ayant entendu une messe solennelle, accompagnés de tous les prélats et de tous les princes, se rendirent au lieu où le festin avait été préparé.

« C’était an milieu de la place publique, où l’on avait élevé une estrade sur laquelle était la table de l’empereur. Aussitôt que l’empereur et l’impératrice furent placés, les trois électeurs ecclésiastiques, savoir : l’archevêque de Mayence, l’archevêque de Trêves et l’archevêque de Cologne, vinrent à cheval comme archi-chanceliers de l’empire ; le premier étant archi-chancelier de l’Allemagne, le second des Gaules, et le troisième de l’Italie. Chacun avait un sceau attaché au col et une lettre à la main droite. Ensuite marchaient les quatre autres électeurs séculiers, aussi à cheval.

« Le duc de Saxe arriva le premier, ayant un picotin d’argent plein d’avoine à la main, comme archi-maréchal de l’empire, et, ayant mis pied à terre, il indiqua à ses collègues les places qui leur étaient destinées. Le marquis de Brandebourg, étant descendu de cheval, donna à laver à l’empereur et à l’impératrice avec une aiguière d’or, dans un bassin d’or. Le comte palatin du Rhin servit les plats d’or avec leurs viandes sur la table impériale. Le duc de Luxembourg, neveu de l’empereur, faisant les fonctions du roi de Bohême qui était l’empereur même, mit sur le coin de la table un flacon plein de vin, et en présenta à l’empereur dans un gobelet d’or. Après les électeurs s’avancèrent à cheval le marquis de Misnie et le comte de Schwarzembourg, tous deux grands-veneurs, donnant du cor et suivis de leurs chasseurs avec leurs chiens ; ils tuèrent devant l’empereur un grand cerf et un gros sanglier.

« A la fin du dîner, l’empereur fit de riches présents aux électeurs, aux princes, aux comtes et aux seigneurs, qu’il congédia après avoir mis en pratique la bulle d’or, par cette cérémonie solennelle. L’imbécillité de Venceslas l’Ivrogne, fils et successeur de Charles IV, mit bientôt la bulle d’or à l’épreuve, et prouva son impuissance contre les désordres électoraux qu’elle était appelée à prévenir. »

Ecrite sur vélin et déposée à Francfort sous la garde du premier magistrat de la ville, la bulle d’or était tellement vénérée, que l’électeur de Mayence n’obtint qu’à grande peine, en 1642, qu’on renouvelât les cordons de soie qui attachaient le sceau : des témoins furent nommés pour assister à l’opération.

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